créée le lundi 9 juin 2014, 12 h 21
modifiée le lundi 9 juin 2014, 12 h 26Dimanche 8 juin 2014, onze heures et demie du soir. Jean-Marie Le Pen aurait une nouvelle fois dérapé, selon le terme consacré. On lui parlait de Yannick Noah, qui avait annoncé qu’il quitterait la France si le Front national devenait, avec les élections européennes, le “premier parti de France”. Puis l’entretien passe à Patrick Bruel, qui aurait fait des déclarations assez semblables, peut-être pour le cas où le parti lepéniste arriverait au pouvoir. Peu ému par ces menaces, le vieux chef déclare :
« Eh bien, ça fera une fournée »
ou bien :
« On en fera une fournée ».
Il veut dire, j’imagine, que ces messieurs pourront partir ensemble, qu’on arrangera pour eux un départ collectif. Seulement Patrick Bruel est juif, fournée évoque four, et four la fameuse et calamiteuse plaisanterie sur Durafour crématoire — plaisanterie antisémite, donc, et de la pire espèce, celle qui joue sur la Shoah et les chambres à gaz, et paraît en promettre le retour aux juifs d’aujourd’hui.
Toutefois Yannick Noah n’est pas juif, et fournée est un mot assez courant pour indiquer, sans la moindre référence aux fours crématoires, qu’on traitera plusieurs problèmes ou le cas de plusieurs personnes en une seule fois, par regroupement.
Vraiment, je ne sais pas à quoi m’en tenir, et ne suis pas certain de ce qu’il faut comprendre. Jean-Marie Le Pen est âgé, il parle beaucoup, il donne beaucoup d’entretiens, et si l’on est résolu à trouver dans ses propos certaines tournures qui puissent être interprétées comme des dérapages, on en découvrira toujours ; mais qui seront dérapages pour la seule raison qu’elles viennent de lui, à cause des intentions qu’on lui prête (dans une autre bouche, elles passeraient totalement inaperçues). On peut difficilement interdire à cet homme et à qui que ce soit d’employer le mot fournée, qui est assez courant en français et qui, pour l’immense majorité de nos concitoyens, n’est pas le moins du monde associé aux fours crématoires (ni même aux fours en général, il me semble, malgré l’étymologie : une nouvelle fournée de la Légion d’honneur, une fournée de pairs de France (sous la Restauration)). Le Pen devrait s’interdire ce terme par précaution, à cause de ses énormités passées dans le même domaine. Cependant je ne suis pas convaincu du tout qu’il ait cherché délibérément, en l’occurrence, la provocation. Quel intérêt y aurait-il — sinon celui de nuire très gravement à sa fille et à leur parti, ce dont il n’est pas acquis que ce soit son dessein (ou bien si ?) ?
Bien entendu je suis d’autant plus porté à accorder au président d’honneur du Front national le bénéfice du doute que j’ai été moi-même la victime, ces jours derniers, d’une surinterprétation à mes yeux délirante, qui m’imputait un crime idéologique et une vulgarité raciste dont j’étais totalement innocent, tellement innocent qu’il m’a fallu un certain temps pour comprendre ce qu’on pouvait bien me reprocher. Je fais allusion à mon invitation lancée à l’autoproclamé “bougnoulosophe”, le sociologue belge Jamal Es Samri, de descendre parfois de son arbre généalogique plutôt que de ne s’exprimer jamais, lui l’antiraciste patenté, qu’à partir de ses origines. Ma phrase a été interprétée comme une assimilation délibérée de mon correspondant à un singe alors que rien, j’en jure mes grands dieux, et tous mes lecteurs réguliers me croiront (mais ils sont un Français sur un million…), n’était plus éloigné de mon esprit. À chacun, écrivais-je alors, sa culture, avec les références qui lui sont liées. Celle selon laquelle il ne faut pas parler d’arbre à un Africain, car c’est le traiter de singe, est apparemment très répandue, bien qu’elle me soit rigoureusement étrangère, et presque inconnue, même. L’entrée ci-dessus, où je répliquais à l’accusation qui m’était faite et développais à ce sujet le même propos qu’ici à l’instant, avait été mise en ligne, par moi, en libre accès, et publiée à ce titre sur Facebook. Elle en a été retirée par les services de contrôle des contenus, certainement sur dénonciation, comme étant “contraire à l’esprit Facebook” — c’est vraiment à devenir fou…
Ah ah, et je rouvre ce journal pour un autre exemple, encore plus vertigineux : voilà que je me fais traiter d’antisémite, à l’instant, pour avoir mis en ligne une photographie, prise vendredi après-midi au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, du bel autoportrait de Bernard… Dufour — j’ose espérer qu’il s’agit d’une (mauvaise) plaisanterie, mais je n’en suis même pas certain.
voir l’entrée du dimanche 8 juin 2014 dans Le Jour ni l’Heure
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