sans dateDimanche 21 mai 2000, quatre heures et demie de l’après-midi. Meilleure journée, hier. La lettre de Claude Durand est parue dans Le Monde, et elle a beaucoup réjoui mes troupes. D’autre part ma mère m’a signalé un article de Sébastien Le Fol, dans Le Figaro : Renaud Camus repêché. On dirait que ça commence à s’arranger un peu.
Cependant il est beaucoup trop tôt pour crier victoire, comme on y est enclin autour de moi. Si le modèle est la guerre de 14, nous sommes en 1915, à mon avis. La brillante initiative militaire dite “de la pétition”, menée par l’héroïque général Flatters, a un peu desserré l’étau autour de la capitale, mais le territoire est loin d’être libéré, et une terrible contre-offensive ennemie est à craindre. La maréchale Roudinesco se donne un mal fou pour mettre sur pied la contre-pétition dont elle nous menace. Il paraît qu’elle s’écrie avec superbe : « J’aurai tout le Collège de France ! »
Les politologues de cour se demandent si le coup de poing sur la table de Claude Durand après son long silence marque la reprise en main des affaires par un grand tacticien, à la manière de de Gaulle à la fin de mai 68, quand il est revenu de Baden-Baden, ou bien s’il s’agit du baroud d’honneur d’un homme dans une situation impossible, coincé qu’il serait dans sa propre maison entre l’enclume de son vice-président, Bétourné, et le marteau du président d’Hachette-Littérature, Cohen-Séat. Les exégètes les plus fins admirent les allusions à l’un et à l’autre, dans cette phrase de la lettre au Monde :
« Les vrais professionnels de l’imprimé savent que c’est un métier où il ne convient pas de se soucier en permanence de faire valoir la blancheur de ses paumes ou la délicatesse de son odorat, sauf à ne s’occuper que de bonne presse (il en est de toutes paroisses) ou de romans à l’eau de rose. »
Faire valoir la blancheur de ses paumes serait pour Bétourné, qui a dit qu’il n’était pour rien dans la publication de La Campagne de France — ce qui est parfaitement vrai —, et la délicatesse de son odorat pour Cohen-Séat, qui a dit avec délicatesse que ce livre “puait”.
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Dîner hier avec les Saintes Femmes, moins Sophie Barrouyer, hélas, et plus Flatters. Nous étions très gais, et nous ne nous sommes guère attachés qu’à l’aspect comique de tout cela — auquel évidemment on n’est pas très sensible dans les moments de tension la plus grande, mais dont il n’est pas exclu que ce soit celui qui l’emporte un jour, quand l’épreuve sera dépassée (si tant est qu’elle le soit jamais).
Le chantage exercé par l’adversaire — le chantage aux morts, en particulier — tend précisément à vous interdire tout recours à l’humour, dans votre défense : vous n’auriez pas le front de rire de votre ignominie, par-dessus le marché, et de notre douleur ! L’ennui est qu’on ne se sent pas si ignominieux qu’ils veulent bien le dire, et que leur douleur on trouve un peu abusif, dans bien des cas, qu’ils veulent à toute force la faire intervenir dans un débat sur la programmation d’une émission de France Culture. Elle y est un peu à l’étroit, comment ne le voient-ils pas ? Et pour ce qui est des morts, et des victimes, et du respect qui leur est dû, nous en avons donné plus de témoignages, et plus sérieux, que beaucoup de ceux qui nous insultent.
Marianne Alphant est passionnante, car elle connaît beaucoup mieux que nous tous, par sa position au Centre Pompidou, et par son passé à Libération, le dessous des cartes — dont je me rends compte que je n’ai pas la moindre idée, à force de vivre loin de tout ça.
Elle dit que les pages littéraires du Monde sont dirigées d’une main de fer par un tandem Savigneau-Sollers qui ne laisse pas passer la moindre velléité d’opposition à son pouvoir, ni ne pardonne la plus petite atteinte à son prestige. Elle-même avait écrit dans Libération, il y a dix ou quinze ans de cela, et contre tous les usages, un article très sévère à propos d’un livre de Sollers qu’elle avait trouvé exécrable. Sollers, furieux, avait pris quelques renseignements sommaires sur sa famille et sur elle, sur son milieu et sur sa région d’origine, et concocté avec ces bribes un personnage de son roman suivant, une journaliste aigrie au pseudonyme transparent, qui poursuivait le narrateur de sa vindicte, parce qu’en fait elle était folle de lui, et qu’il repoussait ses avances.
Les collègues de Marianne à Libération l’avait incitée à intenter un procès à Sollers. Mais elle s’en était abstenue car elle ne se sentait aucune espèce de ressemblance véritable avec le personnage du roman, qui ne pouvait en aucune façon passer pour un portrait même déguisé, auprès des personnes dont l’opinion lui importait.
D’autre part elle avait remarqué que nombre de ses collègues qui ne la saluaient même pas et paraissaient ne pas la voir avant son article sur Sollers, ou plutôt contre Sollers, avait commencé à lui dire bonjour le jour de sa publication, parce que soudain ils se rendaient compte qu’elle pouvait être une tueuse, elle aussi, et tel était le secret du prestige auprès d’eux. Mais elle ne souhaitait pas être une tueuse. Et plutôt que de le devenir, elle avait quitté le journalisme.
Elle était sévrienne en même temps que Danièle Sallenave. Sallenave et trois de ses amies, dont Sylvie Lebon aujourd’hui de Beauvoir, formaient le groupe dit des requins, à Sèvres, ainsi nommé pour la brutalité dont il avait fait preuve dans l’élimination des rivales aux concours.
Le stupéfiant retournement de Danièle Sallenave est expliqué de la sorte par Claude Durand : « Le monde est très important pour elle ». Je crois d’abord qu’il parle comme M. de Rancé (« Nos âmes affolées de l’amour du monde... »), mais c’est Le Monde qu’il veut dire. Rien ne serait plus essentiel pour Sallenave que de garder ou de retrouver un accès à ce quotidien. Et les menaces sur ce point de Roudinesco ou de quelqu’un d’autre ont pu jouer un rôle capital.
Mais quant à connaître le fin mot de l’histoire...
On me fait remarquer les risques qu’ont pris ceux qui ont signé en ma faveur. Dominique Noguez, par exemple, ne roulerait pas sur l’or. Or il aurait reçu récemment une importante commande de France Culture, pour une fiction radiophonique ou pour une pièce. Et qui dirige la fiction à France Culture ? Bernard Comment, l’âme damnée de Laure Adler, celui qui m’a traité de “pétainiste attardé” ! Et le même Noguez demande une bourse. Et qui siège à la commission des bourses ? Toujours l’ubiquiteux Comment !
Qui dit que vivre n’est pas distrayant ? Quand le sort aura fini de raconter cette histoire, j’espère que Balzac ou Zola s’y mettront !
D’après Stéphane Martin Jean-Jacques Aillagon, le président du Centre Pompidou, qui a signé la pétition de Jean-Paul avec beaucoup de courage, car il est dans une situation précaire depuis le départ de Catherine Trautmann, s’est déjà fait taper sur les doigts au ministère.
Dominique Fourcade, qui m’avait écrit une petite lettre m’expliquant qu’il désapprouvait mes positions mais plus encore la campagne dont je fais l’objet, a refusé de signer la pétition — d’une part parce que le mot réserve ne lui paraissait pas assez fort, par rapport à mes opinions supposées, mais aussi parce que n’était pas réclamé le retour du livre dans les librairies.
Quant au pauvre Stéphane Bouquet, dont la position à Libération serait un peu ébranlée par les trois pages que m’a consacrées ce quotidien sur sa suggestion, au début d’avril, parler des contemporains lui serait désormais interdit. On me rapporte qu’il dit drôlement :
« Maintenant j’en ai pour trois siècles du XVIIe siècle ! »
La bonne humeur où m’avaient mis les assez bonnes nouvelles du jour, et surtout l’agréable dîner entre amis, a été à peine affectée par l’information que m’a donnée Pierre, au téléphone, vers une heure du matin. Bernard-Henri Lévy, à l’émission de Thierry Ardisson, venait de parler de La Campagne de France comme d’un livre « d’un antisémitisme hallucinant ». Hallucinant est bien le mot, pour mon propos : qui crée des hallucinations...
voir l’entrée du dimanche 21 mai 2000 dans Le Jour ni l’Heure◎
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