Juste avant après. Journal 2017

créée le mardi 22 août 2017, 15 h 28
modifiée le vendredi 2 février 2018, 22 h 07
Plieux, lundi 21 août 2017, une heure du matin.
Je reviens sur l’écoute de France Musique la nuit dernière, qui m’a laissé stupéfié : qu’on puisse en être arrivé là — grosse saucisse continue de musique médiocre, en l’occurrence (mais là n’est pas la question), morceaux pris en cours d’exécution, interrompus en cours d’exécution, sans aucune précision donnée sur ce qu’ils sont, ni sur leurs auteurs. Non, rien, seulement l’indication “Nuit classique”, entre les pièces. Et cela non pas à quatre heures du matin, où ce serait d’ailleurs presque aussi inexcusable, mais juste après minuit, un moment où l’on suppose qu’il peut y avoir encore beaucoup d’auditeurs, où il n’y a rien d’extraordinaire à souhaiter, de leur part, entendre encore un poste musical.

  Toujours au cœur de la déculturation, la disparition du nom : sur Canal-Satellite, même la chaîne supposément cinéphile, quand elle annonce les programmes, ne donne plus le nom des réalisateurs, ni d’ailleurs les dates. La culture, pendant les deux siècles qu’elle a régné — entre l’âge aristocratique de l’art et l’âge petit-bourgeois du divertissement —, ce fut le temps de l’attribution (et de la datation). Nous entrons dans un monde désattribué, où rien ne sera de personne, sinon des simples interprètes (et parfois même pas) ; ou tout flottera dans un nuage d’abrutissement collectif. 

La décadence des deux stations jadis culturelles, c’est-à-dire destinées au public cultivé, a quelque chose d’hallucinant, tant elle est vertigineuse. Jadis on était tenté de tenter sa chance, on allumait ces postes au hasard, en se disant qu’il y avait une possibilité sur deux au moins de tomber sur quelque chose de beau et d’intéressant. Mais maintenant c’est devenu si rare, les chances sont si faibles que, découragé, on n’essaie même plus. Pourtant il y a encore quelques émissions audibles — ainsi, ce matin même, sur France Culture, à propos de l’histoire de la langue française, avec Pascal Quignard, quelque chose sur Nithard à Saint-Riquier, et sur le serment de Strasbourg, narré par ce haut dignitaire et peut-être préparé par lui, le premier “écrivain français”. Mais on rate ces vestiges d’époques plus heureuses par manque d’envie de mettre la radio, tout simplement, et par crainte de l’horrible son, celui-là même de la bêtise et de la laideur, qu’on rencontre presque chaque fois quand on tourne le bouton par hasard.

Jadis j’aimais beaucoup les accents étrangers, comme celui de cette Anglaise dont j’oublie le nom, qui était très présente sur France Musique, il y a trente ans — non, si, Mildred Clary. Mais maintenant qu’on n’entend plus qu’eux ils sont insupportables. Ils ne sont pas nécessairement ceux d’étrangers, d’ailleurs. À la télévision cette fois, sur France 2, il y a cette journaliste au nom bien français, fameuse au moins à la cour de Plieux, qui combine le ton inculte, l’élocution populaire, une voix bizarre, un fort accent de je ne sais quel Midi et une solide formation aux modalités caricaturales de l’élocution journalistique, avec accentuations de hasard parce qu’on lui a appris qu’il ne fallait rien laisser perdre, le tout pour un sabir stupéfiant, à la fois effroyable et fascinant, où pas une seule syllabe n’est juste, musicalement ni linguistiquement : comme un musicien dont toutes les notes sans exception seraient fausses. Je veux bien qu’il ne faut écarter personne des cénacles médiatiques, que tous les nivaux sociaux et culturels, toutes les origines et tous les handicaps éventuels doivent être également représentés et avoir voix au chapitre ; mais est-il bien raisonnable d’imposer à la France entière, et à des enfants ou adolescents au stade d’initiation au français, des tératologies pareilles, qu’ils ont toute chance de prendre pour normales ? Comme disait ma pauvre mère, exprimant un souci qu’au moins je n’ai pas, « comment voulez-vous élever des enfants dans ces conditions ? ».

Le même France 2, en la personne de l’excellente Leïla Kaddour-Boudadi, annonçait qu’on allait à présent se tourner vers la culture, samedi soir, ou peut-être vendredi. Et en effet  :

« On s’arrête un moment sur la carrière de Madonna ».

Elle aurait pu dire aussi bien qu’on allait se tourner vers la musique. La musique est à l’hypercentre du changement de sens des mots, du changement de sens de la culture, du changement de société et finalement du changement de race, que permettent seuls les précédents. Culture et musique ont changé de sens par dilution, et ne veulent plus rien dire, race a changé de sens par extrême concentration au contraire, concentration sur le sens des racistes, dont il était bien facile d‘établir qu’il était sans pertinence “scientifique” — et le mot a perdu dans l’opération les neuf dixièmes de sa signification.

Le résultat de tous ces retournements est la société de l’hébétude, sécrétée par l’industrie du même nom. On y tue moins par passion que par imitation, gâtisme précoce, désœuvrement hagard de tout l’être. 

voir l’entrée du lundi 21 août 2017 dans Le Jour ni l’Heure

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