Le délire raciste
de Renaud Camus
 Par Jean-Loup Rivière
 
 
 

Malgré les tergiversations de l'éditeur Claude Durand, le «Journal» de l'écrivain exprime bel et bien des opinions criminelles.

N'oublions pas que ce Claude Durand qui s'étrangle d'indignation devant des  «censeurs» est le même qui a fait disparaître un livre en deux jours et qui s'apprête à le republier avec des coupures...
 
 
 
 

J'ai signé un texte qui est présenté par Claude Durand (Rebonds du mardi 30 mai) comme une pétition appelant à l'interdiction définitive d'un livre de Renaud Camus. Cette présentation est fausse et injurieuse: tout d'abord, ce texte n'est pas une pétition. Il ne réclame rien à personne. C'est une déclaration. Il affirme quelque chose qui est commun à ses signataires. Ensuite, ni dans les deux extraits publiés par Libération, ni dans son texte intégral, cette déclaration ne réclame l'interdiction d'un livre, elle invite plutôt à lire.

Dans sa réponse à ce qu'il appelle une «contre-pétition», Claude Durand, éditeur de Camus, affirme sèchement son indépendance: ce ne sont pas les pétitions qui font l'édition. C'est heureux. Mais n'oublions pas que celui qui s'étrangle d'indignation devant des «censeurs», est le même qui a fait disparaître un livre en deux jours, et qui s'apprête à le republier avec des coupures...

Claude Durand s'en prend au caractère tronqué des citations de Renaud Camus dans la déclaration. Toute citation est toujours tronquée, toujours sortie de son contexte: c'est un extrait, par définition. Et aucun des extraits que l'on peut dire xénophobe, raciste ou antisémite ne semble moins xénophobe, raciste ou antisémite quand on le rallonge. C'est même encore plus accablant...

Regardons un ou deux passages coupés dans les citations de la déclaration, et restitués par Claude Durand: à propos des «hôtes trop nombreux» (les étrangers) «dans la maison» (la France), Renaud Camus écrit ceci: «Il n'est plus temps de réagir, sauf à céder à des violences qui ne sont pas dans notre nature, et en tout cas pas dans la mienne.» Cela veut-il bien dire «il y a trop d'étrangers, la violence est la seule solution, mais je suis contre»? Et que diront Claude Durand et Renaud Camus quand agira celui qui est à moitié d'accord avec ce raisonnement, c'est-à-dire d'accord avec sa première moitié? N'est-ce pas cela, précisément, une opinion criminelle? Et dans cette autre phrase restituée, «Je n'oublie pas notre ancien rôle d'amphitryons», ne voit-on pas comme est terrible ce «notre»? Qu'est-ce que c'est que ce sujet collectif? Qu'est-ce que c'est que cet autre moi-même multiple qui se définirait par une identité perpétuée de siècle en siècle, et au nom de laquelle je parlerais?

 Nous sommes ici, comme dans d'autres passages cités et reprochés à Renaud Camus, dans le délire raciste le plus manifeste, le plus commun et le plus récurrent, délire qui n'a rien à voir avec la législation suisse sur les étrangers à laquelle Claude Durand assimile la position de Camus! En effet, le paragraphe complet «ne dit pas la même chose que le montage soumis à la signature des contre-pétitionnaires», il est pire...

Si l'on voulait résumer la déclaration, on verrait qu'elle a la force incontestable et niaise d'une tautologie: écrire et publier une opinion criminelle, c'est écrire et publier une opinion criminelle... Et pourquoi en arriver à ce genre de trivialité qui n'est pas l'ordinaire des signataires? Parce qu'il y a quelques jours, un texte signé par des écrivains et des artistes faisait passer l'auteur d'opinions criminelles pour une victime, et que ce texte tenait ces opinions pour autre chose que criminelles puisqu'elles n'étaient susceptibles que de réserves. A cela, quelques-uns ont voulu dire «non!». Une opinion criminelle ne se discute pas, même «littérairement et citoyennement» comme le souhaite Dominique Fourcade (Libération du 25 mai), elle se refuse.

Pour diviser ou ébranler les signataires, Claude Durand révèle qu'il y a eu plusieurs versions de la déclaration. J'ai eu en effet communication de ses états successifs. Les tergiversations de l'éditeur - le livre ne sera pas republié, le livre sera republié... - ont conduit à ces remaniements. Il faut vraiment que Claude Durand veuille faire payer à d'autres la gêne du filet dans lequel il s'est empêtré tout seul, pour comparer les signataires aux «censeurs les plus endurcis des totalitarismes du XXe siècle» et les accuser de vouloir «interdire les blancs»...

Cette extravagance vient d'un embarras effectivement difficile à traiter: ce livre est marqué par sa brève histoire, il ne peut pas ne pas l'être. Un éditeur peut toujours arrêter la diffusion d'un livre, le détruire, le republier avec coupures, il ne peut pas faire que quelque chose n'ait pas été écrit. Qu'il faille des lieux où s'impriment des idées néomaurrassiennes ou néopétainistes, ou des poses de ramasse-miettes vieille France, n'est pas contesté par ceux que ça dégoûte, mais des opinions criminelles ne «s'expurgent pas». C'est sans doute ce que le précédent éditeur de Renaud Camus a dû penser puisqu'il a refusé de publier le livre, même avec coupures.

Enfin, dans tout le dernier tiers de son texte, Claude Durand s'en prend par allusions à certains des signataires, à leurs amis, à leurs parents, à leurs activités publiques ou privées. Qu'est-ce que ça vient  faire là? Chacun a signé un texte, pas une liste de signatures, ni les faits et gestes du père d'un des signataires! Et jusqu'à combien de générations faut-il remonter? Je ne sais à quelles sinistres époques on pourrait rapporter ce genre de bassesses...

Arrêtons là-dessus, car il reste un débat, à mener sans Renaud Camus qui affirme ne rien vouloir retirer de ce qu'il a écrit, et laisse à son éditeur le soin de le faire: qu'est-ce qu'un livre expurgé? Où part, où repose, où se cache ce qui n'est plus là? Dans la civilisation, le malaise est dans ce trou.
 

Jean-Loup Rivière
(Jean-Loup Rivière est dramaturge)