Renaud Camus,
Etranger en ce monde
Par Baptiste Liger
 

L'auteur scandaleux de La Campagne de France revient avec quatre livres, dont un essai traitant Du sens. Entretien.
 
 
 

Même si l'envie nous démange, on aurait tort de réduire Renaud Camus à la caricature du provocateur misanthrope. On se souvient encore de la polémique autour de La Campagne de France, journal de l'année 1994 de l'auteur, dans lequel il évoquait une "sur-représentation" des collaborateurs juifs au "Panorama" de France Culture. Le prétendu antisémitisme de Camus lui valut de nombreuses réactions épidermiques et quelques défenseurs, parmi lesquels un avocat inattendu, en la personne d'Alain Finkielkraut. Outre la parution de deux nouveaux volumes annuels du fameux journal (Derniers jours - 1997 et Hommage au Carré - 1998), notre homme publie également deux autres pavés, Est-ce que tu me souviens?, collage de phrases empruntées tant Gilles Deleuze qu'à Michel Houellebecq (ou La Dépêche du Midi), et un remarquable essai intitulé Du sens, dans lequel Camus s'interroge sur le scandale dont il a été l'objet, pour mieux réfléchir sur le sens et la portée des concepts de culture, de nationalité, d'éducation, etc. Et il n'est pas besoin de partager les thèses, acides et "politiquement incorrectes" (une expression qu'il détesterait), du bonhomme pour apprécier sa plume élégante, son cynisme délicat. Entretien.

Le Journal du Centre : Pourquoi, après Corbeaux, revenir sur l'"affaire Camus" avec Du sens?

Renaud Camus : Oh, mais ça n'a rien à voir... Corbeaux est un extrait du journal de l'année 2000, qui expose au jour le jour les événements de "l'affaire Camus", de mon point de vue évidemment, telle que je l'ai vécue. Du sens est un essai sur le fond (ou l'absence de fond) des questions débattues. Imaginez une guerre idéologique ou religieuse, la guerre des Albigeois, par exemple. Il y a peu de rapport (mais un certain rapport tout de même, soit) entre un récit du siège de Montségur ou de la bataille de Muret, d'une part, et un exposé des doctrines en présence...

JDC : En quoi le régime du sens dans un essai diffère-t-il de celui d'un journal?
 

R.C. : Pratiquement en tout. Il y la même différence qu'entre un costume d'après-midi pour un conseil d'administration, mettons, et une robe de chambre du matin. Dans un journal l'auteur est en déshabillé, le sens aussi. Ils font leur toilette, et ils nettoient la salle de bain, en raclant bien dans tous les coins. Le sens y a un caractère "tentative", comme on dit en anglais, à la fois de "tentative", au sens français, et de "tentation", qu'on examine avant de la rejeter éventuellement. Cela dit, un essai, comme son nom l'indique, c'est encore, mais dans une mesure bien moindre, une "tentative", qui examine le pour et le contre. Un degré plus péremptoire du sens et du discours serait le "traité", qui pour poursuivre dans la même métaphore archéo-vestimentaire correspondrait à l'habit de soirée : le sens y est sur son trente-et-un...

JDC : Vit-on réellement dans une époque de la perte du sens et de la signification ?

R.C. : Je dirais plutôt qu'on vit dans une époque de resserrement du sens sur la seule signification, et même sur l'opinion, sur le reportage, l'information, avec le triomphe de la conception journalistique du monde et l'effondrement du sentiment littéraire, c'est-à-dire de la claire conscience du caractère feuilleté, contradictoire, "bathmologique" et mouvant du sens, sa non-coïncidence avec lui-même.

JDC : On a (trop) peu lu d'articles sur vos ouvrages depuis l'affaire Camus. Croyez-vous être victime d'un boycott dans les rédactions parisiennes ?

R.C. : Oh non, je suis paranoïaque, mais tout de même pas à ce point-là ! Il s'agit certainement d'une coïncidence... Il est vrai que je parle très librement des journaux comme de tout, vrai aussi que les médias sont parmi nous le principal pouvoir, et  concentré comme jamais. Mais je ne peux pas croire qu'ils profitent de leur pouvoir pour se venger sur moi, et vous ?

JDC : Après Le Département de la Lozère et Le Département du Gers, accepteriez vous de rédiger Le Département de la Nièvre ?
 

R.C. : Pourquoi pas... D'autant que j'ai beaucoup de souvenirs d'enfance, entre Decize et Avril-sur-Loire...
 
 

Baptiste Liger

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Derniers jours - Journal 1997 - Renaud Camus. Fayard. 426 pages. 23 euros.
 

Hommage au Carré - Journal 1998. Fayard. 596 pages. 25 euros

Du sens, POL. 552 pages. 25 euros

Est-ce que tu me souviens?,  POL. 458 pages. 23 euros