Juste avant après. Journal 2017
créée le lundi 30 octobre 2017, 1 h 01
modifiée le vendredi 2 février 2018, 22 h 50Plieux, dimanche 29 octobre 2017, sept heures et demie du soir. Alain Finkielkraut, lors de son émission désormais fameuse du dimanche à midi, sur RCJ, avec Élisabeth Lévy, s’est plutôt bien tiré du difficile exercice consistant à me renier beaucoup et à me sauver un peu, à me pousser vers le gouffre final et à me retenir sur son bord, in extremis, par la peau des fesses. Son ton général n’était pas inamical à mon endroit : plutôt désolé, las, et même accablé. Il se désespère que je ne l’écoute pas davantage. Il me voit m’enfermer dans un château fort et m’y tenir toujours plus seul, toujours plus extrême, toujours plus radical. Je m’autoradicalise, selon son mot. Ce n’est pas faux, je suis le désespoir des hamsters. Élisabeth Lévy et lui sont ulcérés par “petit bras”, appliqué à la Shoah, mais jugent absurdes les procès qui me sont faits — ce qui semble impliquer qu’ils n’y voient pas de contestation ou d’apologie de crime contre l’humanité, puisque telle en est la matière et le prétexte des accusations ; mais ils n’ont pas développé ce thème-là.
Je conçois que “petit bras” déplaise, voire horrifie, et c’était certes une faute de goût, que je regrette. Il faut bien voir en même temps que ne pas la comprendre, et la prendre au pied de la lettre, est typique d’une société post-littéraire, celle-là même que Finkielkraut, comme moi, déplore si fort. “Petit bras” n’a évidemment de sens, dans mon tweet, que dans la mesure où l’expression s’applique à quelque chose d’énorme, et d’atroce. C’est une hyperbole. Je ne dis certes pas que le crime d’Hitler, (presque) universellement reconnu comme le crime des crimes, ce que je ne conteste en rien, évidemment, est “petit bras”, je dis qu’il l’est (sans que son caractère criminel en soit en rien diminué) au regard du remplacisme global, de la substitution ethnique, qui prend place sur deux continents et même trois, et qui concerne des centaines de millions d’êtres humains. Il est plus criminel (c’est très expressément posé), mais il est infiniment moins large. Si l’on écrit que la Grande Guerre, pour effroyable qu’elle soit, serait de la roupie de sansonnet comparée à une guerre atomique mondiale, ça n’a évidemment de sens que dans la mesure où la Grande Guerre est considérée à juste titre comme la plus horrible des guerres ; et ça n’en diminue en rien l’horreur, au contraire : cette horreur est le fondement de la phrase — mais allez faire comprendre cela à des juges ou à des journalistes, sans doute les deux corps de métier (s’ils en sont encore bien deux) les plus “post-littéraires” qui soient (j’en ai déjà fait l’expérience)…
Le principal point de divergence entre nous n’est jamais apparu si net : c’est la référence au bloc “Seconde Guerre mondiale”. Finkielkraut, d’accord en cela avec beaucoup de mes amis et avec la quasi-unanimité de mes ennemis (sauf les quelques débiles mentaux à la mode UEJF qui me traitent de nazi, ou de pétainiste, et maintenant de négationniste, pratiquement), voudrait que je m’abstienne de toute analogie de ce genre. Non seulement il l’estime déplacée, il la croit fausse. Je pense pour ma part qu’elle est capitale, au contraire, inévitable, essentielle, centrale, effroyablement vraie. Finkielkraut paraît n’en juger qu’au regard de l’immigration et surtout des immigrés, ou, si l’on veut, du Grand Remplacement. Or c’est un point de vue que j’ai dépassé depuis longtemps. Ainsi que je l’ai écrit deux millions de fois, on ne comprend rien au Grand Remplacement si on ne voit pas que, pour gigantesque qu’il est, il ne représente qu’une petite partie d’un ensemble infiniment plus vaste, le remplacisme global, qui est l’essence de la post-modernité, mais dont l’histoire remonte au moins à la Révolution industrielle, avec une très nette accélération au début du XXe s. sous l’impulsion de Frederick W. Taylor. Le chaînon manquant de ce récit tragique est Henry Ford, taylorien fervent, antisémite passionné, pronazi convaincu et dont Hitler avait la photographie dans son bureau. L’holocauste doit autant aux Principles of Scientific Management qu’à Mein Kampf. Ajoutons, au risque d’aggraver notre cas (mais c’est ma devise : J’aggrave mon cas), que sans Heidegger rien de tout cela n’est intelligible — comme il est arrivé souvent, le plus compromis est le plus explicite.
Si je devais résumer d’un mot ou d’un tweet ma pensée je dirai : les usines de la Ford allemande étaient contiguës aux camps de la mort. C’est la même histoire, et elle continue : certes les camps de la mort ont été libérés et fermés, mais la standardisation taylorienne, elle, a brillamment surmonté les épreuves de l’ère post-industrielle et de la davocratie directe, gestion du parc humain par la finance hors-sol, sans l’intermédiaire politique — ce dont le macronisme nous donne en France un exemple d’une clarté d’école, en éliminant le microcosme, en renvoyant tous les “ténors” à leur MP3, en peuplant l’Assemblée nationale d’un ramassis de zombies hagards, en ruinant et détruisant les pouvoirs locaux et surtout, surtout, en faisant exploser les grands partis traditionnels. Substitution ethnique et davocratie directe sont les deux mamelles du remplacisme global. Les boîtes à hommes des mégapoles, où les travailleurs ne peuvent même pas se tenir debout, sont les héritières des châlits d’Auschwitz. Les industries de la MHI reprennent le travail interrompu en 1945, en veillant à y moins compromettre leur image et à s’assurer de meilleures recensions critiques. Il s’agit toujours de faire de l’homme un produit : des abat-jour, du savon, une carte de crédit, des mères-porteuses, des robots, de la cendre. Mais le génocide à présent ne se donne même plus la peine de tuer. Ou plutôt il liquide les peuples, pas les hommes, réduits au statut de consommateurs, plus encore que de producteurs.
Finkielkraut et la plupart des commentateurs veulent voir dans la Shoah un phénomène unique, incomparable, incommensurable à la suite des temps, totalement isolé. J’y observe au contraire le nœud de l’histoire, le cœur des ténèbres, un diamant noir irradiant la mort en continu, l’aleph vers quoi convergent et d’où partent tous les chemins du désastre et de la déshumanisation, le formidable laboratoire central où tout notre présent est forgé, en permanence. Je crains que nous ne puissions nous entendre.
voir l’entrée du dimanche 29 octobre 2017 dans Le Jour ni l’Heure
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