La Tour. Journal 2015

créée le jeudi 11 juin 2015, 12 h 26
modifiée le jeudi 11 juin 2015, 14 h 41
Mercredi 10 juin 2015, une heure du matin.
J’ai déploré, et jusqu’en mon article hebdomadaire pour “Boulevard Voltaire”, hier (il est paru ce matin), le brévissime voyage de Manuel Valls à Berlin parce que je trouve déplacé, de la part d’un Premier ministre en exercice, d’aller soutenir à l’étranger une équipe étrangère, surtout si elle se trouve être celle de sa ville natale ; et surtout parce que je ne trouve pas digne du chef de gouvernement d’un grand pays d’aller se compromettre — et le lendemain encore au stade Roland-Garros — dans ces milieux du sport spectacle qui sont gangrenés jusqu’à la moelle et se trouvent à l’épicentre de l’industrie de l’hébétude. Le seul sport que devrait soutenir selon moi un homme d’État, et tâcher de répandre dans la nation, c’est l’exercice personnel, individuel, ou bien, pour les activités collectives, les jeux, parties et tournois des équipes d’amateurs. Les sports où s’investissent des millions n’ont pas besoin de son aide, pas plus que la musiquette que toutes les stations commerciales se disputent n’a besoin pour sa prospérité de France Culture, de France Musique ou des bons soins du ministère de la Culture.

Mais ce qui est principalement reproché à Valls n’est pas du tout de cet ordre. L’épicentre du scandale, c’est la dépense — quatorze mille euros selon les uns, dix-neuf mille selon les autres — mise indûment à la charge du contribuable par l’usage d’un avion Falcon de fonction, pour ce qui ne serait qu’un voyage privé. S’il ne s’agit que d’un voyage privé, notons-le au passage, les autres reproches tombent d’eux-mêmes, alors qu’ils me semblent de loin les plus sérieux.

Les attaques se concentrent maintenant sur la présence dans l’avion, à l’aller et au retour, des deux fils du Premier ministre, qui donc auraient voyagé gratuitement, c’est-à-dire aux frais de l’État. Je dois dire que mon sentiment sur ce point, une fois de plus, ne coïncide en rien avec le sentiment dominant, sinon général. Je ne suis certes pas un partisan de la prévarication, je trouve que concussion et détournement de fonds, de la part des hommes et femmes politiques, doivent être très sévèrement punis, mais j’estime aussi que la vie politique, qui implique tant de charges, d’ennuis, de corvées et de sacrifices, doit avoir aussi ses petits plaisirs et ses avantages, y compris pour l’entourage. Je pense surtout aux plaisirs poétiques, romanesques, à commencer par la jouissance privée, un moment privatisée, de lieux publics, ou du domaine public, d’une grande beauté, et dont l’esprit n’a de sens, d’ailleurs, que s’ils sont offerts privativement à certains privilégiés, démocratiquement choisis de préférence (pour ce qui est du domaine public). Je pense bien sûr à la villa Médicis, comme d’habitude ; je pense aussi à ce tennis installé dans les jardins du quai d’Orsay par le ministre Ribot pour ses petits-enfants, et qu’on entrevoit à plusieurs reprises dans Journal d’un attaché d’ambassade — il ne me choque pas le moins du monde, et même il me ravit.

La télévision, en guise de vertueuse contre-épreuve, exposait longuement, ce soir, les usages scandinaves, où la moindre dépense de ministre ou de haut fonctionnaire est épluchée à la demi-couronne près, et où un membre du gouvernement peut perdre sa place pour une boîte de chocolat payée de travers. Je crois n’être pas suspect de scandinavophobie, mais je dois dire trouver parfaitement ridicule et même pire (le mot qui me vient à l’esprit est minable, que j’essaie en général d’éviter…) cette surveillance épicière et tatillonne. Ce qui s’observe et s’exerce là, une fois de plus, sous couvert de rigueur démocratique et comptable, c’est la dictature de la petite bourgeoisie. Cette classe acrimonieuse et tyrannique ne peut pas supporter qu’on ne soit pas comme elle, qu’on ne vive pas comme elle, surtout si on lui appartient — or tout le monde lui appartient, au moins culturellement : elle y veille. Elle veut pour la gouverner des petits-bourgeois exemplaires, non par la vertu, mais par la médiocrité de destin. Moyennant quoi elle a fait d’un grand pays une petite nation petite-bourgeoise et médiocre, qui non seulement n’exerce plus la moindre fascination sur le reste du monde mais fait l’objet de sa part du plus profond mépris, pour l’abandon où la laissent ses “élites”, si mal nommées. Ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard, j’y songe, si cette classe politique scandinave et surtout suédoise qu’on nous présente comme tellement exemplaire, et dont les ministres descendent à Prague dans des hôtels à quatre-vingt-cinq euros la nuit (nous avons vu la facture...), est celle qu’on voit le plus efficacement trahir son peuple et le livrer sans état d’âme à la substitution ethnique et culturelle, à la violence étrangère et à la concussion importée.

Que Manuel Valls ait fait profiter ses fils de deux places vacantes dans son avion ministériel, je trouve cela plutôt sympathique et gentil, personnellement. En tout cas ce n’est pas du tout ce que je lui reproche.

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