La noblesse du direct
Par Christian Combaz
 

La semaine passée je révélais, pour l'avoir entendu raconter par sa victime, la mésaventure suivante : un écrivain français, invité chez Ardisson sur Paris Première, voit  sucrer au montage une déclaration d'Elizabeth Lévy, laquelle balayait l'accusation d'antisémitisme qui pesait sur son invité. Alain Finkielkraut, se répand lui aussi dans la presse depuis deux ans pour lever la fatwa lancée sur Renaud Camus - car c'est de lui qu'il s'agit. Mais les ayatollahs de Saint-Germain-des-Prés ont des agents jusque chez Rive Droite Rive Gauche et la production vient donc de détruire  une pièce essentielle à la défense (dans une affaire qui, rappelons-le, équivaut pour un écrivain  à une sentence de mort sans jugement).

Cette omission délibérée, qui ressemble au faux patriotique destiné à accabler Dreyfus,  a fait quelque bruit dès le lendemain. Pour apaiser les premières rumeurs Thierry Ardisson a décroché son téléphone afin de proposer à l'accusé une autre invitation, dans l'émission Tout le monde en parle (de plus en plus mal nommée). J'ai interrogé Camus sur le déroulement de ce deuxième enregistrement. Voici sa réponse : «J'ai cité les propos d'Élisabeth Lévy et j'ai ajouté, à l'adresse d'Ardisson : "Vous avez fait disparaître son intervention en ma faveur".»

Or cet échange-là, personne ne l'a vu non plus dans Tout le monde en parle.

Eh bien,  il faudrait justement qu'on en parle. Il faudrait que les intellectuels français qui gardent un peu de courage écrivent une adresse au ministre de la Culture afin de lui signaler que la télévision, dont l'importance est considérable dans la vie intellectuelle du pays, procède désormais à une dénaturation, à une castration systématique des propos qu'elle recueille.

Lors d'une autre émission qui nous réunissait récemment sur France 3, de nombreux passages d'un entretien avec Jean Jacques Aillagon ont sauté pour ainsi dire sous son nez.

Exit la mention d'une thèse universitaire  ayant servi de base à l'un des livres présentés ce soir-là (livre dont l'un des objets était précisément de la tirer des oubliettes de la Sorbonne. On peut la trouver sur www.editions-universelles.net/these-histoire.html).

Exit la mention du fait qu'un affairiste français  ait acheté la vidéo de l'exécution des Ceaucescu pour la revendre au monde entier. Cette précision utile au débat a sauté au montage bien qu'elle fût parfaitement en rapport avec le sujet.

Comment peut-on croire que les universitaires et les chercheurs de demain lorsqu'ils se pencheront sur la vie de l'esprit à notre époque, ne jetteront pas une lumière crue, féroce sur les lâchetés décrites ci-dessus ? Leurs auteurs seront confondus comme Du Paty de Clam pendant l'affaire Dreyfus. Si ces quelques lignes y contribuent j'aurais fait oeuvre pie.

Mais si le Ministère, par circulaire, restaurait la noblesse du direct, ce serait encore mieux.

Christian Combaz