créée le lundi 16 novembre 2015, 0 h 17
modifiée le lundi 16 novembre 2015, 8 h 10Plieux, samedi 14 novembre 2015, minuit et demi. Il faudrait faire un communiqué pour l’In-nocence et pour le NON, après les attentats terriblement meurtriers de la nuit dernière. Malheureusement les mots ne me viennent pas — ou plutôt, ceux qui me viennent sont terriblement conventionnels et plats, obscènes d’avoir traîné dans tant de bouches et sous tellement de doigts : douleur, familles des victimes, recueillement, dignité, etc. Tout cela est vrai, bien sûr, mais justement c’est trop vrai, ce sont des mots tristes qu’on ne peut pas prononcer sans rire (de soi), ou sans dégoût, tant ils ont trop servi, de façon trop mécanique. Ils ont rejoint les trop fameuses heures les plus sombres (de notre histoire), récemment devenues ombres les plus sœurs, ai-je appris avec satisfaction ces jours derniers.
Le fauxel est d’une texture tellement insinuante et prégnante qu’il contamine jusqu’à la vérité, qui revêt sa couleur et se met à sonner comme lui, dans le réel inversé où tous les mots sont pervertis. Il n’y a pas de raison de soupçonner la sincérité des attitudes, des sentiments, des chagrins. Mais pourquoi faut-il qu’elle revête ces formes stéréotypées, qu’on voit bien qui sont dictées par l’époque, la pulsion mimétique, le désir d’appartenance, la mode : rose unique, ours en peluche, messages revêtus d’un cœur qu’on vient déposer les yeux mi-clos en assurant qu’on ne pouvait pas ne pas le faire, petite flamme qu’on allume comme dans les “concerts” de musique populaire, rondes, sit-ins, doigts des deux mains en forme de cœur, encore une fois, etc. — ils doivent bien rire, les assassins et ceux qui les ont armés, face à ces débordements de ce qu’il faut bien appeler niaiserie ; et se dire qu’ils n’auront pas beaucoup de mal à triompher d’un peuple aussi gnangnan (celui qui a inventé d’appeler quasi officiellement les mères des mamans, et qui sait déjà qu’il va dépenser cinq cent soixante-dix-sept euros par personne pour Noël (souvent les achats de cadeaux sont déjà faits)).
On voit bien déjà se reproduire les débordements de jobarderie de janvier dernier, après les attentats contre Charlie Hebdo et l’“Hypercasher” — rien que les noms, d’ailleurs, marquent clairement la dictature de la petite bourgeoisie et du trivial, leur monopole acquis sur l’histoire : après Marignan, le Champ de Mars et le Mur des Fédérés, Charlie Hebdo et le Bataclan (il est déjà question d’une Génération Bataclan, admirablement nommée…). C’est toujours : À bas les effets, vivent les causes ! Le vivre-ensemble tue, c’est parce qu’il n’y en a pas assez : augmentons les doses. Les Français réagissent à la tragédie comme un homme qui viendrait de subir un cancer des poumons et assurerait bravement à qui voudrait l’entendre :
« C’est pas ça qui va m’empêcher de fumer ! »
voir l’entrée du samedi 14 novembre 2015 dans Le Jour ni l’Heure
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