créée le mercredi 6 février 2013, 12 h 29
modifiée le samedi 9 février 2013, 18 h 25Mardi 5 février 2013, minuit et demi. J’exaspère Pierre en lui répétant en toute occasion, dans le domaine culinaire, que ceci ou cela « a une durée de vie de deux minutes et demie » : les toasts ont une durée de vie de deux minutes et demie (rien n’est mauvais comme les toasts refroidis, à quoi l’on peut reconnaître infailliblement les restaurants médiocres) ; les crêpes ont une durée de vie de deux minutes et demie ; les tranches de magret de canard grillé ont une durée de vie de deux minutes et demie, et encore ; et ainsi de suite. Il semble en aller de même, d’après ma brève, incomplète et très superficielle expérience, des “tweets” de Twitter et des “statuts” de Facebook. À la possible exception de la tournure scandaleuse, du notoire “dérapage” ou de la fameuse “petite phrase” qui pourraient être exploitées, de préférence contre celui ou celle qui les a émises, rien ne dure, sur les réseaux sociaux, tout disparaît en quelques quarts d’heure, ce sont des puits sans fond où tout ce qu’on jette brille un laps au passage de la margelle, dans le meilleur des cas, puis s’abîme sans laisser de traces. À cet égard (et à quelques autres), Flickr est bien plus satisfaisant, rien n’y étant jamais joué et une photographie pouvant très bien remonter de l’oubli des mois ou des années plus tard, parce qu’elle intéresse ou séduit quelqu’un qui précisément cherchait une image de ce genre ou se passionne pour le sujet abordé, figuré. Les gens se plaignent que “tout reste”, sur la Toile, et réclament un “droit à l’oubli”. J’aurais plutôt tendance à déplorer au contraire que tout se perde, se confonde dans l’indifférencié (et d’abord dans l’indifférence).
Maintenant je n’exclus pas que “tweets” et “statuts” regagnent en étendue d’espace, horizontalement, ce qui leur échappe en épaisseur de temps, verticalement. Ils n’ont pas d’existence dans la durée mais peut-être prolifèrent-ils en largeur et dans la simultanéité, grâce aux “partages” et aux “retweets”. Mais cela ne concerne que les usagers beaucoup plus populaires que je ne le suis, qui disposent de plusieurs milliers ou centaines de milliers de “followers”, et peuvent ainsi diffuser très vite et très largement, très efficacement, ce qu’ils pensent devoir porter à la connaissance du monde. Comme ne me suivent qu’une centaine d’abonnés, sur Twitter, et deux ou trois centaines sur Facebook, je ne peux prétendre à pareille compensation. Il est probable aussi que le mélange des genres, au sein de ce que j’émets par ces voies (et par les autres aussi, d’ailleurs, à commencer par l’édition classique) — communiqués du parti de l’In-nocence et commentaires sur l’actualité mais aussi photographies en abondance, reproductions de tableaux, extraits de l’Anthologie générale, chronique de la langue des médias, etc. —, désarçonne et décourage mes publics éventuels, qui ne comprennent pas ce que je leur veux, ne parviennent pas à se faire de moi une image précise et cessent très vite de s’en soucier (il n’y a là, au demeurant, qu’un exact reflet de ma situation générale).
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À propos d’art culinaire j’ai eu la vive satisfaction, ce matin, sur Radio Courtoisie, d’entendre Christian Millau, l’homme des anciens Gault & Millau (que je n’ai jamais pratiqués), se plaindre véhémentement de l’insupportable manie des serveurs et maîtres d’hôtels, dans les restaurants de quelque prétention (mais tous les restaurants ont des prétentions, de nos jours), d’interrompre les conversations pour vous expliquer longuement, et en ridicule détail, ce qu’ils vous apportent. Qu’ils soient capables de le faire si on le leur demande, ou bien si on les attend en silence, c’est très bien. Mais qu’ils estiment avoir autorité pour faire taire les commensaux pendant qu’ils officient et profèrent leur récitation, nous sommes au moins deux, Millau, et moi (non, il y aussi Stéphane Martin), à trouver cela révoltant.
Bien entendu les malheureux n’y sont pour rien. Ils agissent sur ordre. Et il ne sera pas facile d’obtenir des chefs, vaniteux et envahissants comme le sont la plupart, qu’ils nous laissent tranquilles pour goûter les plaisirs conjugués de la conversation et de la bonne chère. Il est d’ailleurs à craindre que la majorité des clients ne souhaitent ces exposés liminaires. Il en va là comme de bonne continuation voire de bon appétit, ou du pénible Monsieur Camus ou Monsieur Duruflé des hôtels : si la plupart des voyageurs y voient une marque de politesse et de considération personnalisée, qui suis-je pour y trouver, l’un des derniers, une marque de vulgarité commerciale et de mauvais ton ?
voir l’entrée du mardi 5 février 2013 dans Le Jour ni l’Heure
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