On a volé le corps de l'auteur
Par Franck Smith
 
 

L'élément le plus frappant, dans ce qui devient pitoyablement «l'affaire Renaud Camus», c'est comment on revendique une allure de débat à partir de pétitions signées par des écrivains, des intellectuels a priori tout autant respectables que l'incriminé. C'est comment l'intellectuel qui reste voracement seul au-devant de sa page ou derrière les concepts à manipuler, intimement non organisé par insurrection contre la ritournelle ambiante, cesse soudain toute dépravation spontanée et affirme en collant son nom à une liste une subjectivité, c'est-à-dire s'assigne une place aux contours bien précis. L'écrivain, intellectuel, faute d'être assimilé à un nomade pernicieux, prend alors position pour ou contre.

Ce que je voudrais remettre non en cause mais en question, en pourparlers, c'est le problème de la mobilité, la mobilité des personnes bien-pensantes elles-mêmes, la mobilité des idées bien-pensantes elles-mêmes. Regardez comment on force ici l'écrivain, l'intellectuel, le corps de l'écrivain, le corps de l'intellectuel, à revêtir à tout pris la forme d'un écrivain, d'un intellectuel pour ou contre. Renaud Camus pourra bientôt s'écrier comme Antonin Artaud dans Pour en finir avec le jugement de Dieu: «On a volé mon corps». Car c'est cela qui pose fondamentalement problème (en dehors de la catastrophe ou non des propos tenus par Reanaud Camus lui-même dans son livre maintenant disparu des librairies): la facilité avec laquelle on sollicite et l'on répand des avis avisés d'écrivains, d'intellectuels, l'obstination à tuer le corps vivant de l'écrivain autre, le corps de Renaud Camus, en le blessant à coups de cris percés depuis le promontoire d'un establishment germanopratin:
1) en l'excluant du débat, mais y a-t-il ici un véritable débat?
2) en retirant le livre concerné pour que le lecteur évite de formuler son propre jugement,
3) en organisant un corps défendant d'écrivains pour ou contre l'un de ses confrères.
Une fois encore la machine de l'interprétation est en marche: tuons-la, tuons ce qu'elle apprête à tuer sinon on est foutu, pris au piège d'une puissance despotique. Le seul cri qui vaille, c'est celui de la voix et du geste qui consiste à en sortir - on n'est jamais sauvé par rien - et ce n'est pas la résurrection d'un oui ou d'un non avec Renaud Camus qui va libérer ceux qui l'auront prononcé.

Franck Smith