sans dateMardi 18 avril 2000, neuf heures du soir. Nous y voilà. La guerre. Les Inrockuptibles passent à l’attaque. Marc Weitzmann m’avait dit jeudi dernier, lorsque nous nous étions rencontrés au café Beaubourg, qu’il n’avait pas l’intention après tout d’écrire l’article que lui avait demandé l’équipe de son journal. Mais il l’a bel et bien écrit, et l’article est paru ce matin.
Peut-être Weitzmann, en m’annonçant qu’il n’écrirait rien, avait-il l’intention de dédramatiser l’entrevue et son objet, et de me faire parler plus librement, je ne sais. Il me reproche beaucoup mon manque de courage, et trouve qu’il n’est guère à l’honneur d’un écrivain de se laisser censurer comme ce fut le cas à propos de P.A.
« Puisqu’il croit avoir quelque chose à dire, qu’il le dise, écrit-il, et l’on ne pourra que se réjouir du soudain quoique tardif courage de Renaud Camus. »
Bref il regrette de n’avoir pas suffisamment matière à dénonciation, jusqu’à présent. Jean-Paul, à qui j’ai lu l’article, y voit en effet un manifeste défaut de munitions. Il déplore toutefois que dans La Campagne de France j’aie pu laisser passer l’expression « les collaborateurs juifs du “Panorama” », le mot “collaborateur” lui paraissant particulièrement mal venu. Il a raison. Et de fait j’étais sûr d’avoir changé collaborateurs pour journalistes. Mais ma correction n’a pas atteint l’imprimerie, semble-t-il.
C’est Paul qui m’a signalé l’article, ce matin, et il était très embêté. Lui-même est d’ailleurs pris à parti par Weitzmann pour des propos que rapportait l’article de Libération jeudi dernier : « Il dit aujourd’hui regretter son refus de publier le journal de 1994 de Renaud Camus et met sa décision sous le coup [sic] d’une erreur de lecture, qui lui aurait fait confondre “le discours et le commentaire du discours”. Eh bien, on sera heureux d’apprendre où au juste se situe le discours et où le commentaire, quand Renaud Camus, emporté, écrit-il, par son “amour passionné pour l’expérience française”, s’attriste de voir “cette expérience avoir pour principaux porte-parole” des représentants de “la race juive” ; quand il explique que ceux-ci, souvent Français depuis une ou deux générations seulement, les pauvres, “ne participent pas directement de cette expérience”, et que maltraitant les noms propres, ils “expriment cette culture et cette civilisation d’une façon qui lui est extérieure” (“même si c’est très savamment”, ajoute-t-il avec une condescendance qui aggrave son cas). »
Mais à vrai dire c’est surtout Libération et son journaliste qui se voient sévèrement tancés pour leur indulgence à mon endroit, et pour une tolérance d’autant plus remarquable que « l’auteur ne manque pas d’attaquer le journal qui lui tresse tant de lauriers ». J’espère que le pauvre Stéphane Bouquet ne va pas avoir à souffrir au sein de sa propre rédaction de l’attention bienveillante qu’il m’a témoignée.
Paul me recommande de m’adresser à Claude Durand pour mettre au point la position à adopter. Mais je ne vois pas qu’il y ait une position à adopter. Il serait absurde de rédiger une mise au point qui en toute probabilité serait charcutée comme le texte lui-même de La Campagne de France, et accompagné de commentaires qui appelleraient à leur tour leurs propres mises au point, indéfiniment.
Claude Durand ne se fait d’ailleurs aucun souci. Il considère les journalistes des Inrockuptibles comme des personnages méprisables qui cherchent noise à la terre entière pour que l’on parle d’eux, et qui veulent faire régner le terreur afin de se venger d’être des écrivains ratés. Ce serait leur faire trop d’honneur que de leur répondre, à son avis. Il estime d’autre part que nous n’avons strictement rien à craindre juridiquement, et que les déclarations de Paul sur son regret de n’avoir pas publié le journal nous protègent absolument.
N’empêche. Mieux vaudrait que cet article là ne fasse pas de petits, et ne donnent des idées à d’autres dénonciateurs, ou présidents de ligues de vertu. Alain Veinstein, le mari de Laure Adler, la directrice de France Culture, m’a invité à Du jour au lendemain. Je ne puis pas m’y rendre dans l’immédiat puisque je pars samedi pour l’Amérique. Mais rendez-vous est pris pour le lendemain de mon retour.
*
Pierre est revenu hier, et cette après-midi nous sommes allés sur la Butte sans nom. Ça m’a un peu changé les idées. Ces jours sont les plus beaux de l’année. Partout sont en fleur les lilas et les arbres de Judée. Le ciel est très couvert depuis la semaine dernière, mais le matin et le soir le soleil, avant et après sa disparition derrière la chape de plomb qui pèse sur le milieu du jour, bouscule dans les jardins l’air de printemps, pour des embrasements bizarres de crimes en cinémascope, d’une beauté qui met mal à l’aise, sous les gros nuages noirs — et pourtant on voudrait qu’elle ne finisse jamais.
Paul a décidé de faire un nouveau tirage des Délicatesses. Hier il est sorti deux cents exemplaires du livre.
voir l’entrée du mardi 18 avril 2000 dans Le Jour ni l’Heure◎
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