Pétitions, politique et longueur du pénis
Par Rudolf Walther

L'écrivain Renaud Camus est-il un antisémite ? Une querelle littéraire française.
 
 

Il n'a en commun avec Albert Camus que le nom et le métier. Renaud Camus est écrivain et écrit depuis plus de vingt ans des livres qui «ne sont ni lus, ni connus», comme l'a remarqué Philippe Lançon dans Libération. Cela n'est pas exact en ce qui concerne du moins un livre de Renaud Camus, Tricks, que Roland Barthes a préfacé en 1979 et qui fut couronné de succès. Mais Camus en ce moment précis est en train de devenir célèbre. Une querelle littéraire se déchaîne depuis trois semaines dans les pages culturelles de la presse française.

L'occasion en est fournie par le journal de Renaud Camus paru sous le titre: La Campagne en France. Camus est un auteur aussi passionné qu'heureux dans l'aveu, qui ne recule devant rien et développe de préférence ses thèses «jusqu'au malentendu et jusqu'à l'absurde» (Alexandre Albert-Galtier dans Le Monde). Suivant le goût de chacun, on peut interpréter le fait que l'homosexuel épris de confession raisonne sur les dimensions de son pénis comme un signe de franchise, de narcissisme, ou de la seule gêne qu'il inspire. Il assène à présent un grand coup résolu, non pas avec l'intime, mais avec ses considérations sur le fonctionnement des media.

Il a remarqué à propos de l'émission de radio de France-Culture Panorama, qui n'existe plus aujourd'hui, que «les collaborateurs juifs (y sont) nettement surreprésentés» et prennent le soin par-dessus le marché qu'«une émission par semaine au moins soit consacrée à la culture juive, à la religion juive, à des écrivains juifs, à la vie des Juifs en France et de par le monde, aujourd'hui ou à travers les siècles». A un autre endroit, Camus s'interroge sur la composition en proportions d'un débat, et considère que «la proportion de non-juifs» comme «infime, sinon inexistante. Or je trouve cela non pas tout à fait scandaleux, peut-être, mais exagéré, déplacé, incorrect. Et non, je ne suis pas antisémite. Et oui, je trouve que la race juive a apporté à l'humanité une des contributions spirituelles, intellectuelles et artistiques parmi les plus hautes qui soient (...) Mais non, non, et non, je ne trouve pas convenable qu'une discussion préparée, annoncée, officielle en somme, à propos de l'intégration dans notre pays, sur une radio de service public (...) se déroule presque exclusivement entre journalistes et intellectuels juifs ou d'origine juive.»

Cela et quelques autres aveux ont déclenché une telle tempête que l'éditeur a retiré le livre du marché en mai, étant donné que Laure Adler, la directrice de France-Culture a brandi la menace d'une plainte pour «incitation à la haine raciale». La nouvelle ministre de la culture Catherine Tasca a également désapprouvé les attaques antisémites.

Le débat est devenu énergique : de Marianne jusqu'au conservateur Figaro, "l'affaire Camus" a constitué un thème. Après que d'éminents intellectuels tels Bernard-Henri Lévy et Philippe Sollers ont accolé à Camus l'étiquette d'antisémite, des défenseurs de ce dernier se sont proposés par écrit. Ils ont protesté, dans une pétition accompagnée de cent signatures, non seulement contre la décision de l'éditeur («un livre a disparu»), mais encore contre la réduction de l'auteur au néant par les media «dans un climat d'oppression que nous trouvons inquiétant». La pétition parlait de «réserves» quant à des phrases particulières et se réclamait, de l'avis général, des principes de la liberté de pensée, que menaçaient l'éditeur et les gens hystériques des media.

Les amis de Camus sont allés encore plus loin. Le peintre Christian Combaz a déclaré que Camus étant un «écrivain homosexuel», il était «par tendance naturelle un défenseur des minorités», et par conséquent ne pouvait par conséquent pas être un antisémite. C'est cette logique entêtée qui a soutenu  Camus dans sa thèse selon laquelle la langue, la culture, et la civilisation françaises sont quelque chose de congénital, et que «les Juifs qui» sont devenus «français depuis une ou deux générations» ne pouvaient pas «participer directement de cette expérience».

Ayant occupé le créneau de vente de l'anticonformisme, le philosophe Alain Finkielkraut s'est fait l'un des plus bruyants seconds de Camus. Finkielkraut mène depuis des années une guerre acharnée à propos de la préservation de la langue française, de l'«identité nationale» et de la «république». Il place Camus dans cette tradition «normale» et explique ses propos antisémites comme étant une gaffe. Finkielkraut rejette certes des remarques détachées comme étant des «mots indignes», mais il loue explicitement un passage dans lequel Camus traite de l'immigration et avance qu'il devient difficile de voir qui en France fait figure d'hôte et qui fait figure d'hébergé. Finkielkraut ne voit aucune affinité entre les «mots indignes» sus-nommés et l'idéologie raciste, mais y découvre «une pensée en mouvement, qui avance à tâtons, se renseigne, se met elle-même en question».

L'éditeur Fayard s'est engagé dans une contradiction inconfortable. Le directeur, Claude Durand, a justifié le projet de nouvelle publication du livre, et dans le même temps il a défendu Camus dans Libération, en soutenant que ses réflexions sur «le droit d'hospitalité réduite sans intégration, sauf pour  les étrangers aisés» correspondaient tout au plus à la politique suivie dans l'Europe des accords de Schengen, ou à la politique d'immigration et d'asile de la Suisse.

Des propos isolés venant du côté de Fayard annoncent que l'on souhaiterait lancer à nouveau le livre, dans une version nettoyée de ses aspects les plus brutaux. Le chef du groupe auquel appartient Fayard, Etienne Cohen-Seat, donne bien sûr peu de chances à ce projet de se réaliser, et il a expliqué succinctement: «Le livre de Renaud Camus pue».

Rudolf Walther