Monsieur,
 
 
 
 

Signataire de la pétition en votre faveur parue dans Le Monde du 18 mai, je viens de capter par hasard la séquence que l'émission "Le Monde des idées" animée par Edwy Plenel et diffusée par la chaîne du câble LCI a consacrée ce midi à ce qu'il est désormais convenu d'appeler "l'affaire Renaud Camus".
 

Atterré par les propos qui ont été tenus à l'antenne, et par la composition même du "plateau", où n'étaient invités que deux de vos opposants, je tiens à vous faire part de ma consternation, qu'auront partagée, je veux le croire, nombre de téléspectateurs.

Passons sur le fait que MM. Bernard-Henri Lévy et Philippe Sollers, invités à débattre de votre livre, vous aient l'un et l'autre, non seulement reconnu antisémite, mais aussi déclaré médiocre écrivain, et qu'ils aient cru devoir plaisanter sur l'audience inespérée que vous vaut subitement ce tapage. Il n'était que trop évident que l'un et l'autre, faute de vous avoir lu, n'étaient pas habilités à se prononcer sur votre cas et se contentaient, à leur habitude, de se draper dans une posture supposée vertueuse. Ah ! si vous étiez un Sade, un Céline, un Genêt, un de ces grands imprécateurs que leur génie sulfureux lave de tout péché !

Ma colère s'adresse davantage à Monsieur Plenel. Bien placé pour savoir que son propre journal avait fait écho aux deux pétitions s'affrontant à propos de votre livre, au nom de quelle conception du débat démocratique a-t-il cru pouvoir s'abstenir de donner la parole à l'un de vos soutiens (je ne parle naturellement pas pour moi) ou, mieux encore, à vous-même, et n'instruire publiquement qu'un procès à charge ?

Une fois encore, il ne fut livré au public, pour juger de votre ouvrage, qu'une citation - une seule - tronquée et sortie du contexte.

Je crains que le crime que l'on vous fait payer soit moins votre antisémitisme supposé (dont, lecteur du Discours de Flaran comme de l'ensemble de vos livres, je vous sais évidemment non soupçonnable) que le fait de vous en être pris, de façon répétée, au petit lobby médiatico-journalistique, qui ne supporte pas d'être mis en cause et qui paraît jubiler de l'occasion que vous lui offrez de faire la démonstration de son pouvoir : celui d'excommunier quiconque prétend l'empêcher de faire de l'information en rond.

Je me flatte de compter au nombre de vos admirateurs et tiens La Campagne de France, malgré les "réserves" (le mot me convient et me suffit) que m'inspirent en effet les pages incriminées dans cette affaire, pour l'un de vos plus beaux livres.

Respectueusement et combativement vôtre,
 
 
 

Thierry Groensteen

(Directeur du Musée de la bande dessinée à Angoulême)