créée le vendredi 16 janvier 2015, 15 h 17
modifiée le vendredi 16 janvier 2015, 17 h 23Jeudi 15 janvier 2015, minuit et quart. La grande manifestation de dimanche dernier, je pense que je n’y serais pas allé même si j’avais été à Paris, pour les raisons que j’ai dites ; mais enfin je comprends qu’on ait pu vouloir s’y rendre, et je respecte et même partage la plus grande part des sentiments qui poussaient à y participer : horreur face aux crimes commis, défense de la liberté d’expression, rejet du terrorisme islamique. En revanche la nouvelle expression, hier, de la pulsion collective de masse me confirme entièrement dans ma volonté de rester extérieur à tout cela, dans mon inappartenance non seulement subie mais assumée, réclamée, proclamée.
Il s’agissait de se procurer coûte que coûte le numéro de Charlie Hebdo élaboré depuis le massacre par les survivants. Alors que le journal se vend habituellement à trente mille exemplaires, si je ne me trompe, ce numéro-ci était tiré à trois millions de copies. Et certes on peut concevoir que les Français aient voulu rendre hommage aux morts, témoigner de leur attachement à la liberté de la presse, défier les tueurs, ceux qui les ont envoyés et tous ceux qui les approuvent, les excusent ou les justifient (et qui sont innombrables). Mais enfin puisque c’était déjà, peu ou prou, l’objet de la marche géante de dimanche, cette nouvelle proclamation à la face du monde des mêmes sentiments avait quelque chose d’inutilement répétitif, d’un peu cabotin, même, de la part du peuple, d’inquiétamment automatique, convenu, mimétique, m’as-tu-vu. Surtout, cette ruée vers le magazine présentait à l’œil un caractère affreusement voisin de ce qui s’observe pendant les soldes ou à la sortie d’un nouveau smartphone, ou d’un nouveau volume des aventures d’Harry Potter. Ne manquaient même pas aux reportages les interviews de malheureux qui avaient passé la nuit dans le froid sur le trottoir, dans des sacs de couchage, afin d’être bien certains d’avoir leur journal, au matin ; et moins encore, il va sans dire, les scènes rituelles, que je trouve tellement déprimantes pour l’espèce, toujours, de foules frénétiques se baissant et baissant encore pour passer sous le rideau de fer coulissant quand il se lève, à l’heure de l’ouverture des “maisons de la presse”. Les gens expliquent qu’ils veulent absolument que leurs petits-enfants, un jour, aient entre les mains cette précieuse relique.
Or qu’est-ce que l’objet de cette frénésie ? Qu’est-ce que les Français de 2015 tiennent si fort à mettre sous les yeux de leurs enfants et petits-enfants qu’ils se battent pour se l’arracher, littéralement ? C’est ce qu’il faut bien appeler, maintenant que le première phase du deuil rituel est passée, un immonde torchon, qui eût soulevé d’horreur, d’incrédulité et de dégoût leurs parents, leurs grands-parents et tous leurs aïeux, lesquels, pas un instant, n’eussent pu se persuader qu’une telle laideur, une telle bassesse, une telle imbécillité triomphante, ait pu jamais voir le jour dans leur pays, et qu’on s’en targue. Richard Millet, à ma totale stupéfaction, parle de l’immense talent, je crois bien, de certains des dessinateurs de Charlie Hebdo. Je ne vois pour ma part qu’une poignée de demeurés n’ayant jamais passé l’épreuve du toilet-training, faisant salement un sale travail, et dont tout le comique, qui a bien dû me faire rire une ou deux fois, soit, relève de l’espèce la plus basse, l’imbécile transgression, cette impasse sans fin.
Je n’ai pas vu directement le numéro, hier, mais je sais qu’on y voit par exemple la très vieille sœur Emmanuelle, représentée bien sûr de façon à bien mettre en valeur ses laideurs de presque centenaire, se féliciter, elle qui n’a fait toute sa vie que se branler, de pouvoir à présent sucer des bites. C’est stupide, c’est répugnant, ce n’est absolument pas drôle, c’est triste comme les saletés d’un vieillard retombé en enfance, dans la cour ou le vestibule d’un hospice mal tenu. Nous sommes pour la liberté de la presse. Nous sommes pour la liberté de la presse. Nous sommes pour la liberté de la presse. Et surtout nous ne sommes pas du tout favorables à ce que ceux qui en abusent, par bêtise et par manque de goût, ou pour toute autre raison que ce soit, soient assassinés par des tueurs. Mais combien on aimerait vivre dans une société où la liberté ce ne soit pas cela — ni d’ailleurs les hideuses, pour la plupart, et non moins abjectes, caricatures de Mahomet…
Il semblerait que nous allons devoir nous battre, chacun à notre poste. Nous partirions vaincus d’emblée s’il fallait que ce fût pour ce qui s’étale là, et dont le dessinateur Luz dit gracieusement, mais de façon définitive :
« Cette une a été aussi dure à chier que la mort de nos amis à avaler. »
voir l’entrée du jeudi 15 janvier 2015 dans Le Jour ni l’Heure
Ce bouton permet de se déplacer rapidement dans le site de Renaud Camus. masquer les messages d’aide |
Ces boutons fléchés permettent de consulter les différentes entrées du journal de Renaud Camus. Les autres boutons vous proposent diverses options. Survolez-les avec la souris pour en savoir plus. masquer les messages d’aide |