La Ligne claire. Journal 2019

créée le dimanche 17 mars 2019, 0 h 23
modifiée le dimanche 17 mars 2019, 18 h 27
Plieux, vendredi 15 mars 2019, une heure et demie du matin.
Tous les traits de la situation que je décrivais hier ont été aujourd’hui accentués cent fois. La journée n’a été qu’un épuisant maelström, d’où est ressortie tout du long mon incapacité à faire front de tous les côtés à la fois. Néanmoins, et comme tu le constates, Gabriel, je suis toujours là.

À Christchurch, en Nouvelle-Zélande, un illuminé australien nommé Brenton Tarrant a perpétré dans deux mosquées deux affreux massacres, tuant en tout quarante-neuf fidèles musulmans en prière. Petite catastrophe personnelle, pour moi, à l’intérieur du grand désastre néo-zélandais, et mondial, ce furieux est l’auteur d’une brochure intitulée — il ne manquait plus que ça ! — The Great Replacement. Il a d’autre part séjourné assez longuement en France, il y a deux ans (au moment de l’élection d’Emmanuel Macron). Coïncidence de titre, piste française : il n’en fallait pas plus pour que les médias du monde entier remontent jusqu’à moi, et me désignent comme inspirateur et responsable de la tragédie. L’amalgame, jadis honni et traîné dans la boue quand certains étaient tentés de faire un rapprochement entre les tueurs islamistes et les paisibles musulmans, ou avec le Coran, reprend du service, tout à fait blanchi, toutes ses tares oubliées, afin d’opérer la liaison entre le tueur antiremplaciste et moi, ou avec Le Grand Remplacement. Pour la clique globale les sourates n’ont jamais tué personne, naturellement, mais mes infortunés paragraphes, qui pourtant n’appellent à rien moins, eux, ont du sang sur les lettres.

Les musulmans sont particulièrement remontés et menaçants. L’ancien sous-préfet, aujourd’hui à Grenoble, croit savoir par les Renseignement généraux que je suis en danger, et me fait conseiller par Philippe Martel de quitter Plieux, au moins pour huit ou dix jours. Hélas je ne vois pas comment je pourrais m’éloigner : ma carte bleue ne fonctionne pas, et j’ai une infinité de détails à régler avec Karim Ouchikh et son équipe, pour le lancement de La Ligne claire. Nous nous sommes contentés ce soir, Pierre et moi, de barricader la porte d’entrée, avec une échelle. Ce qu’il faudrait c’est que la voisine ait un chien, qui aboie à la moindre alerte…

Bien entendu, et même en dehors de cette considération que son geste est diamétralement opposé, il va sans dire, à tout ce que j’ai jamais pu suggérer ou recommander, il est assez probable que l’individu, d’après le profil qui s’esquisse de lui, n’a jamais lu une seule ligne de moi. Mon nom ne figure d’ailleurs pas, heureusement, dans une liste de ses inspirateurs et objets d’admiration, dont je crois comprendre que la plupart sont des tueurs comme lui, ou des “théoriciens” du massacre, ou les deux, à la Breivik. Il ne serait d’ailleurs pas moins invraisemblable d’interpréter le séjour en France de ce Tarrant comme une initiation au terrorisme, à travers tous les attentats meurtriers dont notre pays a été le théâtre, que comme un stage de formation, par infusion, à ma réflexion politique : après tout, son crime, mosquées en sus, ressemble plus aux tueries du Bataclan ou de Nice qu’à l’esprit de mes pauvres ouvrages.

N’importe : Grand Remplacement — c’est tout ce que retiennent les journalistes, et cela d’autant plus que le meurtrier a déclaré que ce qui l’avait le plus poussé au passage à l’acte, c’était le spectacle des petites villes et des villages français, où les envahisseurs sont partout. L’entretien auquel j’avais travaillé hier pour “Boulevard Voltaire”, sur un tout autre sujet (mon succès contre Moix), n’a pas été publié ce matin sur ce site, où l’on a sans doute estimé que je sentais trop le soufre, aujourd’hui ; en revanche j’ai donné toute la journée des interviews écrites ou parlées au Washington Post, à The Atlantic, à l’agence France Presse, à ABC, de Madrid, au Wall Street Journal, et à quelques autres organes de presse que j’oublie. C’est une expérience singulière que ces conversations avec des journalistes souvent très aimables (pas toujours : quelques-uns n’arrivent pas à dissimuler leur haine, ou n’essaient même pas…), dont on sait bien que, dans neuf cas sur dix, ils vont se mettre à écrire sur vous des horreurs, à peine l’appareil reposé.

Le plus surprenant de ces échanges était avec le journaliste du Wall Street Journal, un Français, apparemment (aucun accent), qui a fini par donner à la conversation un tour tout à fait mondain : il m’a même rappelé pour avoir des détails sur mes liens avec Andy Warhol, et il désirait savoir si je vivais seul, dans mon château médiéval ; et si c’était moi qui le faisais visiter, quand des visiteurs se présentaient. J’ai fini par avoir quelques soupçons (un assassin préparant son coup ?) ; mais je vois qu’un article est bel et bien paru, dans le Wall Street Journal en ligne — je ne peux d’ailleurs pas le lire, mais je n’en aurais guère le temps, de toute façon.

L’article le plus fair-play, à ma grande surprise, est celui du Figaro, qui ne fait d’ailleurs que reprendre la dépêche de l’AFP. À ceci près que le journaliste ne sait pas écrire in-nocence, mais c’est bien excusable, tout est à peu près exact, là ; et mes déclarations sont reproduites fidèlement. Le mérite en revient d’ailleurs à l’AFP plus qu’au Figaro, je crois, parce que d’autres rédactions s’expriment exactement dans les mêmes termes, qui dans l’ensemble ne me sont pas trop défavorables.

Comme il fallait s’y attendre l’article le plus hostile est celui du Monde. Toutefois il est bien plus remarquable par son invraisemblable nullité que par sa hargne, pourtant vive, à mon endroit. Les contributeurs se sont pourtant mis à quatre pour venir à bout de la tâche : un échotier d’officine, qu’on sent coutumier des basses œuvres et des mauvais coups, et quelques thésards impatients de placer des références absconses à leurs petits travaux, n’eussent-ils strictement rien à voir avec les miens. Le résultat doit être un des points les plus bas jamais atteints, et ce n’est pas peu dire, par l’ex-journal de référence depuis le début de sa longue dégringolade morale, déontologique et professionnelle. C’est absolument fascinant. Pas une information qui ne soit fausse, ou, sinon fausse, approximative, floue, forcée, confuse, vague, emberlificotée, tendancieuse, inexacte. Avec beaucoup d’autorité toute sorte de tournures me sont prêtées entre guillemets ou en italiques, quoiqu’elles n’aient jamais paru sous ma plume. Il est beaucoup question des remplaceurs, par exemple, mot que je ne sache pas avoir jamais utilisé. Un des plus beaux passages soutient que Soumission procède très largement de conversations entre Houellebecq et moi (qui ne nous sommes jamais rencontrés, ni seulement parlé) — il va être content, Houellebecq, si cet infâme brouet arrive jamais jusqu’à lui…   

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