Corbeaux. Journal 2000

sans dateJeudi 29 juin 2000, sept heures du soir. Je n’ai pas vu Le Monde d’aujourd’hui, mais j’imagine qu’il ne comportait pas le fameux article de Claude Lanzmann, on me l’aurait signalé. On me signale en revanche un grand article d’Artpress, extrêmement hostile bien entendu.

Un premier billet de Jacques Henric avait ouvert le ban le mois dernier, et annonçait une étude plus poussée sur “l’affaire”, celle qui paraît aujourd’hui. Elle ne me met pas seul en cause, elle s’en prend très violemment aussi à Marcheschi, qu’elle traite même de “criminel”, si mes renseignements sont exacts. Je n’ai de renseignements que par lui, qui lui-même n’avait d’autres nouvelles, sur ce point, qu’un message de Sophie Barrouyer sur son répondeur. Être mis en cause ne fait que l’amuser, apparemment. Il sait bien qu’on ne peut lui reprocher rien d’autre que son amitié pour moi, et l’action en ma faveur que cette amitié l’a amené à entreprendre. Et de ceci comme de cela, il se targue.

Le bonheur amoureux, d’autre part — bonheur qu’il doit entièrement à “l’affaire”, puisque c’est elle, et moi, qui avons provoqué la rencontre —, l’incite à tout prendre à la légère. Qu’Artpress le présente comme un meurtrier, et par la même occasion juge son art au-dessous de tout, lui paraît du plus haut comique. Objectivement, il n’a pas tort.

Finkielkraut est moins détaché. La charge de Lanzmann contre lui, qu’on attend tous les jours, semble lui inspirer un véritable effroi. Il dit que Plenel, qu’il connaît bien, a déjà reçu pour consultation la moitié de l’article annoncé. Il dit aussi que mon affaire, et ses prises de position en ma faveur, ont achevé de le brouiller sinon avec Le Monde, du moins avec les pages littéraires du Monde.

La description qu’il en donne est d’ailleurs tout à fait conforme à celle qu’apportait Marianne Alphant. Il confirme que Sollers et Josyane Savigneau constituent une dyarchie implacable et qu’un exercice obligé de tout nouveau journaliste littéraire qui veut s’attirer la faveur de Savigneau est l’article dithyrambique sur la plus récente production sollersienne.

Je pense qu’il avait souhaité me rencontrer et que nous déjeunions tous les trois, Paul, lui et moi, avant de donner une réponse à Paul à propos du livre que celui-ci voudrait qu’il fît sur “l’affaire”. J’espère que cette réponse sera positive car un tel livre serait pour moi un élément de défense infiniment précieux.

Paul ne pense pas, en revanche, que la publication de Corbeaux, ce “journal avancé”, soit une réponse adéquate à la situation actuelle. « Ce n’est pas ce qu’on attend de toi », répète-t-il. Il semble considérer que le genre ni le ton ne sont au niveau de gravité que requiert le contexte. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. À aucun moment je n’ai envisagé Corbeaux comme une “réponse” de fond aux questions qui sont actuellement posées (très mal posées, à mon avis). La réponse, si c’est bien le mot qui convient, la réponse ce devrait être Du Sens. Mais pour Du Sens j’ai besoin de temps, de beaucoup de temps (même si le projet est très antérieur à la crise présente). Corbeaux n’a rien à voir avec cela. Ce ne serait pas un ouvrage de fond sur l’immigration, sur l’antisémitisme ou sur ce qu’il peut bien en être, ou non, d’être français. C’est un journal de bord, comme mes autres journaux. Ce serait un document, peut-être intéressant, sur la façon dont un homme vit au jour le jour, des semaines durant, et même pendant des mois, l’incroyable déversement sur lui des insultes d’une presse unanime, ou presque unanime ; et sur sa manière d’y réagir.

Nous avions envisagé Paul et moi d’inaugurer à la rentrée la publication mensuelle d’une livraison après l’autre de Vaisseaux brûlés, chacune correspondant à l’un des paragraphes de P.A, enté de tout ce qu’il s’est acquis de descendance sur la Toile. Mais, à Paul, ce projet-là ne paraît pas non plus conforme à une analyse objective du jeu dont nous disposons, et qui lui paraît très médiocre. Je sous-estime grandement, à l’en croire, les réserves — pour ne pas dire pire — qu’éprouvent les libraires à mon égard. Il me raconte que, dans une librairie, il a fallu retirer Le Répertoire des délicatesses d’une table de présentation, à la demande des clients.

Qui faut-il croire ? Ceux qui autour de moi disent que la crise a suscité dans le public beaucoup de curiosité à mon endroit, et que ce serait le moment ou jamais de se livrer à une politique éditoriale, commerciale et publicitaire expansionniste ; ou bien ceux qui, comme Paul, jugent que ma position est très gravement compromise, et pour longtemps ? Les réactions des deux éditeurs auxquels j’ai soumis Corbeaux paraissent plutôt lui donner raison à lui — presque totale absence de réactions, plutôt : l’un garde le silence le plus complet, et l’autre, appelé par Rémi Soulié, déclare qu’il n’a toujours pas commencé sa lecture. On ne peut pas exactement parler d’un grand empressement...

Aux termes d’une conversation téléphonique ce matin paraîtrait tout de même à l’automne, en novembre, le premier des Vaisseaux brûlésNe lisez pas ce livre. Pour la suite, et pour le rythme à établir, on verra plus tard. Ce que Paul estimerait être la bonne réaction à la campagne contre moi, c’est Du Sens. Mais écrire Du Sens est une lourde entreprise, et elle n’est guère avancée.

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