créée le vendredi 6 février 2015, 10 h 34
modifiée le vendredi 6 février 2015, 23 h 03Paris, jeudi 5 février 2015, dix heures et quart, le soir. L’audience à la 7e Chambre (du pôle II de la Cour d’appel) s’est passée aussi mal que possible (pour moi). Le pire est que j’ai tout à fait perdu mon sang-froid, au beau milieu des opérations. J’expliquais pour la quatrième fois à l’un des assesseurs, une femme, que jamais je n’avais dit, ni certes pensé, que les musulmans étaient des voyous, comme le prétendent les termes de ma condamnation en première instance ; que mon discours portait sur la nocence, autrement dit sur la délinquance petite et grande, que c’étaient les délinquants qui étaient le sujet de ma phrase et de mes propos.
« Oui mais ces délinquants, ils sont musulmans !
— Ceux dont je parle à cet endroit sont musulmans, en effet.
— Donc tous les musulmans, pour vous, sont des voyous ? »
C’est là que mes nerfs ont un peu lâché, j’ai dit qu’on ne se comprenait pas du tout, qu’apparemment il m’était impossible d’expliquer les choses les plus simples, que je renonçais à essayer de rendre raison des propos incriminés puisque semble-t-il je ne parvenais pas à me faire entendre.
« Je vois bien que je vais être condamné, ai-je dit. Eh bien condamnez-moi, condamnez-moi, mais ne me condamnez pas pour avoir dit que les musulmans étaient des voyous, ce que non seulement je n’ai pas dit mais pas non plus pensé un seul instant.
— Mais alors, a repris la présidente avec une moue moqueuse, si vous ne dites pas que les musulmans sont des voyous, ce que vous dites c’est que les voyous sont des voyous, c’est bien cela ? Il n’est peut-être pas nécessaire de faire une conférence pour expliquer cela…
— Je ne dis pas que les voyous sont des voyous, Madame la Présidente, je dis que les voyous sont des soldats. Et s’il me semble insultant de dire que des soldats sont des voyous, dire de voyous que ce sont des soldats, c’est plutôt leur faire honneur, il me semble. Et il me semble aussi que les tragiques événements que nous venons de vivre, que nous vivons encore, sont la confirmation éclatante de ce que j’avançais : pour ainsi dire tous les tueurs de ces dernières semaines avaient fait leurs armes dans la délinquance civile, profane, de droit commun, dans ce que j’appelle la nocence ; et de là ils étaient passés tout naturellement à la criminalité d’inspiration politique, idéologique, religieuse, comme s’il n’y avait aucune solution de continuité entre ceci et cela. C’est très précisément le sujet de mon discours : “La nocence, instrument du Grand Remplacement”. C’est dans ce sens que je dis : “Ces voyous sont des soldats”. Je ne parle en aucune façon des musulmans en général, je parle des délinquants parmi eux. »
On résiste un peu, pour le principe, quand les personnes qui sont plus ou moins de notre bord (plutôt moins que plus, en général, car on n’a guère de bord…) disent, un peu par automatisme, juge-t-on, que nous vivons en dictature, que la justice est à la solde du pouvoir, qu’il ne faut en rien compter sur elle pour défendre la liberté d’expression ni même le droit. Il en va ici comme du concept de collaborateur, collabo, que je trouvais jadis exagéré et pour tout dire déplacé, quand il était appliqué aux personnalités du remplacisme. J’estimais aussi que c’était une hyperbole excusable, mais regrettable, de parler de tribunaux d’exception, de magistrats suppôts du pouvoir remplaciste, de justice à la solde du changement de peuple et de ses artisans. Mais je ne suis plus si résolu à en juger de la sorte. Un homme de je ne sais quelle nationalité, mais originaire de l’est de l’Europe, et qui était là parmi les personnes venues me soutenir, disait à l’issue de l’audience que ce qu’il venait de voir était exactement semblable aux procès de l’ère stalinienne, dans son propre pays. De fait il avait été absolument évident d’emblée, cette après-midi, que j’étais là pour être condamné et recondamné, et rien d’autre.
Un des aspects les plus spectaculaires du parti-pris de la Cour, par exemple, était la colossale différence de traitement entre l’avocat de la partie civile et moi. Ainsi, moi, pour montrer à quel point l’In-nocence et moi étions radicalement insoupçonnables d’incitations à la violence à l’égard des musulmans ou d’autres, je me suis mis à lire des communiqués du parti — le 733, par exemple, 4 octobre 2008, Sur l’agression antimaghrébine d’Ajaccio :
« Le parti de l’In-nocence condamne avec la plus rigoureuse fermeté l’agression dont ont été victimes trois jeunes gens d’origine maghrébine à proximité des jardins de l’Empereur, à Ajaccio.
« Le parti de l’In-nocence est hostile à l’immigration de masse et au multiculturalisme pluriethnique, entre autres raisons parce qu’il voit en eux un facteur capital de violence, de criminalité et de nocence au sein de la société : ce n’est donc certainement pas, à ses yeux, en recourant soi-même à la nocence, à la violence et la criminalité qu’on saurait combattre les maux dont ces phénomènes sont porteurs ; c’est au contraire y ajouter ».
Ou bien le 59, 16 juin 2004, Sur la profanation du carré musulman du cimetière de la Meinau, à Strasbourg :
« Le parti de l’In-nocence exprime l’indignation totale et la vive inquiétude que lui inspirent les profanations abjectes qui ont été perpétrées contre plus de cinquante tombes musulmanes au cimetière de la Meinau, à Strasbourg. Il réitère l’expression du sentiment d’horreur dont l’emplissent de tels actes, dont la prolifération, quelle que soit la communauté visée, lui paraît significative de la dégradation sans cesse accrue du climat national. »
Ou encore le 62, 26 juin 2004, Sur la profanation des tombes de soldats musulmans :
« Le parti de l’In-nocence exprime un dégoût particulièrement marqué pour la profanation de caractère néo-nazi visant cette fois, au cimetière militaire de Haguenau, les tombes de combattants musulmans de la dernière guerre, marocains pour la plupart, qui ont donné leur vie, en 1944 et 1945, pour la France et pour la liberté ; et dont les dépouilles ont un droit sacré, non seulement au respect le plus strict, comme il va sans dire, mais à une immense gratitude. »
Ou encore, n° 455, 19 avril 2007, Sur la profanation des tombes musulmanes de Notre-Dame-de-Lorette :
« Le parti de l’In-nocence exprime l’horreur qu’il éprouve à la nouvelle de la profanation, sous des emblèmes nazis, de cinquante-cinq tombes musulmanes de la nécropole militaire de Notre-Dame-de-Lorette, dans le Pas-de-Calais : quels que soient les motifs, les bas calculs ou les manœuvres électorales de dernière minute qui ont pu inspirer ces actes, ils sont également révoltants, et par l’irrespect sacrilège à l’égard des morts, et par l’abjecte ingratitude à l’égard de soldats tombés pour la France. »
J’aurais pu en citer une vingtaine de cette eau, à propos de mosquées autant que de cimetières, et d’individus autant que de “communautés” — tous parfaitement pertinents à mon sens, et étroitement liés à l’affaire débattue, puisque j’avais été présenté, aux Assises sur l’islamisation, comme président du parti de l’In-nocence et qu’on m’accusait, et m’avait même condamné, pour incitation à la haine religieuse et à la violence. D’autre part ces communiqués figurent tous dans le gros volume de près de six cents pages publié chez David Reinharc en 2012 et que j’ai montré à la Cour, puisque le tribunal correctionnel avait estimé, lui, que je ne proposais rien, politiquement (et que donc seule la violence pouvait répondre à mes propos). Pas un des magistrats ne s’est intéressé le moins du monde à ce volume, et la présidente a interrompu sèchement ma lecture, au motif que ces communiqués n’avaient rien à voir avec la conférence incriminée ; moyennant quoi l’avocat du Mrap, lui, sans émousser si peu que ce soit la complaisance presque amoureuse des juges, a pu faire toutes les digressions qu’il voulait, et par exemple parler longuement de mon “affaire” de l’année 2000, dont le rapport avec l’affaire d’aujourd’hui est autrement plus ténu, me semble-t-il, que celui des communiqués de l’In-nocence, qui ne peuvent que réduire à néant, selon moi, toute accusation d’incitation à la haine et encore plus à la violence ; mais qui sont reçus par la présidente, eux, avec une expression d’impatience exaspérée, comme si vraiment j’abusais de façon scandaleuse de la patience de la Cour. J’ai d’ailleurs commis l’erreur de demander si je pouvais poursuivre ma lecture au lieu de la poursuivre sans rien demander : et la réponse à ma question, il va sans dire, a été non.
Sur l’affaire du “Panorama de France Culture” en 1994 j’ai dit ce que je dis toujours, qu’une émission censément généraliste (le “Panorama”) se transformait d’évidence, à cette époque, en émission communautariste ; que ce n’était certes pas bien grave, que c’était même plutôt comique, mais que ça devait être dit, précisément parce que ça ne pouvait pas l’être (on l’avait bien vu) ; que j’avais toujours conçu la tâche de l’écrivain comme consistant à se porter au point aveugle de la société dans laquelle il vit, à pointer du doigt ce qui, en elle, ne doit sous aucun prétexte être mentionné ; que ce qui ne doit pas être mentionné par excellence, dans notre pays depuis quarante ans, c’est le changement de peuple et de civilisation, l’immigration de masse, le Grand Remplacement ; que si j’avais pris la liberté de mentionner la dérive communautariste du “Panorama” de France Culture, c’est précisément parce que j’étais radicalement insoupçonnable d’antisémitisme ; qu’être antisémite ce n’était pas critiquer tel ou tel juif une fois ou deux pour ceci ou cela, comme on critiquerait n’importe qui d’autre, mais que c’était l’affaire d’une vie et, dans le cas d’un écrivain, d’une œuvre ; que si j’étais antisémite il y en aurait des traces autres que cette affaire dans les quelque cent ouvrages que j’ai publiés : or non seulement il n’y en avait pas, mais il y avait d’abondants témoignages du contraire ; que, pareillement, être un écrivain d’extrême droite c’était un emploi à plein temps, “tout un ensemble” auquel je ne correspondais en rien ; et que déplorer la colonisation dont ma patrie était victime ne devrait pas suffire à me valoir ce qualificatif, dont la presse, dernièrement, m’affublait pourtant de façon systématique.
Le juge assesseur de gauche était de ces personnes qui, dans leur ennui, se grattent avec application le nez et les oreilles puis considèrent longuement, entre le pouce et l’index, ce qu’ils ont pu rapporter de ces explorations, quitte à disposer alors dans la nature, d’un habile coup d’ongle, de ce qui ne leur paraît pas devoir être conservé. On imagine qu’il se croit inobservé. Mais comment peut-on se croire inobservé quand on est assis à un bureau sur une estrade, face au public ? Lui avait eu manifestement en charge l’affaire précédente, autour du docteur non-docteur Sainz, dit le docteur Mabuse, un as des prescriptions spéciales pour coureurs cyclistes, qui poursuit pour diffamation un journaliste de l’agence Reuters, fort dépenaillé, jean pendouillant et pull-over à col roulé avachi. Mais le pseudo-docteur l’était aussi passablement, dépenaillé, avec sa vieille doudoune matelassée, à manches courtes. Je suis toujours très étonné, mais je suis sans doute le dernier, que les gens se présentent devant leurs juges, comme aux messes d’enterrement, comme partout désormais, comme devant leurs classes, devant leurs patients, vêtus comme s’ils avaient l’intention de se livrer incontinent, dans leur garage, à des travaux de bricolage très salissants. Moyennant quoi, par réaction, je tombe dans l’excès inverse.
Le juge assesseur de droite, une femme, donc, était celui qui avait spécialement en charge mon affaire. Pendant les échanges précédents autour du pseudo-docteur Sainz, cette magistrate avait été prise de très visibles accès de somnolence. Ce n’est pas moi qui lui jetterai la pierre, je suis exposé aux mêmes maux. Mais même quand elle ne dort pas elle n’a pas l’air très éveillée. On se demande si ces gens sont complètement idiots, abrutis par la déculturation générale, hébétés par la prolétarisation de masse (la même qui vêt leurs justiciables…), incapables de suivre le raisonnement le plus élémentaire ; ou bien s’ils font semblant de l’être quand ils sont tout à fait résolus à ne pas comprendre ce qu’on leur dit, et qui paraît pourtant bien clair.
Le cas le plus manifeste est cette histoire ridicule du “bras armé de la conquête”, sur laquelle il a été beaucoup revenu, sans notable éclaircissement. Dans les attendus du premier jugement, je suis condamné pour avoir dit que les musulmans étaient “le bras armé de la conquête”, ce qui constitue une stigmatisation caractérisée. Mais bien entendu je n’ai jamais dit que les musulmans étaient le bras armé de la conquête, car alors ce serait la conquête de qui ? Ça n’aurait pas de sens. Je parlais, comme tout au long de mon discours, des délinquants parmi les “nouveaux venus” (pas exclusivement musulmans, d’ailleurs), des “nocents”, des voyous. Si la conquête ce sont les musulmans, comment peuvent-ils en être le bras armé ? Ils ne peuvent être à la fois la partie et le tout. Il y a là pour moi une confusion énorme, manifeste, très facile à démêler (théoriquement), et qui d’ailleurs recoupe exactement celle qui voudrait que j’eusse appelé les musulmans des voyous. Cependant, rien à faire : on voit ces gens ne pas comprendre ou ne pas vouloir comprendre les explications les plus simples. L’avocate générale a repris le syntagme des musulmans bras armé (des musulmans), absolument comme si de rien n’était, comme si mon exégèse doublement inutile était passée sur elle comme de l’eau sur les ailes d’un canard.
Elle trouve d’ailleurs que je suis très intelligent, très subtil — mais ces belles qualités sont retenues entièrement à charge contre moi, bien entendu. Grâce à elles, en effet, je n’ai pas à dire clairement ce que je dis : il me suffit de le faire comprendre sans le dire. Donc, si j’incite à la haine et à la violence, je suis coupable d’incitation à la haine et à la violence, bien entendu ; mais si je ne le fais pas je suis coupable aussi, et encore davantage, même, car ma subtilité et mon intelligence me permettent de le faire sans le faire.
J’avais bien vu venir cette structure accusatoire diabolique et avais tâché de la parer par une citation de Diderot dans une lettre à Sophie Volland, phrase fameuse et magnifique :
« Partout où il n’y a rien, lisez que je vous aime ».
Retournée dans sa substance par l’avocat du Mrap, par l’avocate générale et par la Cour elle-même, cette phrase définit exactement la posture qu’ils sont d’accord pour me prêter :
« Partout où il n’y a rien, lisez que je vous hais ».
Jérôme Dupuis, de L’Express, auquel j’ai parlé au téléphone, ce soir, car je souhaitais avoir sur le procès auquel il avait assisté un sentiment plus objectif que le mien, est beaucoup plus modéré que moi, prévisiblement, dans son appréciation de ce qui m’a paru, donc, un procès “stalinien”. Lui se contente de parler d’un dialogue de sourds — c’est d’ailleurs le sens de l’article qu’il a déjà mis en ligne, honnête et neutre. Il me dit que les juges sont d’évidence stupéfaits de me voir et entendre assumer pleinement ce que les accusés de mon bord, d’habitude, nient mordicus : à savoir la conviction que la France fait l’objet d’une colonisation, d’un changement de peuple et de civilisation, d’une islamisation précipitée.
« Je veux bien être condamné pour cela, lui dis-je, puisque ce sont exactement mes convictions en effet. Mais je ne veux pas être condamné, comme je l’ai été, pour avoir dit que les musulmans sont des voyous, ce que je n’ai jamais dit et jamais pensé ; ou pour avoir incité à la haine et à la violence, ce qui est le contraire exact de mes sentiments et de ceux de l’In-nocence, laquelle porte la non-violence dans son nom même. »
« Vous serez condamné pour les deux », dit-il cheerfully.
voir l’entrée du jeudi 5 février 2015 dans Le Jour ni l’Heure
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