Juste avant après. Journal 2017

créée le vendredi 31 mars 2017, 15 h 49
modifiée le vendredi 2 février 2018, 18 h 00
Plieux, jeudi 30 mars 2017, une heure du matin.
Au fond, le jour où j’ai rencontré Marc Weitzmann au café Beaubourg, en avril 2000, à l’orée de ce qui allait devenir grâce à lui l’“affaire Camus”, je ne comprenais pas du tout ce qui se passait. Il voulait m’entendre confirmer que j’avais bien parlé d’une race, à propos des juifs. Je l’ai fait bien volontiers, tout en m’inquiétant de le voir y tenir si fort. La vérité est que nous ne nous mouvions pas dans le même espace-temps. Je parlais de races à propos des juifs (comme Léon Blum), à propos des Français (comme toute notre littérature et Georges Pompidou), à propos des Wallons, des Romands, des Morot-Chandonneur, des amateurs de Sancerre, des Mérovingiens, des marins d’eau douce, des architectes brutalistes. Je n’avais pas la moindre idée que le mot fût interdit, ni que la chose eût été déclarée n’exister pas. Tout cela s’était passé dans un monde, celui des “intellectuels”, des journalistes, ce qu’on pourrait appeler la société post-littéraire, qui m’était complètement étranger. Je ne savais pas non plus, bien que le phénomène fût alors vieux d’un quart de siècle, que les antiracistes, qui avaient banni ce terme de race, l’avaient pris exclusivement, pour ce faire, et le prenaient encore, très étrangement à mes yeux, à mes oreilles, dans le sens très étroit, biologique, que lui avaient donné, encore un ou deux quarts de siècle plus tôt, les racistes. La connaissance de ces préceptes, de ces convictions, de ces dogmes, tout cela me faisait entièrement défaut. C’était l’esprit et la langue d’un milieu que je ne connaissais pas :

« Ah, vous vous êtes bien protégé des sciences humaines ! », dit Finkielkraut, cette année-là, quand il vit ma bibliothèque, ici même.

Weitzmann, lui, au contraire, était tellement comme un poisson dans l’eau au sein de ce corpus d’interdits qu’il ne pouvait pas imaginer qu’on ignorât ces choses-là, et qu’il mettait d’emblée les témoignages de l’ignorance où j’étais d’elles sur le compte de la méchanceté, de l’animosité, de la volonté délibérée de nuire. Nous ne risquions pas de nous entendre. Néanmoins, découvrant l’appareil des vérités à connaître pour vivre tranquille, heureux, aimé et populaire dans la société contemporaine, j’étais prêt à faire amende honorable et à en adopter, même, les principaux articles. On me les apprenait, il est vrai, à la manière forte ; et cette brutalité aurait dû m’alerter. Pourtant j’ai mis des années à me rendre compte que cette bonne doctrine qu’on prétendait m’imposer comme allant de soi, et qui régnait seule, avec en son centre le dogme formidable de l’inexistence des races — frère puîné de l’inexistence des classes, fratrie à laquelle viendrait s’ajouter un peu plus tard, sous les espèces de la théorie du genre, l’inexistence des sexes —, était précisément ce qui nous tuait, et que je combattais comme un beau diable d’autre part : l’invasion, la colonisation de notre pays et de notre continent, l’effacement de notre culture et de notre civilisation, la dilution génocidaire de notre race, la fabrication industrielle de l’homme remplaçable.

L’alignement de la race sur la seule définition qu’en ont donnée les racistes (et que je ne connais même pas, tant ces choses-là me sont extérieures et indifférentes), puis, appuyée sur ce tour de passe-passe liminaire et capital, la proclamation urbi et orbi de l’inexistence des races, voilà ce qui seul a permis l’invasion, la submersion ethnique et migratoire — qu’il devenait dès lors absolument impossible de critiquer, et même de nommer, et tout simplement de voir, d’apercevoir, et a fortiori, d’admettre comme un désastre, comme un motif de désolation et d’horreur. C’est pourquoi on ne fera pas l’économie du saut périlleux sémantique, si l’on veut se révolter, ce qui est passionnément mon cas. Après tout il n’y a qu’en France, que la race est interdite.

À la vérité, par mon extrême isolement intellectuel, par mon inappartenance à tout groupe, par ma phobie du collectif, j’ai bénéficié d’un long sommeil — comme d’autres échappent à l’ignorance et à l’enseignement de l’oubli en n’allant pas à l’école. 

voir l’entrée du jeudi 30 mars 2017 dans Le Jour ni l’Heure

Journal Vaisseaux brûlés Livres en ligne Le Jour ni l’Heure Plickr Librairie Galerie Vie & œuvre Index Liens Courrier
accueil général du site
Ce bouton permet de se déplacer rapidement dans le site de Renaud Camus.

masquer les messages d’aide
Ces boutons fléchés permettent de consulter les différentes entrées du journal de Renaud Camus.

Les autres boutons vous proposent diverses options. Survolez-les avec la souris pour en savoir plus.

masquer les messages d’aide