créée le jeudi 20 février 2014, 11 h 47
modifiée le jeudi 20 février 2014, 13 h 34Mercredi 19 février 2014, une heure moins le quart du matin (le 20). Finkielkraut m’a finalement téléphoné en fin d’après-midi et, comme je l’avais plus ou moins compris à son long silence, il ne viendra pas témoigner en ma faveur après-demain. Il dit que cette reculade ne doit en aucune façon être interprétée comme un reniement, par lui, de notre amitié, qu’il assumera comme il l’a toujours fait si des journalistes l’interrogent ; et d’ailleurs il me cite dans son émission de samedi, qu’il a enregistrée aujourd’hui même avec Bérénice Levet. Il y a seulement qu’il ne croit pas pouvoir défendre les propos qui me sont reprochés, qui ne sont pas de son registre. Il pense qu’il me desservirait. Il ne semble pas bien comprendre qu’il me dessert bien davantage en se désistant à la dernière minute, alors que sa présence à la barre du côté de ma défense est depuis longtemps inscrite sur les registres et que cette reculade au pied de l’obstacle sera nécessairement interprétée comme un désaveu. Il m’assure que ce n’en est pas un et m’encourage à le dire, comme à dire, en son nom, que quoi qu’on puisse penser de mes propos le débat autour d’eux n’a rien à faire, selon lui, dans un tribunal. Mais que je parle à sa place, sans qu’il soit là pour attester de la véracité de ce que je lui fais dire, ce ne pourrait être, à mon avis, que ridicule.
J’ai reçu aujourd’hui même le beau recueil “Belles Lettres”, opportunément intitulé En territoire ennemi, des textes courts de Didier Goux, dont je connais déjà un certain nombre, que j’aime beaucoup et que je l’avais vivement encouragé à réunir en volume. Je me réjouis que ce soit chose faite, et sous l’élégante couverture de cette élégante et austère maison, pour laquelle j’ai toujours eu un faible marqué, ses belles éditions d’auteurs antiques, en particulier, mais aussi d’érudition contemporaine, étant une des fiertés de ma bibliothèque. On dirait que ces bons sentiments sont en partie réciproques car le président ou directeur général, je ne sais, de Belles Lettres, Michel Desgranges, que je ne connais pas et avec lequel je n’ai jamais été en rapport, a publié hier ce texte en ma faveur (partiellement en ma faveur, au moins) :
« Je sommeillais quand un grand vacarme me fit sursauter ; c’était la clameur qui montait des rangs du Pen club, d’Amnesty international et de la Ligue des Droits de l’Homme, dont les membres défilaient de la Bastille à la République (et retour) pour scander leur indéfectible attachement à la liberté d’expression, et leur soutien à M. Renaud Camus, conduit, ce vendredi, au banc d’infamie d’un tribunal correctionnel pour ses écrits.
« M’étais-je vraiment éveillé, ou avais-je rêvé cette manifestation des défenseurs officiels du plus fragile des Droits de l’homme ? Cette déclaration de la sous-ministresse de la Culture d’État, toujours vive à convoquer les micros pour maudire des parents voulant expulser des bibliothèques qu’ils financent des ouvrages jugés nuisibles à l’épanouissement de leur progéniture, cette déclaration si martiale contre toute ombre de censure, ne l’ai-je que songée ?
« M. Renaud Camus est un auteur prolifique pour qui il semble qu’ait été inventé le substantif graphomane, j’ai lu avec plaisir certains de ses ouvrages et, chaque matin, moyennant une légère obole que jamais je ne regrette, je me délecte de l’entrée nouvelle de son Journal, j’aime sa langue classique, précise, et même ce soupçon de préciosité, qui console de la vulgarité boueuse de nos contemporains.
« M. Renaud Camus est également un observateur tatillon de notre société ; quand il ne nous entretient pas de peinture, de musique, d’architecture et de bons auteurs, il nous en livre une vision légèrement hallucinée, qui doit plus aux fureurs de l’Apocalypse qu’aux froides analyses d’un Tocqueville.
« Prophète, et de malheur, comme tout prophète, mais aussi combattant, il a choisi d’ajouter à son œuvre, ainsi que Chateaubriand ou Malraux, un vaste chapitre d’action politique, créant à cet effet non pas un mais deux partis, dont les programmes relèvent de la seule littérature.
« Ce que j’ai survolé de ces programmes suffit pour que je les considère avec un éloignement hostile, j’en trouve fausses les prémisses, maladroits les développements, aberrantes les conclusions et les range parmi les mauvais livres de l’auteur, c’est un péché qui ne mérite pas le bûcher.
« Sauf pour les permanents d’une association grassement subventionnée, fondée jadis comme organisation de masse du Parti du goulag, des famines organisées et des massacres de toutes sortes, qui ont, grâce à des lois scélérates, traîné devant la justice pénale M. Renaud Camus pour des propos qui choquent leur belle conscience humaniste.
« Je n’ai pas lu ces propos, et ne les lirai point.
« Mais je ne veux me taire quand un homme est menacé de prison pour avoir écrit et publié ce qu’il croit être juste.
« Il est un temps où un procès fait, pour ses écrits, à un écrivain de renom, ce qu’est M. Renaud Camus, déclenchait dans la presse de vastes polémiques, défenseurs et pourfendeurs s’y exprimaient à forces égales, aujourd’hui seul le silence accompagne le bâillon qui doit faire taire l’insolent.
« Ce silence est encore pire que les poursuites, et condamne avec plus de dure efficacité qu’amendes et emprisonnements.
« Et je crains de ne pouvoir espérer que tous les éditeurs et littérateurs de ce pays s’unissent pour affirmer leur solidarité non avec les phrases de M. Renaud Camus, mais avec son droit absolu d’écrire ces phrases, et c’est en solitaire, je le crains, que je dis mon soutien à cet écrivain persécuté, comme je pourrais le dire à des catholiques rigoureux ou des Femen turbulentes, aux dessinateurs blasphémateurs de Charlie-hebdo ou à des militants du Front de gauche (si le vent tournait) — à quiconque est traité en coupable pour avoir pensé autrement. »
voir l’entrée du mercredi 19 février 2014 dans Le Jour ni l’Heure
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