Fayard veut republier le Journal de Renaud Camus  dès que possible

Par Alain Salles
 

Après avoir retiré de la vente le livre La Campagne de France, l'éditeur supprimera les passages antisémites du Journal de l'écrivain pour une nouvelle édition, accompagnée d'un avant-propos expliquant les raisons de la publication.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Le Journal de Renaud Camus devrait reparaître avant l'été. Après avoir retiré de la vente La Campagne de France, suite à l'indignation et à la polémique sur des passages antisémites du livre, Fayard devrait rééditer le livre, dans une nouvelle version. Renaud Camus a proposé des coupures. Nous avons soumis le manuscrit à notre avocat. Nous attendons sa réponse, explique Claude Durand, PDG des Editions Fayard. Nous procèderons à une réimpression, dès que possible, après avoir supprimé tout ce qui est juridiquement contestable, sans doute avec un avant-propos pour expliquer les raisons de la publication. Claude Durand envisage une parution avant l'été. Hachette, actionnaire de Fayard, se refuse à tout commentaire. Dans sa première version, le Journal comportait plusieurs passages racistes et antisémites, notamment sur les collaborateurs juifs du Panorama de France-Culture, qui ont déclenché une tempête.

Pour comprendre la polémique, il convient d'opérer un retour en arrière. Cet automne, Renaud Camus présente son Journal à son éditeur habituel, Paul Otchakovsky-Laurens, qui a publié les précédents volumes. Celui-ci le refuse, en raison des passages antisémites aujourd'hui incriminés. En 1997, il avait déjà refusé ces passages dans un précédent livre, PA, qui reprenait des éléments du Journal. En les retrouvant deux ans plus tard, à l'automne 1999, il n'a pas voulu les publier. Il n'a pas cherché à les lui faire supprimer à nouveau : «Je ne voulais plus jouer ce rôle-là», tout en regrettant ensuite de ne pas l'avoir poussé  à modifier des passages. POL avait refusé un précédent livre contenant un discours antisémite, mêlé à d'autres discours, mais parce qu'il trouvait que le projet de ce roman d'idées n'était pas abouti.

Dénoncé par Les Inrockuptibles

Renaud Camus est parti en quête d'un autre éditeur. Il l'avait fait pour ce précédent projet romanesque refusé chez POL. Au Seuil, Denis Roche avait refusé, il y a quelques années, un précédent manuscrit - et non le Journal de 1994 , contrairement à ce que nous indiquions dans Le Monde du 18 mai. «Je l'ai lu. J'ai été atterré par cette lecture. Je l'ai refusé et je n'ai plus ouvert un livre de Renaud Camus depuis.» Il avait auparavant téléphoné à Paul Otchakovsky-Laurens pour s'étonner de voir un manuscrit chez lui. Sur l'affaire, il n'a qu'un commentaire : «Je suis pour l'arrogance en littérature, mais je suis contre l'arrogance de la bêtise. » Le Journal est arrivé chez Fayard, transmis par un ami de Renaud Camus. Claude Durand l'a lu et accepté, en faisant retoucher certains passages. Depuis le départ de Jean-Marc Roberts chez Stock, il a repris en main la littérature française, qu'il veut développer chez Fayard.

Le livre paraît. La quatrième de couverture précise : «Un degré nouveau est franchi dans le dépouillement de soi, dans la franchise souvent cruelle de l'autoportrait à travers le temps, dans l'abandon des prudences personnelles, des précautions sociales et des pudeurs d'opinion.» Personne ne semble s'en émouvoir chez Fayard. Le livre est chroniqué dans des journaux - Libération lui consacre trois pages - ou des émissions littéraires. Jusqu'à ce que Marc Weitzmann, dans Les Inrockuptibles, souligne les passages mettant en évidence l'antisémitisme de l'auteur.

A partir de là, la polémique est devenue publique. Radio France et France-Culture prennent leurs dispositions pour une action judiciaire en référé. La ministre de la culture, Catherine Tasca, intervient. Fayard retire le livre de la vente, après un conflit entre Claude Durand et son vice-PDG et successeur désigné, Olivier Bétourné. Les remous atteignent l'université Yale, aux Etats-Unis, où a lieu un colloque consacré à Renaud Camus.
 

Un texte de soutien à l'écrivain dénonçant le retrait de la vente du livre et le «lynchage médiatique» dont il ferait l'objet a été signé par des amis de Renaud Camus et plusieurs écrivains et personnalités, comme Pierre Bergé, Emmanuel Carrère, Frédéric Mitterrand ou Dominique Noguez (Le Monde du 18 mai). En réponse, une autre pétition, signée notamment par Michel Deguy, Jacques Derrida, Claude Lanzmann, Philippe Sollers, Jean-Pierre Vernant (Le Monde du 25 mai), estime que «les propos de Renaud Camus sont des opinions criminelles, et donc que défendre, publier, republier son livre au nom de la liberté d'expression, ou pour toute autre raison, c'est, qu'on le veuille ou non, défendre ou publier des opinions criminelles et condamnables». Dans un entretien à L'Evénement du jeudi du 25 mai, Bernard-Henri Lévy regrettait le retrait de la vente, en estimant : «On a évacué le problème en enlevant le livre des librairies. On a retiré l'objet du scandale et empêché qu'on aille au bout de la question.»

Ces positions ont entraîné des réactions de l'éditeur de ce volume du Journal, Claude Durand, qui n'avait pas voulu s'exprimer jusque-là. Dans une lettre au Monde (nos éditions datées 21-22 mai), il estimait que la liberté d'expression imposait à un éditeur d'«accorder le bénéfice de la bonne foi, voire l'hospitalité aux mal-pensants, aux mal-parlants et autres "déviants" de l'écrit», même si les opinions d'un auteur sont «diamétralement opposées à ses propres convictions». Enfin, dans une tribune à Libération du 30 mai, il répond à «MM. les censeurs» qui s'opposent à la reparution du livre.

Claude Durand réserve les explications sur les raisons de la publication du texte du Journal à l'avant-propos qu'il envisage pour la reparution de La Campagne de France. Il n'a pas fait vérifier la première version du texte par un avocat, car «mon impression était qu'il n'y avait pas de danger». Mais «un climat général peut modifier une appréciation», reconnaît-il aujourd'hui. La quatrième de couverture de La Campagne de France évoque «la décision de l'écrivain de brûler tous ses vaisseaux. Aucun retour possible. Le grand feu dure encore». L'incendie n'est pas près d'être éteint.
 
 
 

Alain Salles