sans dateVendredi 19 mai 2000. Nouvelles du front. Claude Durand a envoyé hier à Alain Salles, qui suit au Monde “l’affaire Camus”, une assez longue lettre, en lui demandant, sage précaution, de la publier intégralement ou pas du tout — ce sera pour moi, en effet, l’un des enseignements de cette affaire, qui n’en manque pas : la presse peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui en opérant une sélection judicieuse de ses déclarations.
Durand ne semble avoir aucun doute sur la publication de son texte. Je ne sais à quels mystérieux pouvoirs il fait allusion. Peut-être aux dépenses de publicité de Fayard auprès du Monde ?
Évidemment j’apprends sans plaisir au passage que Claude Durand est « en désaccord complet avec certaines de [m]es formulations », alors qu’à aucun moment il n’a manifesté ce désaccord auprès de moi jusqu’à présent, et qu’il m’avait même assuré qu’à son avis, dans les lignes qui avaient choqué Paul Otchakovsky ou son entourage, « il n’y avait pas de quoi fouetter un chat ». Mais sa collaboratrice me dit qu’il était “obligé” de déclarer ce qu’il déclare au Monde. Il reste qu’à ce détail près son texte me paraît parfaitement digne, bien tourné, et qu’il devrait contribuer à restaurer l’honneur un peu compromis de Fayard dans cette histoire, et son image de sérieux.
Cela dit, comme on sent bien dans cette lettre, de même qu’en mes propres articles récents, le bouillonnement souterrain d’enjeux contradictoires, qui obscurcissent le propos ! Je crains que pour un lecteur moyen, extérieur à Saint-Germain-des-Prés et à ses nobles institutions, plusieurs passages ne soient tout à fait inintelligibles. On perçoit à chaque ligne que la marge est étroite, pour l’auteur, entre ce qu’il voudrait bien dire et ce qu’il sait bien qu’il ne peut pas dire, mais qu’il essaie de dire un peu tout de même... Merveilleuse à cet égard cette phrase à double négation : « Je n’ai demandé à personne, chez Fayard, de partager cette responsabilité, et toute déclaration ou indication tendant à souligner la non-implication d’un de mes collaborateurs ne constitue donc pas une information. » La tournure devrait faire les délices d’un improbable historien de l’édition contemporaine...
N’empêche. Ce texte tel qu’il est me semble ouvrir une brèche en ma faveur, qu’élargit une invitation à déjeuner, de la part de Claude Durand, pour lundi prochain, au Lutétia — le choix du restaurant a son importance, et il y a quelque panache dans le choix d’un site aussi exposé : au moins on ne me propose pas un rendez-vous dans une cave... Il s’agit de discuter d’une nouvelle publication de La Campagne, délestée des passages incriminés et entée d’une préface de Claude Durand, d’une part, et d’une postface de moi, ou d’un “dossier” sur l’affaire. Je suis partisan pour ma part de retraits a minima, et bien visibles, l’espace rendu libre par les phrases retirées étant laissé en blanc, entre crochets.
Autre nouvelle hier, l’offre narquoise, de la part de Jean Daniel, dans Le Nouvel Observateur Quotidien, sur le Net, d’une réponse de ma part, en particulier à son éditorial de la semaine dernière, dans L’Observateur même. J’ai envoyé aussitôt mon acceptation, tout en précisant, suivant l’exemple de Claude Durand, que je souhaitais que mon texte soit publié en entier ou pas du tout. J’attends de savoir quel nombre de signes me seraient éventuellement impartis.
Stéphane Martin a rencontré par hasard un certain Gilles Martin-Chauffier, décrit par lui, non sans ironie, comme « l’étoile montante de Paris-Match ». Ils ont parlé de “l’affaire Camus”, car Martin-Chauffier s’était fendu dans Match du petit article rituel, ces temps-ci, pour dénoncer mon “pétainisme” ou mon “vichysme” — le journaliste était très fier d’un sien jeu de mot sur mon style “à l’eau de Vichy”. Martin Tout-Court s’est rendu compte que Martin-Chauffier n’avait même pas eu entre les mains un exemplaire de La Campagne de France, qu’il avait fait confiance entièrement à ce qu’il avait lu sur moi ces jours-ci dans la presse, et qu’à cela près il n’avait pas la moindre idée de ma petite personne :
« Mais il a écrit quoi, à part ça ? Des romans ? »
Ce que c’est que la gloire, tout de même...
Jean Daniel, pareillement, se vante beaucoup de n’avoir jamais entendu parler de moi avant “l’affaire” (on dit désormais “l’affaire”, autour de moi, comme pour Dreyfus...). « Jamais je n’aurais pensé pouvoir m’intéresser à un autre Camus », écrit-il. D’ailleurs il ne veut pas souiller sur moi ce nom qui lui est cher, il me refuse le droit de le porter, et il m’appelle M. Renaud...
Pendant ce temps est parue sans tambours ni trompettes, chez P.O.L, la nouvelle édition de L’Éloge du paraître, qui a été envoyée à tous mes ennemis mais à nul de mes proches amis — Jean-Paul ne l’a pas reçue, ni Sophie Barrouyer, ni Marianne Alphant, ni Madeleine Gobeil, ni Jan Baetens probablement, et encore moins le pauvre Alexandre Albert dans son lointain Oregon...
voir l’entrée du vendredi 19 mai 2000 dans Le Jour ni l’Heure◎
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