NON. Journal 2013

créée le lundi 22 juillet 2013, 16 h 14
modifiée le lundi 22 juillet 2013, 23 h 05
Lundi 22 juillet 2013, onze heures moins le quart, le matin.
Adorable :

« Nous sommes habitués à des tirs de mortier sur le commissariat de Trappes, mais là ça va trop loin... »

On croirait le colonel Astor sur le Titanic :

« J’avais demandé des glaçons mais ça c’est ridicule… »

*

Je n’ai jamais été partisan de la politique du pire — par exemple, l’année dernière, au moment des élections présidentielles, je n’étais pas du tout de ceux, et ils étaient nombreux autour de moi (autour de moi politiquement, je veux dire), qui pensaient qu’il valait mieux voter pour Hollande et pour les socialistes parce qu’ils amèneraient plus vite le chaos et cette indispensable “redistribution à droite” si chère (à juste titre) à tant de nos amis. Non, je pensais qu’il était préférable d’essayer de tenir (en l’occurrence) le très peu qu’on pouvait tenir et que Sarkozy valait tout de même (un peu, très peu) moins mal que Hollande et les siens.

Je n’ai jamais été partisan de la politique du pire — et pourtant, lorsque la situation donne des signes de s’apaiser, à Trappes ou ailleurs, je suis obligé de reconnaître (est-ce horrible à dire ?) que, “tripalement” (ce n’est pas encore intellectuel, c’est un sentiment instinctif), je suis déçu.

Évidemment, je n’éprouve aucun plaisir à voir bafouer la police de mon pays, piétiner l’“ordre républicain”, lapider les pompiers, incendier des voitures, détruire des bâtiments et des installations publiques qu’il faudra rebâtir de nos deniers, c’est-à-dire qu’il faudra payer encore et encore et encore pour défrayer la colonisation de notre propre nation (selon un schéma tout à fait inédit dans l’histoire : la France et l’Europe sont les premières puissances dans la suite des siècles qui se ruinent pour subvenir à leur asservissement).

Non, je ne ressens nulle joie à ce lamentable spectacle en soi, à cette humiliation sans nom de la patrie. Et pourtant je suis déçu, “quelque part”, lorsque l’horrible représentation paraît vouloir cesser pour cette fois, parce qu’elle a au moins un mérite immense, toute représentation qu’elle est : elle est vraie, elle est une déchirure magistrale dans le voile du faussel, ce rideau de scène du théâtre du mensonge.

Bien entendu, elle est aussi une magnifique occasion de mensonge : autour d’elle les intellectuels organiques frétillent, fausséistes et faussologues (pseudologues ? pseudocrates ?) de tout poil sont de sortie comme escargots après la pluie : on a l’impression que Laurent Mucchielli (un peu comme Alain Soral, dans un autre genre) a fait des dizaines de petits qui parlent, qui pensent et qui écrivent exactement comme lui. Les colmateurs colmatent, les repriseurs reprisent, les bouche-trous bouchent. Tout le monde se précipite sur les échafaudages, on jurerait quelque grand panneau décoratif de Fernand Léger (Marie Drucker est très Fernand Léger, je trouve, surtout quand ses cheveux tombent tous du même côté) : crise essentiellement sociale, taux de chômage, quartiers abandonnés, échec scolaire, injustice socialeracisme, absence de débouchés, provocations policières, ségrégation, rien à voir avec l’islam, aucun caractère ethnique, juste la misère, la crise, le racisme (ah pardon, je l’ai déjà dit ?).

Ce qu’il y a de merveilleux c’est que, tant que Trappes dure, la vérité est là. Trappes est la bocca della verita : conquête territoriale, guerre ethnique, croissantade religieuse, choc des civilisations. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on s’entendrait mieux avec le Parti Racaille qu’avec le complexe médiatico-politique, avec l’Union des Jeunesses Sensibles qu’avec le Mouvement pour le Remplacement Accéléré du Peuple, en somme avec les remplaçants qu’avec les remplacistes, mais au moins on se comprendrait mille fois mieux. Chaque fois qu’ils ont la parole directement, tout est parfaitement clair : « Vous savez, entre frères, entre musulmans, ça se passe pas comme ça normalement. On peut attaquer une autre personne, on peut attaquer un chrétien, mais on peut pas taper un frère musulman », etc. ; tandis que les remplacistes, eux, dès qu’ils s’expriment, tout ce qu’on voit bien, c’est qu’ils mentent (ou qu’ils sont complètement idiots, mais ce n’est pas incompatible).

*

Un des moments les plus précieux de la journée est celui où le chien Orage fait son apparition ici, dans cette bibliothèque, au deuxième étage.

Le chien Orage a quinze ans, il tient à peine sur ses pattes, pour le rentrer du jardin dans la maison il faut le porter, comme d’ailleurs son jumeau Ottokar (qui, lui, ne fait jamais de visites) — c’est ce que nous appelons “l’ascenseur social”.

Mais (presque) tous les jours le chien Orage, de sa propre initiative, et par ses propres moyens (qui sont à peu près nuls), tient à monter jusqu’ici — j’imagine qu’un étage à gravir lui prend à peu près un quart d’heure, je n’assiste pas à cette partie des opérations.

Évidemment les mauvaises langues, et tous ces gens, assez nombreux, qui, par souci de votre salut, sans doute, tiennent très fort à ce que vous ne puissiez vous flatter de rien, et surtout pas d’être aimé, serait-ce d’un chien, expliquent que si celui-ci s’impose cet effort c’est à cause des tapis, qui sont plus confortables à cet étage qu’au sien. May be so. N’empêche, il monte, le voici, il est là, il est vivant. C’est un pur miracle. Chaque jour est un pur miracle — ses parents ont vécu beaucoup moins longtemps. On peut le caresser, on peut lui parler, il ne comprend pas tout, il est un peu dur d’oreille, mais il a toute sa tête ; il est content, il tape de la queue sur le tapis, bang, bang, bang, bang.

Le dimanche 21 juillet 2013, le chien Orage est encore monté dans la bibliothèque. L’année dernière à cette date, pas une seconde je n’aurais pensé que ce fût possible, qu’il tiendrait, ni son frère, jusque-là. Va-t-il venir ce matin ? Cette après-midi ? Chaque jour il y a un grand suspense. Et puis ce bruit délicieux : le chien Orage, maladroitement, du museau, pousse la porte, et se glisse dans l’entrebâillement, tirant comme il peut son arrière-train effondré.

Vivant ! Vivant ! Comprends-tu ce qu’il y a dans ce mot : vivant ?

voir l’entrée du lundi 22 juillet 2013 dans Le Jour ni l’Heure

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