créée le dimanche 1er septembre 2019, 0 h 16
modifiée le dimanche 1er septembre 2019, 14 h 59Plieux, samedi 31 août 2019, sept heures du soir. Le gros de l’article de Chaouat dans Tablet (c’est Tablet, finalement, pas Transit) expose assez longuement, et pas trop inexactement, mes vues sur le cratylisme et sur l’homme remplaçable. Apparemment l’auteur, en ses lectures, n’est pas allé jusqu’au remplacisme global, qui est au centre de mes positions théoriques aujourd’hui, et qu’il ne mentionne pas ; mais sa présentation de Du sens et de ma conférence devant France-Israël (le lieu n’est pas précisé par lui) est plus fouillée que la majorité de celles qui ont pu être faites ces derniers années (et par exemple celle de Mr McAuley dans The Nation, au printemps dernier). Chaouat souligne les liens avec l’école de Francfort mais il ne mentionne pas Günther Anders, dont le nom serait plus pertinent encore en ces régions. Son problème est que tout cela m’est assez favorable, jusque-là, et malgré qu’il en ait. Or il est essentiel que l’article ne le soit pas, et que Chaouat montre bien, en l’écrivant et en le publiant, qu’il appartient au camp des vertueux, auquel on ne saurait accéder qu’en parlant de moi comme d’un monstre. Le retournement final est donc extrêmement abrupt, conventionnel et creux. Tous les mots qu’il faut sont bien là, mais ils ne veulent strictement rien dire, leur fonction est purement signalétique :
« The problem is that Camus wants it both ways. If on the one hand he denounces the instrumentalization of man through capitalism, mass migration, exploitation, on the other hand, the very concept of replacement subscribes to an artificial conception of life in general, and of human life in particular. It is impossible to talk about human population replacing another human population without subscribing to an instrumental conception of human life, without considering human life as an Ikea piece of furniture
« Despite the allure of Camus’ theory of replaceable man, despite his denunciation of the reign of quantity, the claim that human beings can be replaced because the place of dwelling is something static and defined once and for all is inherently counterfactual and artificial. The great replacement is an ideology based on a static, artificial conception of the human. It contradicts the legitimate denunciation of the cynical conception of the human as disposable material. European settlers have not replaced native Americans, the Jews have not replaced the Palestinians, the Hispanics will not replace the white Americans, and the Muslims and Africans will not replace the white Europeans. And so while denying that the world is confronted with mass migrations and a global migration crisis would be absurd and counterproductive, one should not talk about a great replacement but about a great displacement. Displacement is indeed genuinely human.
« The great replacement theory is based on an anti-humanistic and nihilistic conception of the human. It is not by chance that Nazi racial theory and eugenics were meant to manufacture a new man — they were the exact opposite of life, the mechanisms of an artificial conception of human life ; life that can be manufactured in a laboratory. The great replacement theory, despite its author’s sophistry and refinement, is a eugenic vision of humankind and every bit as artificial. »
On songe à ces gens qui me parlent de mon cher Grand Remplacement comme si je l’adorais au lieu de le dénoncer avec horreur. On dirait que c’est moi qui veux y procéder :
« Le concept même de remplacement souscrit à une conception artificielle de la vie en général et de la vie humaine en particulier. Il est impossible de parler d’une population humaine en remplaçant une autre sans souscrire à une conception instrumentale de la vie humaine, sans considérer la vie humaine comme une pièce de mobilier Ikea. »
Voilà des lignes que j’aurais pu écrire, ou à peu près. Toutefois je n’aurais pas condamné les gens qui parlent d’une population humaine en remplaçant une autre, mais ceux qui procèdent à cette opération, que j’évoque, moi, pour la condamner de toutes mes forces.
Ce remplacement n’est pas possible, dit Chaouat : il est contraire à la nature humaine. Il prêche ici un convaincu. Mais si le remplacement n’est pas possible, et s’il y est tout de même procédé, ce n’est pas à un remplacement qu’on assiste, soit, mais à un génocide. Chaouat propose plus délicatement le terme de déplacement. « On ne devrait pas parler de Grand Remplacement mais de Grand Déplacement. » Curieusement c’est revenir à mon point de départ, le Grand Dérangement (des Acadiens).
Le dernier paragraphe de l’article pousse à son comble le malentendu, qui est à peu près du même ordre que celui des gens qui guettent à la sortie du théâtre le méchant de la pièce, pour lui faire la peau. On a peine à croire, tant la confusion est flagrante et la naïveté monumentale, que l’auteur de telles lignes puisse sérieusement enseigner dans une université. On jurerait, à le lire, que c’est moi qui promeus le Grand Remplacement, au lieu de le dénoncer. Ce qu’en dit Chaouat je pourrais le dire aussi, encore que ce soit un peu confusément exprimé, comme tout le reste. Mon opposition constante à la PMA comme à la GPA en témoigne assez, je souscris à son verdict : « the mechanisms of an artificial conception of human life ; life that can be manufactured in a laboratory ». Et je suis évidemment d’accord avec la référence au nazisme, que j’ai moi-même avancée cent fois — mais bien entendu pour la fustiger avec répulsion, certainement pas pour l’assumer, expressément ou implicitement.
Je ne suis pas mécontent. Cet article à prétention savante ne tient pas debout et il l’expose à l’évidence, de manière enfantine et naïve. C’est qu’il obéit à deux pulsions, toutes les deux de nature bien basse puisque les unit seul le tropisme de trahison, mais qui se révèlent contradictoires. La première consiste à se faire mousser, puisqu’il est beaucoup question de moi ces temps-ci, en affichant une bonne connaissance de mon travail et de moi. La deuxième consiste à rester dans le cercle des autorisés de parole, ou bien à y conquérir une place, en me vouant aux gémonies comme c’est la règle en davocratie génocidaire. La deuxième pulsion, la plus essentielle à qui veut faire carrière, l’emporte. Et elle oblige la première à s’abdiquer, et même à se ridiculiser, dans une présentation totalement renversée de mes vues, et très visiblement telle, comme si l’on reprochait à Marx les tares du capital ou à Anders l’obsolescence de l’homme. Les hommes ne sont pas remplaçables : oui, c’est exactement ce que je dis — c’est bien pourquoi les remplacer est un crime et, lorsqu’on y procède en masse, un génocide — merci, Bruno Chaouat.
voir l’entrée du samedi 31 août 2019 dans Le Jour ni l’Heure
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