Jean de Fauxdoas

Le Savant & l'homme de Pampelune

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Notice historique et descriptive sur le château féodal de Plieux (Gers)
 
 
 

Le château de Plieux*, tel que nous le voyons aujourd'hui, semble avoir été édifié vers 1340.

Cependant il existait sur son emplacement un édifice plus ancien, probablement en bois, ou bien une simple "motte castrale", un castrum en tout cas, sorte de campement fortifié, mentionné dans les textes en 1270 - mais dont il ne reste aucune trace (sauf peut-être l'élévation du terrain).

Il convient de rappeler ici que la plus petite unité de résidence seigneuriale et de défense militaire, au Moyen-Age en Lomagne, est la fameuse "tour-salle", si caractéristique, dont le meilleur exemple conservé est la partie médiévale du château de La Rouquette, également sur la commune de Plieux : simple tour carrée, avec une seule pièce par étage, pratiquement sans ouverture autres que des archères, sauf à l'étage noble - en général le troisième -, celui où se tenaient le seigneur et sa famille, et qui lui est bien éclairé, au contraire, et bien ouvert, de haut, sur la campagne. Il n'y a pas d'autres escaliers que des échelles, plus ou moins améliorées. (Un autre exemple voisin de Plieux est le château de Lesquère, à mi-chemin de Lectoure : moins représentatif toutefois que La Rouquette, car il a reçu au XVIIe siècle un large escalier droit, qui flanque la tour originelle sur toute sa hauteur, et qui en rend l'apparence plus confuse).

Le château de Plieux, par rapport aux petites "tours-salles" des environs, appartient à la catégorie immédiatement supérieure en volume et en importance stratégique, celle qu'on désigne communément de nos jours sous le terme générique de "château gascon". Il faut noter que cette expression n'indique pas seulement une appartenance géographique qui serait évidente (en Gascogne tous les châteaux sont gascons, bien entendu), mais qualifie un type architectural bien déterminé, dont les meilleurs représentants dans la région, avec Plieux, sont les châteaux-frères de Sainte-Mère et d'Ampelle, de Rouillac et d'Avezan; et, pour leur partie la plus ancienne, ceux de Gramont et de Terraube.

Les "châteaux gascons" sont rectangulaires, ils ont une ou plus souvent deux longues salles par étage, et ils sont flanqués de deux tours inégales, placées de part et d'autre de la même façade comme à Sainte-Mère, ou bien en diagonale comme à Plieux : la tour Sainte-Mère au nord-ouest, la tour Saint-Clar au sud-est - celle-ci plus petite, et malheureusement arrasée à la hauteur du corps de bâtiment principal, à une époque qu'on ne connaît pas.

La tour Sainte-Mère du château de Plieux, la plus grosse et de très loin la plus haute (elle s'élève aujourd'hui encore à vingt-six mètres) servait peut-être de poterne au village lui-même, ou peut-être seulement à sa partie haute, celle qu'on pourrait nommer par demi plaisanterie son "acropole". On remarque en effet, d'une part, qu'elle est exactement dans l'axe de l'ancienne rue principale; et d'autre part qu'elle était percée, à la base, de deux portes ogivales se faisant face, l'une à l'ouest, très anciennement murée mais encore très apparente, l'autre à l'ouest, dans laquelle fut taillée vers la fin du quinzième siècle la porte beaucoup plus ornée, mais très détériorée, qu'on observe et qu'on utilise de nos jours. On peut imaginer que l'accès principal du village - dont les fortifications, peut-être sur deux rangées, sont encore bien visibles en plusieurs points - se faisait sous la tour actuelle, qui le protégeait; et qui l'interdisait aux indésirables.

On considère en général que Plieux fut le dernier construit des "châteaux gascons". En effet il présente, en guise de couronnement, un système de défense sur consoles de machicoulis nettement plus évolué que ce qu'on peut voir dans tous les édifices comparables. Ces consoles de machicoulis, très bien conservées en ligne continue sur trois des côtés de l'édifice, font beaucoup de son intérêt archéologique. Elles sont absentes sur le quatrième côté, celui qui regarde l'intérieur du village; d'une part parce que les nécessités de la défense étaient moins fortes de ce côté-là, d'autre part parce qu'un bâtiment aujourd'hui disparu, peut-être en bois, s'appuyait contre cette façade-là, à l'est : en témoignent toutes les ouvertures, qui sur ce versant sont des portes-fenêtres, ou plutôt d'anciennes portes, et non pas des fenêtres, et qui aujourd'hui donnent sur le vide; de même que donne sur le vide la grande cheminée qu'on aperçoit très nettement dans la maçonnerie du second niveau (et où certains croient voir, à tort, une baie murée).

Le château* a connu très peu de modifications de structure depuis sa construction aux alentours de 1340. Un escalier à vis, de plan circulaire, donc, fut installé dans la tour Sainte-Mère, probablement à une date très ancienne (c'est ce qui explique sans doute que la porte ogivale du côté ouest ait été murée). Les degrés de pierre de cet escalier furent malheureusement brisés, entre le premier et le deuxième étage. En 1993, ils ont été remplacés, peut-être provisoirement, par des degrés de bois.

Les principales retouches à l'apparence du château de Plieux, à son agrément et à son confort, lui ont été apportées vers l'an 1500, par un propriétaire inconnu, peut-être un membre de la famille de Puybersac, qui apparemment avait la passion de la lumière, et des vastes étendues offertes au regard. Dans les murs épais de la sombre forteresse médiévale, il a fait percer de très nombreuses et souvent très hautes et très larges fenêtres, qui laissaient entrer l'air de toute part, et prodiguaient des vues immenses sur toute la campagne alentour. Cet afflux d'espace et de clarté est bien dans l'esprit de la Renaissance, alors à ses balbutiements dans nos contrées. Dira-t-on que les nouvelles baies sont de style Renaissance? C'est une question d'appréciation, car dans ce domaine les frontières sont floues, et varient avec les générations de spécialistes. On pourrait parler d'extrême fin du gothique aussi bien, en un temps où ses derniers feux sont loin d'être éteints, à Lectoure ni à Auch : cependant il n'est ici ni flamboyant ni fleuri, et toute son opulence se déploie dans les épais faisceaux de nervures des meneaux, des traverses et des ébrasements.

Notre amateur de lumière s'est un peu laissé emporter par son enthousiasme, d'ailleurs, car les très vastes ouvertures qu'il a pratiquées dans le vieil appareil de pierre semblent en avoir assez gravement et durablement compromis la stabilité. La plupart des baies qu'il avait fait percer ont été rebouchées, dans les siècles qui ont suivi : peut-être pour des raison fiscales (l'impôt sur les portes et fenêtres), plus vraisemblablement pour des motifs d'équilibre et de solidité. Nombre d'entre elles ont été rouvertes, tout récemment. Néanmoins il n'a pas été possible, jusqu'à présent, de les rétablir toutes : les maçons, on les comprend, hésitent à travailler sous des rangées de consoles de machicoulis en saillie, dont la moindre pèse une tonne... Cependant les salles du château ont recouvré les immenses panoramas dont les avait dotés le goût humaniste pour les étendues offertes : elles vont de la vallée de la Garonne jusqu'aux Pyrénées, des hauteurs de Montgaillard jusqu'aux premières ondulations du Condomois.

Il est possible que ce soient les superbes mais trop nombreuses percées dans l'épaisseur des vieux murs qu'il faille tenir pour responsables de la disparition, très regrettable, du chemin de ronde. Il courait sur tout le pourtour du bâtiment, au-dessus des fameuses consoles. Celles-ci, minées dans leur équilibre par les fenêtres ajoutées, se seraient alors révélées incapables de supporter plus longtemps le poids de ce couloir périphérique suspendu, dont on remarque encore les portes d'accès, à hauteur du toit, sur les flancs est et sud de la tour Sainte-Mère. La disparition de ce chemin de ronde, à une date qu'on ignore, entraîna l'abaissement de la charpente et du toit lui-même, qui furent descendus d'un mètre cinquante environ. Une restauration complète et rigoureuse, esthétiquement très souhaitable, évidemment, mais architecturalement délicate, et financièrement mal envisageable, entraînerait sans aucun doute le rétablissement de la couverture à sa hauteur primitive.

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On sait assez peu de choses de l'histoire de Plieux, et ce qu'il est possible d'en dire, dans l'état actuel des recherches, relève plus de la conjecture, bien souvent, que de la chronique avérée : on ne peut que faire une anthologie d'assertions diverses, dont beaucoup manquent de preuves et semblent se contredire entre elles, ou procéder de la fantaisie.

Ce que l'on connaît avec un honorable degré de certitude, ce sont les noms de quelques-unes des familles qui se sont succédées dans la possession de l'édifice.

La première et la plus marquante est celle de Faudoas, du nom d'un village des environs de Beaumont-de-Lomagne, sur la route de Toulouse par Tournecoupe. Des sources assez peu sûres mentionnent un Raymond-Arnaud de Faudoas, qu'elles donnent comme le fondateur du château actuel. Mais comme ce Raymond-Arnaud paraît avoir vécu à l'aube du XIIe siècle, il faut plutôt voir en lui le fondateur de sa maison, ou plus exactement son "premier chef connu", selon l'expression d'un marquis de Galard; lequel, écrivant au siècle dernier, croit voir sur une des portes de Plieux les armes des Faudoas, "écartelées avec celles des Galard, en souvenir de l'alliance contractée en 1296 entre Réale de Faudoas et Ayssin de Galard, seigneur de Terraube." Ce blason, à vrai dire, est peu lisible, aujourd'hui; et l'hypothèse qu'on en tire ferait remonter assez sensiblement dans le temps l'existence du château actuel, contrairement à l'opinion des experts contemporains en castellologie (qui peuvent se tromper comme tout le monde, cela dit).

Plus assurée paraît la présence à Plieux d'un Bertrand de Faudoas en 1344; et d'un Jean de Faudoas, "co-seigneur" en 1393. M. Jean-Henri Ducos, historien et très savant délégué de l'association "Vieilles Maisons Françaises" pour le département du Gers, écrit que les Galard de l'Isle-Bouzon acquièrent le château en 1400; puis les Puybersac en 1481. Cependant un édit royal de mai 1553, signé au château de Saint-Germain-en-Laye, donne la concession des foires et marchés de Plieux à Georges de Rochechouart, "écuyer et seigneur des lieux".

Ce Rochechouart était probablement le fils d'une Faudoas, sans doute de Catherine, fille et héritière de Béraud IV, dit de Barbazan et d'Estaing, et de Jeanne de Cardaillac de Bioule. Cette Catherine avait en effet épousé, le 25 octobre 1517, Antoine de Rochechouart, seigneur de Saint-Amand, fils de François, sénéchal de Toulouse; elle lui avait apporté en mariage la baronnie de Faudoas et plusieurs autres seigneureries. L'une de ses seigneureries était-elle Plieux, comme il semble vraisemblable ? Le nom de Faudoas, quoiqu'il en soit, n'a pas fini d'être associé avec le village.

Dans le deuxième quart du XVIIe siècle, en effet, l'abbé Dastros, ou d'Astros, le poète de Saint-Clar de Lomagne, écrit un poème pour célébrer «l'entrée du marquis de Faudoas à Plieux». Ce poème met en scène une dispute linguistique entre deux bergères et un berger. Ces demoiselles s'expriment en français, et ce faisant elle s'attirent l'ire de leur compagnon, qui lui ne parle qu'en gascon - et qui voudrait qu'elles l'imitassent, même quand elles s'adressent au marquis :
 

Anats tout lou long de la Séno

Paral boste franchimant pur;

Mès tant qu'eou troubarats en Guiéno,

Parlats lou gascoun à Moussur.

Noste Moussu es de Gascougno :

Atau lou gascoun lou hè gay :

Atau et n'a jamès bergougno

D'augi la lengo de sa may.

(Allez tout le long de la Seine / parler votre français pur : / mais tant que vous vous trouverez en Guyenne, / parlez gascon à Monsieur. /

Notre Monsieur est de Gascogne : / aussi le gascon lui plaît : / aussi il n'a jamais honte / d'entendre la langue de sa mère.)

Mais ce marquis de Faudoas-là n'est peut-être pas tout à fait aussi profondément gascon que le poète ou son pâtre ne se plaisent à le souligner. Malgré ce que pourrait donner à penser son titre éminemment lomagnol, c'est en fait un Rochechouart, tout comme notre écuyer concessionnaire de 1554. Du Moussu de Dastros on ne sait pas grand chose, dans l'état actuel des recherches. Il s'agit vraisemblablement de Jean-Phébus de Rochechouart, en faveur de qui la terre de Faudoas a été érigée en marquisat par Louis XIV; mieux vaudrait dire sous Louis XIV, car Dastros meurt en 1650, et c'est là le terminus post quem de cet épisode. En 1650, Louis XIV régnait depuis sept ans, mais il en avait à peine douze. On imagine donc que l'acte d'érection fut signé, ou en tous cas décidé, par quelqu'un d'autre que par lui. Il n'est pas impossible que les cérémonies qui sont l'occasion des vers de Dastros aient été précisément destinées à célébrer le nouveau marquisat, et le nouveau marquis.

Par chance, Saint-Simon, au temps de sa brève jeunesse militaire, avait été très lié avec le petit-fils de notre homme, ou son arrière petit fils : il en parle au chapitre XXIX de ses Mémoires. Et le paragraphe qu'il lui consacre est annoncé sous le titre Curieux sortilège...

«Cette sottise (ce qu'il vient de raconter, une histoire de femme possédée, qu'on exorcise près de Sarrelouis, et qui n'est en fait qu'une "espèce de folle, ou une pauvre créature qui cherchoit à se faire nourrir") cette sottise me fait souvenir d'une histoire si extraordinaire et de telle nature, que, pour ne la pas oublier et pour n'en pas allonger ces Mémoires, je la mettrai parmi les pièces; et ma raison la voici. J'avais lié une grande amitié, dans les mousquetaires, avec le marquis de Rochechouart-Faudoas, qui y était aussi, quoique de plusieurs années plus âgé que moi. C'étoit un homme de valeur, d'excellente compagnie, et de beaucoup d'esprit, de sens, de discernement et de savoir. Il étoit riche et paresseux; il ne trouva pas les portes ouvertes pour s'avancer dans le service aussi promptement qu'il eût voulu : il se dépita contre M. de Barbezieux (le fils de Louvois, et secrétaire d'Etat à la Guerre) et quitta. Mme la duchesse de Mortemart et moi, le voulûmes marier à une fille de M. le duc de Chevreuse qui épousa ensuite M. de Lévis. M. de Chevreuse en mourait d'envie, mais il ne finissoit pas aisément une affaire : M. de Rochechouart s'en lassa, et il épousa une Chabannes, riche, fille du marquis de Curton. Il ne vécut pas longtemps avec elle, n'en eut point d'enfants, et mourut chez lui près de Toulouse fort brusquement. Sa femme en fut si touchée, qu'elle se fit religieuse aux Bénédictines de Montargis, où elle vit très saintement. J'ai voulu expliquer quel étoit le marquis de Rochechouart, parce qu'il a été le témoin oculaire de l'histoire dont il s'agit, qu'il vint tout droit à Paris du lieu près de Toulouse où il en eut le spectacle, et me la conta en arrivant. C'étoit en carême 1696 : je lui en fit tant de scrupule, qu'il alla au grand pénitencier. Par la dernière lettre que j'ai reçue de lui, de chez lui, où il étoit retourné en automne la même année, il me mandoit que la même histoire, interrompue à sa vue la première fois, recommençoit dans le même lieu, avec le savant et l'homme de Pampelune, et que, dans peu de jours, il m'en feroit savoir le succès définitif. C'est en ce point qu'il mourut, et je n'en ai pu apprendre de nouvelles, parce que ayant promis le secret du nom de son ami et du lieu où cela se passoit, il ne me voulut jamais nommer ni l'un ni
l'autre. Ce marquis de Rochechouart fut une vraie perte, et je le regrette encore tous les jours.»

Cette page de Saint-Simon est extrêmement frustrante, car il y est question d'une histoire «si extraordinaire» que pour ne pas l'oublier l'auteur va la mettre «parmi les pièces» (annexes); or il a oublié de le faire, ou du moins ne l'y a-t-on pas retrouvée; de sorte que "l'histoire" de Plieux est marquée par un vide central, un abyme, une solution de continuité dans la tissu déjà bien lâche de la cohérence événementielle - défaillance du récit, défaut du sens, déception, champ libre, où libre à qui veut de reconnaître une façon d'essence de la littérature, dont le fin mot se dérobera toujours...

On ne comprend pas grand chose à cette affaire - sinon, d'après ce qui précède dans les Mémoires, qu'elle tourne autour d'un ou plusieurs cas de possession, et sans doute d'exorcisme.

Qu'est-ce que le savant ? Qu'est-ce que l'homme de Pampelune? Qu'est-ce qu'ils font là? Qu'est-ce qu'ils viennent faire là ? Quel est leur rôle? Est-ce d'avoir été trop curieux qui entraîne la mort si prématurée du marquis de Rochechouart-Faudoas ? Surtout, de notre point de vue, qu'est-ce que ce lieu, «près de Toulouse», où il mourut si brusquement? Et que cet autre lieu (à moins que ce ne soit le même?), également «près de Toulouse», où il eut le spectacle qui peut-être lui fut fatal? Plieux, vu de Paris, de Versailles ou de La Ferté-Vidame, peut aisément passer pour être «près de Toulouse»...

Une de ces miettes d'information, et peu sûres (est-ce bien du pain?), qui sont tout ce que nous avons à nous mettre sous la dent dans notre enquête "historique", voudrait malheureusement (malheureusement pour le romanesque fantastique plieusain...) qu'en 1669 un certain comte de Campaigne ait été seigneur de Plieux.

Or, si le comte de Campaigne est seigneur en 1669, comme il semblerait, il est peu vraisemblable que le marquis de Faudoas, malgré les pouvoirs de revenants qu'on semble avoir eus dans sa maison, et en tout cas de revenants à Plieux, soit encore sur place en 1696, l'année du «curieux sortilège», et de sa mort. Exit The Exorcist, donc.

A moins que...

A moins que le mystérieux comte de Campaigne soit aussi un Rochechouart-Faudoas, et que sa présence n'implique pas, donc, à la date où elle est mentionnée, un éloignement de cette famille.

Ce qui complique un peu nos recherches, c'est que nous avons affaire à de très grandes maisons, les Faudoas, les Rochechouart a fortiori, qui disposent d'un nombre considérable de terres et de titres, et qui apparaissent donc, dans nos minces chroniques, sous des noms chaque fois différents. La camaraderie de régiment entre la jeune duc de Saint-Simon et notre M. de Faudoas vaut à celui-ci de figurer dans les index très méticuleusement dressés de l'édition Pléiade des Mémoires ; et elle nous vaut à nous de connaître assez en détail sa longue et retentissante identité : Jean-Paul de Rochechouart de Barbazan d'Astarac, marquis de Faudoas (1670-1696).

Le berger de l'abbé d'Astros avait raison : Astarac, Barbazan, Faudoas et j'en passe, probablement - on n'est pas plus gascon. Il n'y a que Rochechouart pour continuer de détonner un peu, parmi ces syllabes tonnantes. Les Rochechouart, ducs de Mortemart, ducs de Vivonne (et sur les rives de cette Vivonne, qui comme on sait passe à Combray, nous rencontrons Marcel Proust enfant, dont nous sentions bien qu'il ne pouvait pas être loin...) et princes de Tonnay-Charente, sont une illustre famille limousine, issue des vicomtes de Limoges, toujours abondamment représentée de nos jours. Au temps de notre Faudoas mousquetaire, leur influence est de longue date nationale. On pourrait même dire, si l'on ne craignait de braver l'honnêteté, qu'en la personne de Mme de Montespan, Françoise-Athénaïs de Rochechouart, ils sont dans la plus grande proximité du pouvoir. Il semble bien, néanmoins, que leurs accointances gasconnes soient plus étroites qu'il n'y paraît à première vue. La belle Athénaïs elle-même, qui sera mère de presque Fils de France, n'est-elle pas l'épouse du plus gascon des Gascons, le marquis de Montespan, Louis de Pardaillan de Gondrin, comte de Miélan, qui se partage entre ses châteaux de Bonnefont, près de Trie-sur-Baïse, et de Beaumont, près de Condom? On peut lire à son sujet la biographie récente écrite par Mme Eve Ruggieri, qui lui a succédé à Beaumont.
 
 

Saint-Simon appelle indifféremment son ami le marquis de Faudoas ou le marquis de Rochechouart. Les Faudoas paraissent s'être fondus dans les Rochechouart, et avoir, en ce rencontre, donné à Plieux des maîtres un peu grands pour lui.

Aussi ne sont-ils pas souvent là. Si la visite du seigneur du village, à l'époque de Dastros, est l'occasion d'une entrée solennelle, et de la composition d'un long poème, une pastorale dramatique, c'est bien qu'il ne doit pas venir très fréquemment. Les Faudoas sont riches, le mémorialiste le souligne. Les Rochechouart sont puissants. Les origines des uns et des autres remontent à la nuit des temps, et d'ailleurs pour partie, nous venons de le voir, au même coin de la nuit. Ils ont des fiefs innombrables, et certainement de nombreux châteaux. Il est vraisemblable qu'ils ne fréquentent pas très assidument chacun.

Ce qu'on aimerait comprendre, c'est comment nos Faudoas originaires, écartés semble-t-il au profit des Galard en 1400, puis des Puybersac, se rétablissent sous leur hypostase Rochechouart, au XVIe siècle, puis se font acceuillir avec des arcs de triomphe et les pipeaux de la bergerie, en plein XVIIe siècle? Sont-ils donc éternels? L'impitoyable index de la Pléiade met le holà à pareille prétention : «dernier de sa branche», tranche-t-il sèchement à propos de Jean-Paul, l'homme qui voyait partout des possédées.

Chassée la bure des exorcistes, voici la robe des magistrats. En 1705, Plieux, de même que Gramont son voisin, est la propriété de Guillaume de Caulet, président au parlement de Toulouse. Les Caulet semblent s'y être maintenus jusqu'à la Révolution.

Aussitôt après elle, Plieux appartient aux Dufaur, qui le transmettront par héritage à une branche de la famille de Rigaud de Vaudreuil, illustrée surtout par Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, né en Gascogne en 1643, gouverneur de Montréal, puis gouverneur général du Canada de 1703 à sa mort, survenue à Québec en 1725; et par son fils Pierre de Rigaud de Cavagnal, marquis de Vaudreuil, né à Québec en 1698, gouverneur des Trois-Rivières puis de la Louisiane, bienfaiteur de La Nouvelle-Orléans, enfin dernier gouverneur général du Canada français, de 1755 à 1760 - rentré ou plutôt venu en France après la capitulation de Montréal, il est embastillé puis reconnu innocent et élargi; il meurt à Muides-sur-Loire en 1778.

Le vieux château de Plieux est resté dans le patrimoine de cette famille jusqu'en 1992.

Mais il y avait plusieurs siècles à cette date que personne n'y demeurait plus. Des visiteurs demandent souvent s'il est encore habité, il serait plus juste de dire qu'il l'est enfin. Edifice essentiellement militaire à l'origine, fief mineur de très grandes familles largement possessionnées ailleurs, pour qui il ne fut jamais qu'une propriété d'importance secondaire, il semble avoir peu servi de résidence.

Les derniers signes d'aménagement intérieur remontent au début du XVIIe siècle : ce sont les belles poutres à décor peint de la grande salle du premier étage, qu'il conviendrait d'ailleurs de restaurer rapidement, avant que leurs motifs et les paysages qu'elles figurent ne disparaissent tout à fait. Aucune trace d'une occupation résidentielle au XVIIIe siècle. Aucune non plus pour le XIXe siècle. Les Dufaur, à cette époque, ont fait construire, au-dessous du vieux castel austère et délabré, une élégante chartreuse, ouvrant au midi, par un gracieux escalier à double évolution, sur un superbe parc à l'anglaise; et c'est là qu'ils demeurent de préférence, comme feront après eux les Rigaud. Au XXe siècle, et peut-être dès avant, le château sert de dépôt à grains, dans ses parties hautes, et de chai dans ses parties basses, où se serraient jusqu'en 1993 d'énormes "foudres".

Il faut signaler toutefois que pendant la dernière guerre et l'occupation allemande le bâtiment retrouva dans une certaine mesure son rôle militaire originel, puisqu'il servit de refuge, de cachette ou de place forte à certains groupes de résistants. Ils ont laissé de leur présence, de leur action et de leurs convictions patriotiques, ou politiques, certains témoignages gravés dans les parois, encore visibles aujourd'hui (au premier étage). Selon certaines sources, des dortoirs avaient été aménagés pour les maquisards. On parle même d'une guérite aux couleurs nationales, dressée quelque temps près de la porte principale : cela sans doute à l'extrême fin de la période. Un peu plus tôt, peut-être à des fins de bienfaisance, il avait été donné, dans la grande salle du premier étage, une ou plusieurs représentations théâtrales, pour les habitants du village et des campagnes environnantes. Un peu plus tard, et la paix revenue, la même pièce servit de cadre à des projections cinématographique: nombreuses sont les personnes qui s'en souviennent encore.
 

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Le château de Plieux, peut-être le mieux préservé et le plus significatif des édifices de son genre qui soient parvenus jusqu'à nous, a été inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques, à titre provisoire et conservatoire, le 27 août 1993. Le 30 décembre 1994, considérant que sa conservation «présente au point de vue de l'histoire et de l'art un intérêt public certain en raison de sa typologie de château gascon défensif», le ministre de la Culture et de la Francophonie signait l'arrêté lui reconnaissant en sa totalité le statut de Monument Historique.

Depuis 1993, il est le siège de Pli selon Pli, à l'origine Société des Amis du Château de Plieux, aujourd'hui Société des Amis de Lectoure et du Château de Plieux. Les objectifs statutaires de cette association, qui compte à ce jour près de deux cents membres, sont la restauration du château (déjà entreprise) et la défense du patrimoine archéologique et culturel de la ville de Lectoure, ainsi que leur animation artistique, et "une participation de haut niveau à la vie culturelle."

Le château a été la cadre, en 1993, d'une exposition de Jean-Paul Marcheschi, Graal-Plieux . Plusieurs oeuvres de cet artiste sont à demeure à Plieux, dont une salle entière du second étage, La Salle des Vents, qui peut parfois être vue, sur demande spéciale.

En 1994 y ont été présentées les toiles du peintre Eugène Leroy.

En 1995, Jannis Kounellis y a séjourné plusieurs semaines pour y procéder à une "installation" ouverte au public tout l'été de cet année-là.

En 1996, Plieux accueille de grandes sculptures, des toiles, des encres et aquarelles réalisées dans les quinze dernières années de sa vie par Joan Miró (1893-1983).
 
 

En mai et en octobre, le château sert de cadre aux Devisées de Plieux, séries de débats publics entre écrivains, poètes, artistes ou spécialistes, soit sur un thème choisi (Thème du château (mai 1996, avec Robert Misrahi, Danièle Sallenave, Alain Vircondelet, Jean-Marie Goulemot, etc.) Thème du pli, Thème de la flamme, Thème de la fenêtre, Thème du chemin, etc.), soit pour une sorte d'état des lieux d'une domaine de la création (la poésie en octobre 1996 : Habiter en poète, avec Michel Deguy, Jacques Roubaud, Marcelin Pleynet, Dominique Fourcade, Jean-Michel Maulpoix, etc.).
 
 

S'y sont déroulées également plusieurs manifestations musicales, et même chorégraphiques. On y a entendu des oeuvres de Ravel, de Kodaly, de Messiaen, de Berio et de Pierre Boulez, l'auteur de Pli selon Pli (titre emprunté lui-même à un poème de Stéphane Mallarmé).
 
 

Pli selon Pli organise d'autre part le Festival de Lectoure, Les Nuits de l'Ame, dont la première édition doit avoir lieu du 24 août au 1er septembre 1996 : musique soufi, chants mystiques de l'Islam, sur des poèmes ottomans classiques; Les Ruines circulaires, de Michelle Reverdy, d'après Borges, avec Daniel Mesguich et Cyril Huvé; Esther Lamandier, chants chrétiens araméens, prophètes et psaumes de David; hommage à Philippe Hersant, avec les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, de Ravel, et le Lebenslauf d'Hersant, sur les poèmes d'Hölderlin; La Noche oscura, de Vicente Pradal, d'après saint Jean de la Croix...