sans dateJeudi 20 avril 2000, sept heures du matin. Les gros nuages noirs s’accumulent, on entend un grondement sourd, les premiers éclairs ont déjà fendu l’air : l’orage va s’abattre sur moi d’un instant à l’autre.
Alertée par l’article de Weitzmann dans les Inrockuptibles Laure Adler, directrice de France Culture, publie un communiqué, qui va paraître ce matin, dans lequel je suis accusé de “diffamation” et d’“incitation à la haine raciale”, rien de moins. Jean-Marie Cavada, président de Radio France, devrait déposer aujourd’hui une plainte contre moi, sous ces deux chefs. Il semblerait que l’affaire soit montée jusqu’à Catherine Tasca, nouveau ministre de la Culture.
Toute la journée d’hier s’est passée en un maelström de coups de téléphone entre Laure Adler, Cavada, Paul, Claude Durand, Me Rappaport, Libération, Le Monde et j’en passe. Le Monde doit publier aujourd’hui un “grand papier” sur “l’affaire”. Un journaliste du Monde, Alain Salles, s’est entretenu longuement avec Paul, avec Claude Durand et finalement avec moi. Il était très poli, mais je suppose que l’amabilité est la loi du genre, dans ce genre d’échanges, et qu’elle est destinée à vous mettre à l’aise et à vous faire parler. Je lui ai envoyé par e-mail, comme convenu entre nous, un résumé écrit de mes propos, car je ne me fais guère confiance à l’oral.
Paul est très affecté par cette tempête, et se donne beaucoup de mal pour tâcher de détourner la foudre de moi. L’assaillant a bien vu qu’il était mon principal paratonnerre, et s’acharne à interpréter la déclaration qu’il a faite la semaine dernière à Libération, et par laquelle il semblait renier très nettement son attitude passée. Selon cette déclaration il regrettait « amèrement » de n’avoir pas publié La Campagne de France à la suite d’une « erreur de lecture ». « L’erreur de lecture », qui tendrait à m’exonérer, porterait maintenant, dans l’esprit d’Alain Salles tel qu’il s’en est ouvert àClaude Durand, sur le vieil Ombre gagne, que Les Inrockuptibles donnait hier, avec cette impayable autorité des journalistes quand ils n’ont pas la moindre idée de ce dont ils parlent, comme « un roman entier sur la question » (juive !)_________
[1] L’Ombre gagne est un “roman d’idées”, écrit en 1992 et 93, refusé à cette époque par plusieurs éditeurs et demeuré inédit. Il n’a d’autre personnage que des idées, toutes les idées et opinions concevables, des plus criminelles aux plus plates, des plus vertueuses aux moins admissibles, des plus biscornues aux plus raisonnables. Elles se succèdent en un vaste carrousel, chacune rencontrant fatalement son contraire, et le contraire de son contraire. Opinions antisémites et prosémites, aussi ardentes les unes que les autres, occupent dans ce tohu-bohu à peu près un centième de l’espace.1. Volontaire ou pas, le malentendu fleurit de toute part.
Outre Paul, j’ai quelques défenseurs. Me Rappaport, ancien président du Mrap, s’est porté volontaire pour me défendre s’il y avait un procès, ce qui paraît très vraisemblable. Malheureusement il partait hier pour le Japon et il ne rentrera que le 3 mai. Or on craint un procès en référé, qui serait jugé d’urgence.
Matthieu Lindon, qui dirige les pages littéraires de Libération, soutient son journaliste Stéphane Bouquet, accusé par Marc Weitzmann d’un excès de laxisme à mon égard. Et plus bizarrement il me soutiendrait moi, paraît-il, au nom de la liberté d’expression si j’ai bien compris. Mais lui partait hier pour l’Australie (ou l’Afrique du Sud, je ne sais plus).
J’ai appelé hier soir Danièle Sallenave, qui avait manifesté auprès de moi un très grand enthousiasme pour La Campagne de France, et Dominique Noguez qui défend toujours vaillamment dans la presse les victimes du politically correct médiatique.
Danièle Sallenave m’a assuré de son soutien total, mais comme elle a déjà eu maille à partir avec nombre de rédactions à propos de son livre sur le Palestine, qui met gravement en cause la politique d’Israël, elle n’est peut-être pas l’allié idéal, ni moi pour elle — nous nous compromettons l’un l’autre.
Quant à Dominique Noguez, très aimable, très enthousiaste des Délicatesses, lui — dont il a dit grand bien sur France Culture récemment — il rentrait de voyage, n’avait pas lu La Campagne de France et ne pouvait donc pas se prononcer.
Paul envisageait hier soir d’appeler Sollers.
Quant à Claude Durand il est tout à fait olympien et prend la crise avec un beau détachement, d’ailleurs très chaleureux à mon égard, et rassurant. Il a l’air de penser qu’il n’y a pas de risque sérieux.
Hier “l’affaire” prenait de l’ampleur d’heure en heure. Le Point demandait une photographie de moi en dernière minute, juste avant bouclage. Il se pourrait très bien que ce soit pour un article sur les Délicatesses. Mais Paul ne le pense pas, à cause de la fébrilité de la demande. Il est persuadé qu’il faut s’attendre de ce côté-là aussi à un article sur l’émoi adlérien.
Je n’ai vraiment pas de chance : je n’ai connu que deux fois la notoriété — la première fois comme pornographe il y a vingt ans, et maintenant comme antisémite...
Dix heures et demie du matin. Nouvelles du front. Spectaculaire renversement. Claude Durand, qui ce matin encore était parfaitement serein, qui m’assurait qu’une ordonnance de référé n’était pas à craindre et que de toute façon, si nous étions assignés, nous ne pouvions pas perdre, me dit à présent que référé il y aura bel et bien et qu’il y a quatre-vingt-dix neuf pour cent de risques que La Campagne de France soit interdit ! En conséquence, pour prévenir ce qu’une telle décision aurait d’infamant, il décide de retirer le livre...
Je ne peux pas m’opposer à cette décision, mais je la désapprouve absolument. Retirer le livre, c’est reconnaître ses torts. Ne sont publiés partout que de courts extraits qui sortis de leur contexte produisent un effet incendiaire mais qui sont largement explicités dans un sens apaisant par ce qui les précède et par ce qui les suit. Le livre lui-même me met dans une position beaucoup plus sûre et facile à tenir que les passages soigneusement choisis que font circuler les attaquants. Si on le retire, c’est sur ces passages-là que je vais être jugé, alors que leur sens est gravement biaisé par les coupures dont ils sont l’effet.
Entre ses deux coups de téléphone Claude Durand a parlé à l’avocat de Fayard, Me Henri Leclerc, président de la ligue des Droits de l’Homme. Me Leclerc lui a déclaré que le ligue des Droits de l’Homme, la Licra et je ne sais quelle autre association allaient se porter parties civiles, et que nous n’avions aucune chance d’échapper à la condamnation. C’est ce qui l’a déterminé, dit-il, à changer de position. Paraissent un peu légères, du coup, ses assurances antérieures, prodiguées depuis octobre dernier et jusqu’à ce matin, selon lesquelles nous ne courrions aucun danger.
Rémi Soulié recommande de faire appel à Me Vergès, qui serait passionné par semblable affaire, à son avis. Mais choisir pour défenseur l’avocat de Barbie, ne serait-ce pas se ranger dans un camp auquel j’appartiens encore moins qu’à l’autre ?
Dix heures vingt, le soir. Épuisante journée de siège, mais la forteresse a tenu. Communiqué de Catherine Tasca, communiqué de Jean-Marie Cavada, reproduits dans la presse de ce matin, avec commentaires peu amènes mais encore assez mesurés. Le Monde, sous la plume d’Alain Salles, a publié un article objectif et équilibré, orné évidemment de citations embarrassantes parce que ce sont des phrases isolées. Mais il a été donné une certaine place à mes réactions.
Ma mère était au courant de toute l’affaire par mon cousin Yvan qui en avait entendu parler hier sur France Inter. Il en a été question à midi sur France Culture et probablement sur toutes les autres radios. En réponse, j’ai envoyé à Libération, au Monde et à l’agence France-Presse un assez long communiqué, qui sera diffusé ou non. Christian Combaz, de son côté, avec autant de courage que d’amitié, a envoyé un texte au Figaro. Mais rien n’assure, là non plus, qu’il sera retenu pour publication.
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