créée le mercredi 22 janvier 2014, 16 h 46Mardi 21 janvier 2014, minuit et demi. Une lettre que reçoit Pierre de la MGEN (Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale, je suppose…) porte cette mention pour moi très singulière :
EN CAS DE NON DISTRIBUTION
FAIRE RETOUR À L’ENVOYEUR
Pierre ne lui trouve rien d’anormal. Moi elle me stupéfie parce que, dans mon esprit, faire retour n’a jamais signifié ce que cette expression est censée vouloir dire là, d’évidence : renvoyer, retourner. Seul un objet pouvait faire retour, c’est-à-dire revenir. Une lettre, par excellence, pouvait faire retour à l’expéditeur plutôt que de rester en souffrance (autre expression qui a complètement changé de sens) ; mais la personne qui la renvoyait, ou la réexpédiait, n’envisageait pas une seconde, elle, de faire retour.
Ou bien la MGEN pense bien à la lettre, c’est bien la lettre qui dans son esprit doit faire retour, pas son destinataire : mais elle ne se rend pas compte qu’elle s’adresse aux personnes qui vont recevoir la lettre, que son infinitif impératif ne peut les concerner qu’eux, syntaxiquement, que donc elle confond grammaticalement deux objets, ainsi qu’il arrive constamment de nos jours, sujets et objets étant en permanence instables, mal fixés, et brinquebalant incessamment dans les copies d’élèves, les articles de journaux, les divers “statuts” des forums de la Toile.
Ce qui est nouveau, me semble-t-il, c’est que ces expressions anciennes qui ne sont plus comprises trouvent leur chemin jusqu’à l’en-tête des enveloppes imprimées par dizaines de milliers d’une puissante mutuelle, de grandes administrations, de riches sociétés privées : preuve que plus personne ne s’avise au passage de les trouver étonnantes, en leurs nouvelles acceptions. Or on est confronté dix fois par jour à ce phénomène.
La société webmatique en a beaucoup étendu l’ampleur, bien sûr. La langue de la Toile est traduite de l’anglais à coups de serpe (quand elle est traduite at all...) et tout le monde accepte en quelques jours ou quelques heures des mots, des tournures et des acceptions totalement inédites dans notre langue mais dont il n’est pas question de mettre en cause la neuve légitimité : l’exemple paradigmatique étant ici, justement, l’absurde statut des réseaux (pour déclaration, énonciation, contribution), d’évidence calqué grossièrement sur statement. Au début on se demande ce qu’il a, mon statut, et puis on décide paresseusement de ne pas s’en faire (ou de ne pas s’en occuper, ce qui n’est pas tout à fait la même chose).
Tout de même, je suis impatient de me remettre aux Délicatesses du français contemporain, passées du modeste statut de Répertoire à celui de Dictionnaire (qui devrait me permettre d’assumer, moi, le statut qui me manquait de lexicographe). Mais avant cela il me faudrait en finir avec le dixième tome des Demeures — le texte sur Van Doesburg à Meudon n’a pas avancé d’une ligne, aujourd’hui, à cause de l’entretien pour “Boulevard Voltaire”, des palinodies de l’In-nocence et du NON à propos du 26 janvier (elles ont tout de même trouvé une résolution, in fine) et d’un délicieux dîner chez Jeanne Lloan, à Fleurance, à l’occasion de l’anniversaire de Pierre (qui tombait hier, mais le mardi il se lève avant l’aube et ne souhaitait pas, la veille, “dîner en ville”).
*
L’expression faire retour, apparemment, a déclenché chez moi, Dieu sait pourquoi, un de ces flashes dont je suis hanté, celui-ci montrant une assez belle chambre dans un hôtel du nord du pays de Galles (comment écrit-on Pays de Galles ?), une ancienne maison de maître, isolée au milieu d’un grand parc, où dominent de vastes prairies en pente. Dans la chambre on n’était pas assez protégés, il m’en souvient, des bruits du vaste hall-escalier. Une large baie, peut-être un bow-window, donnait sur la petite vallée herbue où passait la grand-route, sur l’autre versant. Des voilages se soulèvent au gré d’un vent léger et se tendent vers l’intérieur en ondulant doucement, comme il convient à la réminiscence.
Il me revient (depuis que j’ai commencé cette entrée), que le séjour dans cette hôtel-maison d’hôtes (pas tout à fait un château-hôtel, plutôt une grosse maison bourgeoise, un ancien domaine agricole, sans doute), avait été un peu et même pas mal gâché, comme souvent, par des difficultés de carte bleue. Par économie, et aussi par crainte de trop de protocole, de menu obligatoire à quatre ou cinq services et de temps perdu, nous étions allés dîner dans un modeste restaurant très animé de la petite ville voisine et, lorsque nous avions voulu y régler l’addition, la carte avait refusé de fonctionner. Nuit d’inquiétude, matinée de souci, téléphonage à la banque avaient empêché de profiter de cette jolie grande chambre. C’est maintenant, à présent, ce soir, qu’elle s’offre à moi en revenante, en deuxième chance, avec toute son acuité de vrai lieu, libéré de la contingence.
J’ai oublié le nom de l’hôtel, bien sûr, et celui de la petite ville, et même celui de cette région du pays de Galles. Mais je dois pouvoir retrouver cela demain, si j’y pense, avec une bonne carte, avec le guide Michelin de Grande-Bretagne, mes agendas, ce journal.
voir l’entrée du mardi 21 janvier 2014 dans Le Jour ni l’Heure
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