sans dateSamedi 10 juin 2000, dix heures du matin. Retour de Pierre, penaud et marri, hier après-midi. La discussion était tellement prévisible et rasoire qu’un accès de sommeil nous a pris, et qu’il fallut nous coucher. Puis :
Souvent l’amour naît des combats
Le dieu Mars est son père.
Puis promenade aux Cèdres, en fin d’après-midi, et grande pluie d’été, sur les âmes, les corps, les péchés et les chiens. Odeur délicieuse de la terre (et moins délicieuse des chiens, mais je ne la crains pas). Nous dînâmes à l’auberge de Gramont, presque gaiement — même si la nuit, bien sûr, et l’insomnie, ramènent leurs tarabustages jaloux. Mais bon...
*
Encore une double page dans Le Monde d’hier, que je n’ai pas encore vu, mais on m’en a fait de Paris plusieurs relations. Pas un mot de Sollers, contrairement à ce qui avait été annoncé — c’est sans doute pour plus tard.
Un texte d’une dame de Yale, Naomi Schorr, déplorant si j’ai bien compris qu’il n’existe pas aux États-Unis de loi Gayssot qui permette de réduire au silence des ordures telles que moi.
Je suis sur sa liste, écrit Isabelle Rabineau, qui raconte l’histoire de son nom, et les malheurs de sa famille.
Quelqu’un dont j’ai oublié le nom intervient au nom des Temps modernes, lesquels feraient pourtant mieux d’essayer de se faire oublier, à mon avis, après qu’a été dénoncé, même insuffisamment, l’abject montage stalinien auquel il fut procédé dans leur officine à l’occasion de la dite Déclaration des hôtes.
Enfin Sylviane Agacinski, beaucoup plus modérée qu’on ne s’y attendait : elle dit qu’il n’y a pas de haine, dans les passages de moi incriminés — et c’est un point dont je lui sais gré. Elle me trouve seulement, ou bien c’est ma prose, antipathique. C’est bien la moindre des choses...
Nicholas Fox Weber ne m’a pas caché hier que le journaliste américain, correspondant à Paris du New Yorker, que sa femme et lui avaient tâché d’enrôler de mon côté avait en fait penché de l’autre, après examen des pièces du dossier. S’il était intervenu ç’aurait été en fait contre moi, et s’il s’en est abstenu, c’est par amitié pour les Fox Weber, et pour ne pas avoir à écrire publiquement qu’il désapprouvait l’intervention de Nicholas en ma faveur, attribuable selon lui à une méconnaissance du français et de la situation française.
Il n’a pas été question au téléphone du retrait des œuvres d’Albers. Nicholas a seulement dit qu’il comptait venir ici le plus tôt possible. Je continue de supposer que l’idée de rapatrier les Albers a quelque chose à voir avec la réaction du journaliste américain.
Danièle Sallenave m’a envoyé une longue lettre, où elle explique le retournement de son attitude par des motifs purement idéologiques. Elle reconnaît m’avoir exprimé son enthousiasme de La Campagne de France, elle reconnaît avoir participé aux premiers efforts en ma faveur, mais elle m’explique que la profondeur de mes aberrations ne lui est apparue que plus tard, progressivement — en somme, lorsqu’elle a été dénoncée dans toute la presse. De sorte que cette pauvre Danièle, pour échapper au reproche d’opportunisme (elle aurait changé d’opinion parce qu’il y allait pour elle d’intérêts stratégiques essentiels) est obligée de plaider l’imbécillité, et le long aveuglement de lecture (elle ne comprend pas un texte tant que toute la presse ne le lui explique pas en détail, et n’attire son attention sur les monstruosités de ce texte, qu’un lecture personnelle ne lui avait nullement laissé paraître).
J’ai essayé d’obtenir de Charles Porter qu’il adresse au Monde un article en réponse à celui de Naomi Schorr, afin que l’opinion yaloise soit représentée de façon à peu près équilibrée. Il a platement refusé. D’une part il ne se sent pas capable, dit-il, d’écrire un pareil texte — et passe encore, quoique ce soit bien inquiétant quant à ses capacités intellectuelles. Mais surtout il ne voit pas ce qu’il pourrait répliquer à Naomi Schorr, car « pour l’essentiel il est d’accord avec elle » !
Curieux téléphonage à l’instant de Mme Coulaudon, l’un de mes plus ardents supporters clermontois (avec sa fille). Elle me parle des graves remous qu’entraîne mon “affaire” dans... les loges maçonniques de Clermont-Ferrand ! H. devrait être reçu à Clermont, dans les jours qui viennent au sein de la loge de l’obédience à laquelle il appartient. Il n’y rencontrera, sans doute, aucune opposition. Mais il serait question de visites aux autres loges, et là se préparerait la vive expression d’un fort mécontentement à son égard, pour son attitude à mon endroit.
Que je me mette les francs-maçons à dos, maintenant : il ne manquerait plus que ça ! Voilà qui achèverait de fignoler ma belle image vichyssoise !
Mme Coulaudon me dit qu’elle a tâché d’intéresser La Montagne à mon affaire, mais qu’on lui a fait la sourde oreille, parce que la ville et le journal, selon elle, sont entièrement tenus par les maçons — les maçons de l’obédience de H., si je suis bien la démonstration !
Trois heures de l’après-midi. Voilà maintenant que le chagrin ouvre un troisième théâtre des opérations. Coup de téléphone de ma sœur, à midi : elle me lit une lettre d’une voisine de notre mère, une dame qui habite au-dessus de chez elle et qui va tous les jours lui ouvrir et fermer ses volets mécaniques, dont elle n’a pas la force d’actionner la manivelle. Or cette dame nous apprend qu’elle vient elle-même d’être opérée d’un cancer, et qu’elle ne peut plus rendre ce service à notre mère ; mais surtout que celle-ci se nourrit de la façon la plus fantaisiste, n’a pas la force de ramener chez elle des provisions, est entourée d’appareils détraqués — bref, qu’elle ne peut plus vivre seule, mais qu’elle insiste pour qu’il ne nous soit rien dit de ses soucis.
La lettre parle aussi d’un “caractère bien trempé”, de l’impossibilité de convaincre notre mère de quoi que ce soit, et de lui faire en quelque façon changer ses façons de voir et de faire. Nous en savons quelque chose...
Le mieux serait qu’elle vienne ici, mais elle refuse, dernièrement. Je crois que mon amie Madeleine a commis une grave erreur en parlant de Pierre à ma mère et en ne lui cachant rien de le nature des relations entre Pierre et moi. Ma mère qui a séjourné ici plusieurs fois alors que Pierre s’y trouvait ne devait guère se faire d’illusions sur ce point, mais du moins les choses n’étaient-elles pas nommées. Et qu’elles le soient fait un changement considérable. Madeleine a gravement surestimé, à mon avis, les possibilités d’adaptation de ma mère. Elle lui a dit que j’étais très heureux avec Pierre qui était un garçon charmant et qui m’adorait (humpfff...), et que certainement ce qui était le plus important pour elle, ma mère, c’était mon bonheur, n’est-ce pas ? Mais en fait rien n’est moins assuré.
Madeleine se croit extrêmement intime avec ma mère mais ne se rend pas compte du gouffre qu’établit entre elles les différences de génération, d’origine, de culture, d’expérience surtout. Ma mère est une femme du XIXe siècle, par bien des côtés. Et de toute façon elle n’a jamais été intime avec qui que ce soit — ni avec son mari, ni avec ses enfants, ni avec personne. L’intimité, au sens où nous entendons ce mot aujourd’hui, n’est pas prévue dans le système de valeurs dont elle a hérité.
Toujours est-il qu’elle décline toutes mes invitations, à présent. Elle ne couchera pas sous le même toit que mon amant. Inutile d’écrire qu’elle ne dit rien de pareil. Mais elle trouve des faux-fuyants, ses affaires, comme elle dit, qui la retiendraient en Auvergne.
Ses affaires sont l’inextricable lacis de l’héritage de mon père, c’est-à-dire de ses dettes. Ce serait plutôt à nous, à ma sœur, à mon neveu et à moi de nous en occuper. Mais elle n’a jamais permis que nous y mettions le nez. Et à la vérité nous n’avons jamais beaucoup insisté, tant nous décourageaient d’avance la complexité et le caractère désastreux de ce que nous en entrevoyions. Elle ne nous en écarte pas expressément, bien entendu — et d’ailleurs elle n’en aurait ni le droit ni les moyens. Mais elle témoigne un tel flou dès qu’il est question de ces choses-là, elle émet une telle quantité de poussiéreuse encre de seiche, elle nous promet tant d’épreuves et de souci que notre curiosité déjà peu développée baisse les bras.
Où passe l’argent de notre mère, c’est ce que se demande ma sœur. En tant qu’ancien avocat elle touche une retraite à peu près convenable, qui lui permettrait en tout cas de vivre correctement. Mais elle n’a jamais un sou devant elle. Je crois pour ma part que tout est jeté dans des combats juridiques d’arrière-garde, dont elle ne veut pas nous parler tant ils sont déraisonnables, qui la ruinent et que ne lui rapporteront jamais rien, sauf de nouveaux soucis.
Nous sommes vraiment désemparés. Il n’est pas question de la mettre dans une maison de retraite dont l’idée seule lui fait horreur. Elle ne veut pas aller chez ma sœur. Elle ne veut pas aller chez moi. Et d’ailleurs ni ma sœur ni moi, pour des raisons très différentes, n’envisagerions de gaieté de cœur de vivre avec elle en permanence sous le même toit. La seule espèce de solution que j’entrevois serait qu’elle vive près d’ici, au sein d’une “famille d’accueil”, comme on dit peut-être, qui s’occuperait d’elle et lui laisserait sa pleine liberté. Elle aimait beaucoup ma gouvernante Émilia, naguère. Mais je ne pense pas qu’Émilia, qui elle-même n’est pas de la première jeunesse, puisse la prendre chez elle car elle vit avec ses enfants.
Si tu as une idée, mon p’tit journal, c’est le moment de montrer ton ingéniosité. Je ne peux pas combattre en même temps Élisabeth Roudinesco, Le Monde, le monde, la Cour internationale de Justice de La Haye, France Culture, la Licra, les trahisons de la chair et les obstinations du grand âge.
voir l’entrée du samedi 10 juin 2000 dans Le Jour ni l’Heure◎
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