NON. Journal 2013

créée le mardi 6 août 2013, 0 h 27
modifiée le mardi 6 août 2013, 17 h 17
Lundi 5 août 2013, midi moins le quart.
Pierre a accroché hier, dans la première salle des Gardes, le nouveau Grand Aleph rouge, à côté du Grand Aleph jaune. Il faut maintenant faire un Grand Aleph noir, pour compléter le triptyque, destiné à se substituer à cet emplacement à celui d’Emmelene Landon, qu’elle a retiré. Le Grand noir portera la série à onze unités, tout compris, grands et petits. Le meilleur (ou le moins mauvais, bien sûr, selon les points de vue : mon favori, en tout cas) est le Petit Aleph blanc.

Ce serait un bon nom, pour un parti, L’Aleph — pas très grand public lui non plus, peut-être. Et la lettre elle-même ferait un bon emblème, encore qu’un peu compliqué, c’est à craindre…

Le P. I. avait tenté de lancer le π, à un moment de son histoire ; mais les murs de nos villes ne s’en sont pas couverts (jusqu’à présent) (sans compter que le graffito est évidemment tout à fait contraire, par définition, à la stricte doctrine in-nocente).

*

France Musique arbore depuis des semaines, sur son site et ailleurs, une bannière d’hommage à Henri Dutilleux qui proclame :

“Henri Dutilleux, le doyen et le plus grand compositeur du XXe siècle”.

Il est certes très étonnant que cette petite phrase non-phrase ait pu être conçue, pour commencer ; mais bien plus surprenant encore qu’elle puisse se maintenir en vue et en vie, contre vents et marées, depuis la mort du compositeur en mai dernier : il en va d’elle comme de ces slogans publicitaires qui ont coûté une fortune à la firme qui s’en pare, dont on se dit qu’ils ont dû être lus et relus deux mille fois par des dizaines d’experts en communication et qui néanmoins étalent une ou plusieurs éclatantes fautes d’orthographe ou de français.

Cette accroche de France Musique est absurde pour au moins trois raisons — on s’agace d’avoir à le souligner.

D’abord, qu’Henri Dutilleux soit le plus grand compositeur français du XXe siècle, c’est-à-dire d’un siècle qui a vu œuvrer Debussy, Ravel, Fauré, Messiaen et même Boulez, c’est une affirmation, au mieux, très aventurée — et je le note d’autant plus résolument que je suis très attaché à Dutilleux et à sa musique, que j’aime et admire profondément : mais plus grand que Debussy et Ravel, ça ne tient pas debout (on peut à la rigueur (extrême) considérer que Debussy est un compositeur du XIXe siècle, mais c’est tout à fait impossible pour Ravel, qui avait vingt-cinq ans en 1900 ; d’autre part je préfère Dutilleux à Messiaen, personnellement, mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est plus grand que lui).

Deuxièmement que veut dire doyen ? Dutilleux était sans doute le doyen des compositeurs français au moment de sa mort mais alors « du XXe siècle » n’a aucune signification.

Troisièmement, et c’est sans doute le plus sérieux, cette phrase nominale parvient, même sans verbe, à être totalement déséquilibrée et incorrecte syntaxiquement. Elle illustre bien l’hébétude ambiante, qui est au premier chef, j’en suis persuadé, une hébétude syntaxique, justement. Doyen de quoi ? Doyen de qui ? Des compositeurs français, sans doute. Oui, mais ces mots ne figurent pas dans la phrase. Il y est question du « plus grand compositeur français », au singulier. Ce problème-là ne se poserait pas si était écrit : « le plus grand des compositeurs français », mais ce n’est pas le cas. L’association par coordination de « le doyen » et de « le plus grand » sous le seul chapeau « compositeur français » au singulier, qui ne convient qu’à un seul de ces deux syntagmes (on ne peut pas dire le doyen compositeur français…) est donc une aberration. Or elle est très caractéristique, car la coordination abusive de verbes qui ne se construisent pas de la même façon est devenue l’une des fautes les plus courantes qu’on puisse entendre — France Culture produit de ces cuirs à la douzaine tous les matins :

« J’adore et je m’intéresse beaucoup à la grammaire ».

N’y a-t-il pas là un excellent exemple, un de plus — c’est là que je voulais en venir —, de l’état de la langue, et plus particulièrement de la syntaxe, comme représentation subliminale, ou comme reflet structurel, de l’état de la société ou de la situation historique (une relation à laquelle je crois dur comme fer) ?

Cette manie de coordonner des verbes ou des syntagmes qui ne peuvent pas coexister dans la coordination, est-ce qu’elle ne ressemble pas comme une sœur à la manie (du complexe médiatico-politique) de faire vivre ensemble de gré ou de force (mais plutôt de force, dans l’ensemble) des peuples, des cultures, des civilisations, des “communautés” qui ne le veulent pas, qui ne le peuvent pas, que tout en eux dissuade et empêche de le faire ?

De même que tout un peuple s’est mis comme un seul homme à commencer une phrase sur deux par c’est vrai que au moment, il y a une trentaine d’années, où la vérité se retirait de lui, où tout devenait faux, où le faussel inaugurait son règne (pour dissimuler le Grand Remplacement et, justement, le changement de peuple), de même la coordination abusive s’est-elle diffusée de toute part quand les pouvoirs ont voulu imposer le mariage de ce qui, de toute évidence, ne pouvait pas se marier (soit par excès soit par défaut de différence). Dans le premier cas nous avons affaire à un exemple a contrario : on dit c’est vrai que parce que tout est faux, ou bien parce que l’on tient à signaler qu’à titre exceptionnel, dans ce règne du faux, ce qu’on va dire, pour une fois, est vrai. Le second témoigne au contraire d’une homothétie entre la syntaxe et ce qui survient : mauvaise langue, pauvre France, qui l’une et l’autre s’évertuent en vain à faire tenir ensemble ce qui aime mieux mourir que de partager une phrase, un pays.

voir l’entrée du lundi 5 août 2013 dans Le Jour ni l’Heure

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