On pourra juger qu'il y a quelque absurdité à soustraire d'un ouvrage des phrases qui ont traîné deux mois durant dans toutes les gazettes. Elles s'y trouvaient sans leur contexte. Voici leur contexte sans elles.

Quand j'ai présenté La Campagne de France à l'éditeur habituel de mes livres, je lui ai dit qu'il pouvait en enlever ce qu'il voulait. Il m'a répondu que ce n'était pas son rôle. Ce n'était pas non plus le mien. Les retirer moi-même, ç'aurait été leur reconnaître un sens pernicieux qu'elles n'avaient pas, selon moi, et leur donner une importance que leur dénie, serait-ce seulement par sa masse, tout le reste de ce volume.

La presse n'en a pas jugé de la sorte, on l'aura remarqué ; ni la société dans son ensemble, si la presse en est bien le reflet. Ce sont elles qui bannissent ces phrases. Devant leur arrêt je m'incline sans regret. Ce qui compte est le flux du sens, ses reflux, son errance, ses scrupules, ses strates. On me prête des positions bien tranchées, mais écrire, pour moi, c'est l'éternel pentimento. J'y procède aujourd'hui par de petits retraits, alors qu'en général c'est plutôt par ajouts - ceux-là mêmes qui ne furent guère cités, dans le journaux ; et qu'on trouvera ici in extenso.

Si j'ai peiné quiconque, j'en suis peiné moi-même. Ce n'était pas mon dessein. Comme la mémoire, la douleur est un argument philosophique, rhétorique, politique, humain - et parmi les plus recevables. Toujours je me suis incliné devant elles, et pour le faire encore en cette occasion-ci, je n'ai pas à me contraindre. C'est seulement quand on les fait servir à des intérêts séculiers qu'il est loisible de résister. Non pas à elles, bien sûr. A ceux qui les profanent en les utilisant à des fins de pouvoir.