Journal 2024

créée le dimanche 10 mars 2024, 12 h 38
modifiée le lundi 11 mars 2024, 10 h 28
Plieux, dimanche 10 mars 2024, quatre heures de l’après-midi.

Me Rimokh et quelques autres ont eu la gentillesse de m’envoyer le long article qu’Eugénie Bastié consacre, dans Figaro-Vox (uniquement en ligne ?) aux relations entre Alain Finkielkraut et moi. Le voici :

« “Renaud Camus et Alain Finkielkraut  : les liaisons dangereuses”

« RÉCIT - Dans son livre Pêcheur de perles (Gallimard), l’académicien consacre un chapitre à l’auteur du Grand Remplacement qu’il juge injustement ostracisé de la vie intellectuelle. S’il assume ses désaccords avec les surenchères sémantiques de l’écrivain, il défend celui qu’il considère comme l’un des plus grands prosateurs de la langue française. Enquête sur une amitié littéraire qui survit cahin-caha aux désaccords et aux censures.

« Ce n’est pas vrai.. vous n’avez pas fait ça… vous avez dit “bonjour” à Renaud Camus ? Vous savez que c’est pire que de faire un doigt d’honneur à la reine d’Angleterre ? » s’effare Alain Finkielkraut en se prenant la tête dans ses mains d’un air consterné… Ce “bonjour” sec, en guise de salutation, l’auteur du Répertoire des délicatesses du français contemporain en fait le summum de la vulgarité, indigne même d’une lettre de l’administration des impôts.

« C’est que Renaud Camus n’est pas pour Alain Finkielkraut, le fameux “théoricien-de-la-thèse-d’extrême-droite-complotiste-du-Grand Remplacement” tel qu’il est présenté dans les médias : il est d’abord le penseur de l’affaissement démocratique, le champion subtil de la langue, le contempteur des éoliennes, le défenseur du paysage, l’analyste aristocratique de la “dictature de la petite bourgeoisie”. Dans son dernier essai Pêcheur de Perles (Gallimard), l’académicien entreprend de défendre celui qu’il décrit à la fois comme “le plus grand pestiféré de notre temps” et “l’un des plus grands prosateurs de la langue française”.

« “Le destin de la langue française” : tel était le thème de l’émission Répliques du 15 avril 2000, où Alain Finkielkraut invite pour la première fois Renaud Camus, en compagnie d’un autre futur paria, l’écrivain Richard Millet. Camus n’est pas alors l’infréquentable penseur d’extrême droite, mais le sulfureux auteur de Tricks, un récit de ses aventures homosexuelles préfacé par Roland Barthes, qui, s’il se laisse parfois aller à quelques critiques antimodernes, est publié dans la très prestigieuse maison P.O.L.

« Renaud Camus le raconte alors dans son journal de l’époque : il est tout émoustillé d’avoir évoqué la prolétarisation de la langue française et dit du mal des enseignants. “Nous étions comme trois gamins à l’issue d’une razzia sur les confitures — un peu confus, légèrement inquiets quant aux conséquences, mais assez fiers de leurs exploits…” Hélas pour lui, ce ne seront pas ses audaces sur France Culture qui lui vaudront dérapage mais des propos écrits sept ans plus tôt dans son journal.

« 2000 : l’affaire Renaud Camus

« Car le lendemain de cet enregistrement, “l’affaire Renaud Camus” démarre. Le journaliste Marc Weitzmman exhume des passages du journal de Renaud Camus de 1994 La Campagne de France où il écrit à propos de l’émission Panorama sur France Culture : “Cinq participants, et quelle proportion de non-juifs, parmi eux ? Infime sinon inexistante. Or je trouve cela non pas tout à fait scandaleux, peut-être, mais exagéré, déplacé, incorrect. Et non, je ne suis pas antisémite” écrit entre autres Renaud Camus. Le journal est retiré de la vente. Pendant trois mois, les tribunes volent dans les journaux.

« Nous sommes en 2000, au climax du politiquement correct et de l’uniformité idéologique. L’intelligentsia frissonne de plaisir d’avoir débusqué un antisémite, un vrai. Dans La Face cachée du Monde, les journalistes Pierre Péan et Philippe Cohen décriront cette affaire comme “la plus insistante et la plus virulente des fatwas médiatiques qu’ait connues un écrivain en France depuis des décennies. Une fatwa dans laquelle Le Monde a occupé la position de grand ayatollah.”

« Philippe Sollers, Jacques Derrida, Jean-Pierre Vernant, Claude Lanzmann accablent Camus.

« Finkielkraut décide de le défendre : “Dans les couloirs de France Culture, c’était l’ébullition, Laure Adler [la patronne de la chaîne à l’époque] déclarait ‘Camus, c’est pire que Hitler !’. Voilà ce que j’entendais. Je me suis dit que ce n’était pas possible, et c’est là que j’ai commencé à prendre sa défense, qu’une relation est née avec lui, et que j’ai commencé vraiment à le lire”.

Mort civile

« Quand on entre dans le château de Plieux perché sur une colline du Gers, où Renaud Camus vit en ermite graphomane (le mot ne le vexe pas) depuis plus de trente ans on aperçoit dans l’escalier en bois deux portraits de la main du châtelain : celui d’Emmanuel Carrère et celui d’Alain Finkielkraut. Le premier a rompu avec lui. En 2012, il lui écrit une lettre pour lui expliquer son refus de participer au journal de son parti politique, le Parti de l’Innocence. Alain Finkielkraut lui, n’a jamais rompu avec lui. “C’est ma casserole” nous dit-il avec un air mi-inquiet, mi-gourmand, sans qu’on puisse déceler quelle est la part du frisson de l’interdit ou de l’élan vers le persécuté qui jouent le plus dans cet indéfectible soutien. Ils se lisent, ils s’écrivent, et il a fait plusieurs séjours à Plieux avec sa femme Sylvie Topaloff.

« Dans son dernier livre Pêcheur de Perles, le philosophe consacre un chapitre à cette sympathie tourmentée. Il s’ouvre par cette citation de Tocqueville sur l’ostracisme en démocratie : “Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. Quand vous vous approcherez de vos semblables, ils vous fuiront comme un être impur ; et ceux qui croient à votre innocence, ceux-là mêmes vous abandonneront, car on les fuirait à leur tour. Allez en paix, je vous laisse la vie, mais je vous la laisse pire que la mort.” Qu’en pense Renaud Camus ? “La mort civile, c’est bien ce que je vis. Il se trouve que mon tempérament fait que ça ne me dérange pas tant que ça”, nous répond l’écrivain, avec le ton las et laconique qui est le sien.

« Renaud Camus a “survécu” à la polémique de 2000. Il a même publié en 2002 chez P.O.L Du sens, l’un de ses livres les plus subtils, salué par Emmanuel Carrère. Il publiera jusqu’en 2009 dans la prestigieuse maison. Jusqu’à ce qu’il se jette à corps perdu dans la dénonciation de l’immigration. En 2010 il invente le concept de “grand remplacement”. En 2012, il soutient Marine Le Pen à la présidentielle, ce qui lui coûte son dernier éditeur, Fayard. Depuis le succès planétaire de son syntagme repris par les pires suprémacistes blancs (dont le tueur de Christchurch), et ses multiples tweets outranciers qui lui valent des procès, Renaud Camus vit une proscription littéraire unique par son ampleur.

« Privé d’éditeurs, il s’autoédite depuis des années. Aucun libraire ne voulant distribuer ses livres, il vend quasiment exclusivement sur Amazon où il est à la merci de suspensions arbitraires sous la pression d’associations militantes comme les Sleeping giants. Il a eu des difficultés avec des banques qui ont fermé successivement tous les comptes du Parti de l’Innocence. Le coup le plus rude, nous confie-t-il, a été la fermeture discrétionnaire de son compte Flickr où il avait mis en ligne des dizaines de milliers de photos : « C’était l’œuvre d’une vie, l’équivalent photographique de mon journal”. Il n’est plus invité dans aucun média généraliste.

« Sauf en 2019, où Alain Finkielkraut ose l’inviter à débattre d’immigration dans son émission face au démographe Hervé Le Bras. Face aux réactions outragées des auditeurs, Finkielkraut est sommé de s’en expliquer devant le “médiateur de France culture” : “Ce n’est pas pour choquer. C’était pour mettre fin à une anomalie. Renaud Camus qu’on ne voit nulle part a fondé une expression qu’on entend partout : ‘le grand remplacement’. Il s’agissait de le mettre face à un contradicteur”.

« Le médiateur aura beau conclure : “La liberté d’expression reste certainement la plus belle des libertés sur France Culture”, Finkielkraut nous confie qu’après cet écart, il ne pourra plus jamais l’inviter dans son émission sous peine d’être lâché par la radio publique.

« Une confrérie secrète de lecteurs

« Camus continue inlassablement à écrire, publiant chaque jour son journal en ligne qui compte selon ses dires 200 abonnés. Il est lu sous le manteau par un petit cercle de fidèles. Une confrérie secrète d’affidés qui se reconnaissent par l’usage d’expressions propres à l’écrivain : “acrien”, “dictature de la petite bourgeoisie”, “nocence”, “soi memisme”,  “bathmologie”. Des normaliens, des énarques, des académiciens, un ancien ministre, qui savourent moins chez lui l’analyste des effets de l’immigration massive que le contempteur de la grande déculturation. Il compte des lecteurs aussi dans l’équipe de campagne d’Éric Zemmour. En septembre 2022 dans son discours de clôture des universités de Reconquête, ce dernier s’attribue mot à mot une phrase de Renaud Camus dans son journal : “Nous ne voulons pas sans cesse plus de prisons, plus de caméras de surveillance, plus de gardiens pour les églises, les synagogues, les hôpitaux. Nous ne voulons pas sécuriser l’enfer. Nous voulons le retour à la civilisation.” Il l’appellera pour s’excuser.

« N’est-ce pas frustrant d’écrire autant pour être si peu lu ? “Oh, c’est ma vie. J’écris, je photographie, je peins”, nous répond-il, tout en admettant que “Le risque d’être peu lu, peu commenté, c’est le radotage”. Alain Finkielkraut le lit, lui, assidument. “Je n’ai pas tout lu, qui le pourrait ?” nous dit-il en nous montrant le pan de sa bibliothèque consacré à Renaud Camus, où s’étalent sur plusieurs rangées plus d’une centaine de volumes. En 2003, Renaud Camus a même dédicacé Vie du chien Horla (prix 30 millions d’amis) à la chienne d’Alain Finkielkraut, un cavalier King’s Charles qui s’appelait “Charlotte”. “Oui, ma chienne s’appelait Charlotte. Élisabeth de Fontenay m’avait dit que c’était une très mauvaise idée de donner un nom de personne à un animal”, soupire Finkielkraut.

« Jusqu’où peut survivre l’amitié dans le désaccord ? C’est justement le reproche que lui faisait Élisabeth de Fontenay dans leur livre d’entretien paru en 2017 Terrain miné : “Ton destin fatal, Alain, lui écrit-elle, il se nomme Renaud Camus, en tant que celui-ci est aujourd’hui le symbole et la réalité de ce dont, en mon nom propre et au nom de mes amis, je te fais reproche avec la plus grande véhémence”. Elle admet pourtant n’avoir jamais lu une de ses œuvres. C’est ce qui désespère Alain Finkielkraut : que les détracteurs de Renaud Camus ne prennent pas la peine d’ouvrir ses livres. “Des amis me reprochent le lien que je garde avec lui, mais ils ne l’ont pas lu pour la plupart. Comme si ses livres contenaient en soi le bacille de la peste” se désole Finkielkraut. “Ils se réclament de Dreyfus, mais l’affaire Dreyfus c’est la victoire du scrupule sur le préjugé. Là c’est le préjugé qui se déprend de tout scrupule. C’est le signe d’une société post-littéraire.”

« Pourtant, entre eux, c’est loin d’être Montaigne et la Boétie. Leur amitié tourmentée s’effiloche et se rabiboche au fil du temps. “Nous n’étions pas vraiment brouillés, et je ne suis pas sûr que nous soyons vraiment réconciliés” écrit Camus dans son journal en octobre 2019, ce qui résume assez bien leur relation. Leurs échanges alternent entre admiration et vexations. En février 2022, lorsqu’Alain Finkielkraut sort d’un long séjour à l’hôpital où il a frôlé la mort, il se précipite sur le dernier ouvrage de Camus La Dépossession, qui lui sert de livre de chevet pour son retour au monde.

« “Par vos tweets vous vous montrez le digne successeur de Nicolas Gomez d’Avila” lui écrit-il aussi, ou encore : “votre génie n’a jamais été aussi intimidant.” “Affection, estime, commisération et admiration” lui répond Renaud Camus.

« “C’est un génie, pourtant, ça j’en suis sûr.”

« Les désaccords sont là, et ils s’aggravent. “Il est trop systématique, il ne laisse pas de place à la contingence” peste Alain Finkielkraut qui lui reproche sa surenchère sur les sujets migratoires. L’auteur de L’Identité malheureuse se refuse à employer le syntagme de grand remplacement qui tend selon lui à “faire de tout Noir ou de tout Arabe croisé dans la rue un soldat, un conquérant, un envahisseur”. Il est horrifié par l’expression “génocide par substitution” que Camus raccourcit en “G.P.S” pour désigner le processus de disparition du peuple français de souche. Finkielkraut, dont les parents sont des rescapés de la Shoah dénonce, une “ivresse théorique qui va jusqu’à l’effacement de la différence entre l’épreuve que nous traversons et l’extermination industrielle, c’est-à-dire le crime le plus monstrueux de l’histoire”.

« Horrifié, aussi, par ce tweet, qui vaudra à son auteur une condamnation définitive pour provocation publique à la haine : “le génocide des juifs était sans doute plus criminel mais paraît tout de même un peu petit bras auprès du remplacisme global”. Il y a quelque chose d’étrange à voir cet homme qui a voué sa vie à la lecture et à l’écriture dévoré par les réseaux sociaux devenus l’exutoire lapidaire et forcément caricatural d’une pensée autrement subtile. Il y a chez Renaud Camus une tentation suicidaire de l’isolement par la provocation dans lequel Alain Finkielkraut reconnaît à la fois un de ses penchants et l’une de ses limites. “C’est l’homme des vaisseaux brûlés. On est saisi du sentiment que, fou d’orgueil autant que de désespoir, il fait tout pour ne partager avec personne la place de prophète du monde qui vient.”

« “C’est un génie, pourtant, ça j’en suis sûr”, continue-t-il à penser. Leurs intermittences de l’esprit peuvent sembler surannées. En effet elles témoignent d’un autre temps, celui où l’on tentait d’élucider les désaccords par la discussion, où les discordances n’empêchaient pas l’admiration, où l’on continuait à se lire avant de se juger. En décembre dernier, alors qu’il reçoit le livre de Finkielkraut avec pour dédicace “amitié fidèle”, Renaud Camus ne déborde pas de gratitude pour celui qui est encore le seul intellectuel à prendre sa défense. S’il salue le chapitre sur sa personne, il ne semble pas supporter les distances idéologiques que Finkielkraut prend avec lui. « J’ai cru deux ou trois fois qu’il pouvait y avoir une amitié véritable entre Alain Finkielkraut et moi, je lui étais infiniment reconnaissant de ses secours pendant la pénible affaire Camus, je ne lui ai jamais retiré l’estime et l’admiration que je lui dois, j’éprouvais à son endroit beaucoup de sympathie, mais je ne parlerais certainement pas d’amitié fidèle entre nous, comme il en fait état dans sa dédicace » écrit-il dans son journal. Les voilà brouillés jusqu’à la prochaine éclaircie. »


C’est un autre trait de la société post-littéraire que puissent être attribuées à ma prétendue incapacité à « supporter les distances idéologiques » les sautes d’amitié entre Alain Finkielkraut et moi. Les distances ou différends idéologiques n’y ont absolument aucune part. C’est au contraire les esquisses de débats entrepris et presque aussitôt retombés, chaque fois, qui sont responsables de cet état de fait.

D’autre part, je crois comprendre de cet article qu’Alain Finkielkraut m’aurait écrit après lecture de La Dépossession. Si c’est le cas, la lettre ou le message ont dû se perdre, je n’ai jamais rien reçu. Mais, à mieux la lire, ce n’est sans doute pas ce qu’a voulu dire Eugénie Bastié.

Enfin, et pour en rester à des points de détail, même si l’expression est maudite, c’est surtout le bonjour en début de lettre et de message électronique, spécialement de la part de la banque ou de chaînes hôtelières, mettons, ou de gamins s’adressant à des vieillards, et maintenant de l’administration, y compris celle des impôts, qui me semble, non pas “le comble de la vulgarité”, mais un signe sûr de décivilisation, pour ne pas dire de prolétarisation, telles qu’en témoigne l’ensemble des rapports sociaux aussi bien que l’état de nos villes et métropoles — autant dire le Bidon-Monde.

voir l’entrée du dimanche 10 mars 2024 dans Le Jour ni l’Heure

Journal Vaisseaux brûlés Livres en ligne Le Jour ni l’Heure Plickr Librairie Galerie Vie & œuvre Index Liens Courrier
accueil général du site
Ce bouton permet de se déplacer rapidement dans le site de Renaud Camus.

masquer les messages d’aide
Ces boutons fléchés permettent de consulter les différentes entrées du journal de Renaud Camus.

Les autres boutons vous proposent diverses options. Survolez-les avec la souris pour en savoir plus.

masquer les messages d’aide