Sur une polémique
extrait du livre
28 raisons de se faire détester
chroniques littéraires
Par Marc Weitzmann

[ Ce texte est une sorte de "chapeau" que donne aujourd'hui Marc Weitzmann à son article De l'in-nocence (cité plus haut), à l'occasion de la reprise en recueil de cette chronique parue dans Les Inrockuptibles en avril 2000].
 
 
 

Parus au printemps 2000, les quelques 4500 signes ci-dessous ont le douteux privilège d'avoir déclenché ce que l'on a appelé «l'affaire Camus». Des enjeux de pouvoir éditoriaux et journalistiques, et non, contrairement à une rumeur persistante jusqu'aujourd'hui, un spectral «lobby juif» dans la presse, ont donné à cet article une importance dont j'étais loin de me douter en l'écrivant.

Mettons donc les choses au point : la seule phrase vraiment problématique selon moi du livre de Camus mis en cause - celle concernant l'impossibilité pour les Juifs de «participer directement» à la vieille expérience française - n'est pas très différente sur le fond de ce qu'ont pu écrire en leur temps Gide, Goethe, Voltaire ou Diderot, pour ne citer que les plus illustres, sur le même sujet. Même si le contexte historique a, c'est le moins qu'on puisse dire, changé, c'est accorder une importance disproportionnée à ce pauvre Camus que de voir, dans ses paraphrases, l'expression d'un «nouvel Hitler», comme l'ont dénoncé certains lorsque la polémique a explosé.

La possibilité d'exprimer le pire, et de l'exprimer librement, est l'un des principes de la littérature ; et ce n'est pas, me semble-t-il, parce que Renaud Camus n'a ni l'intelligence, ni les moyens conceptuels, ni le talent suffisant pour la tâche qu'il faut le brûler vif - ni même brûler ses livres. Mais, l'hystérie accusatrice n'a eu d'égale dans cette histoire que la perversité de l'accusé lui-même, dont le déni constant fut si complet, si radical, qu'il a obligé à rappeler, tout au long de la polémique, que, contrairement à ce qu'il affirmait, son livre n'était pas victime d'une censure, mais bien d'un retrait volontaire de sa part - retrait auquel je n'appelais nullement, qui me semble le pire acte de lâcheté concevable de la part d'un écrivain (et qui de plus, dans le contexte général, m'a conféré le pénible statut de justicier dénonciateur exécuteur en chef).

On se rendra compte, je l'espère, à présent que les passions sont retombées, de la disproportion marquée entre l'article lui-même, à visée ironique (et l'ironie était également répartie entre Camus et le journal qui lui avait dressé des lauriers huit jours plus tôt), et les imprévisibles conséquences psychodramatiques que ce genre de texte provoque, dans un pays comme le nôtre. N'est-ce pas la seule question qui vaille, qu'un auteur mineur ait pu à ce point y focaliser l'attention générale ?

[Suit dans le livre de Marc Weitzmann la reproduction de son article paru dans Les Inrockuptibles  le 18 avril 2000, et qu'on peut lire sur ce site parmi les premiers "documents" réunis, en troisième position. ]