créée le vendredi 5 juin 2020, 10 h 55
modifiée le vendredi 5 juin 2020, 11 h 00Plieux, mercredi 3 juin 2020, une heure moins vingt du matin. Eh bien nous nous étions trompés, Me Rimokh et moi : les divers délits d’outrage à magistrat qui me sont imputés ne sont pas liés directement à l’audience devant le tribunal d’Auch, le 28 novembre dernier ; mais bien aux comptes rendus que j’en ai donnés ici et là, dans ce journal le jour même et dans mon agenda, “Le Jour ni l’Heure”, à la même date. Je remarque au passage que les juges et les gendarmes, comme à peu près tout le monde semble-t-il, confondent résolument ces deux instances, journal et agenda, ce qui est à la longue un peu vexant — mais bon, je ne vais pas me mettre à compter les couleuvres, je n’en aurais jamais fini… Golubert estime d’ailleurs que l’agenda, autant qu’une source permanente d’embêtements avec tout le monde — les voisins, les amis, les relations professionnelles ou autres, les gendarmes, la police, les juges —, est une aberration commerciale, car, d’accès gratuit, il détourne beaucoup de gens de s’abonner au journal, comme il serait nécessaire qu’ils le fissent pour arrondir un peu nos fins de mois :
« Tout ce qui intéresse les gens c’est de savoir quelles catastrophes vous sont encore tombées dessus. Vos développements métaphysiques sur le sujet, ils s’en foutent… »
À noter également, sans vouloir trop cafter ni aggraver mon cas, qu’à la magistrature comme à la maréchaussée paraît avoir échappé une troisième narration de cette après-midi au palais, celle que je donnai la semaine suivante à la revue Éléments, pour son numéro de janvier : “La querelle du ‘si’” — je crois en avoir déposé le texte ici même, il y a peu.
Toujours est-il qu’à la gendarmerie, cette après-midi, j’ai reconnu sans difficulté être l’auteur des textes en question, bien entendu ; et assumé sans réserve leur teneur, d’où il résulte surtout, grosso modo, que l’atmosphère de l’audience était selon moi détestable, à cause de la hargne stupéfiante de la présidente et plus encore de la procureure à mon endroit, comme à l’égard de Me Rimokh. Je dis hargne pour ne pas dire haine, pour ce qui me concerne ; et tout en considérant que ces dames, qui me traitaient comme un mélange un peu décevant de Mengele et de Dutroux, sont parfaitement maîtresses de leurs sentiments, il va sans dire. C’est de leur façon d’y donner cours en public, et sous les modestes ors de la salle d’audience du tribunal d’Auch, que je continue de ne pas revenir. Je croyais qu’un certain formalisme était de rigueur, moi, en ces circonstances et ces lieux. Et je suis fort attaché au formalisme, en matière de procédure et de tout. C’est d’ailleurs le même attachement à la forme, à la syntaxe, à la “distanciation sociale”, comme on dit volontiers ces temps-ci, qui me fait déplorer que des gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions, et dans leur gendarmerie, à l’occasion d’un entretien fixé par eux, reçoivent leurs interrogés en vieux T-shirts fripés, d’inspiration publicitaire ou sportive, plutôt qu’en uniforme comme il me semblerait normal et souhaitable qu’ils le fissent, même si l’uniforme actuel, ses pull-overs ou ses chemisettes, me semble déjà une nette décadence au regard des jaquettes ou casaques de jadis — liquéfaction de l’espèce humaine, toujours, pour le fonctionnement sans à-coups de l’usine à homme, où il est indispensable que se distinguent aussi peu que possible, pour l’onctuosité de la pâte, les malfrats et les forces de l’ordre…
À ce fâcheux détail près mes gendarmes étaient fort corrects, polis, et d’une neutralité de ton qui est précisément ce dont je déplorais l’absence, chez les magistrates qui me poursuivent — car ce sont bien elles qui me poursuivent, décidément, que ce soient l’une d’entre elle ou les deux, je ne sais. Les gendarmes eux aussi étaient deux, bien qu’un seul fût chargé de l’enquête, officiellement. Le second avait pour mission de surveiller le premier, je présume, ou du moins de veiller sur lui, de le piloter, de le soutenir et corriger si besoin était, de le former comme on forme un stagiaire, à la banque ou à l’hôpital, eût-on dit, ou bien de l’assister dans un cas difficile, face à un client coriace.
Mais je me comportais bien sagement, et je reconnaissais sans barguigner tout ce qu’on voulait. Il n’est que sur un point que je me débattis comme un beau diable, quoiqu’il fût secondaire aux yeux des examinateurs, mais il ne l’était pas pour moi. C’était à propos d’une brève description de Mme la présidente, et de ce membre de phrase :
« La présidente est une jeune femme blonde bouclée coiffée comme un c. » ;
et, plus précisément, de ce c. Je mis un certain temps à m’aviser avec horreur que mes interrogateurs, et la principale intéressée avant eux, certainement, lisaient derrière ce c. une grossièreté en trois lettres à laquelle j’étais plus que certain, je le jure sur la tête de P., de n’avoir un instant songé — les dix ou douze personnes qui me connaissent bien n’en douteront pas une seconde, je pense : le ou les mots (car il y en a deux, semble-t-il) que soupçonnaient les enquêteurs n’appartiennent pas à mon style, pas même à mon vocabulaire : pas dans ce contexte sévère en tout cas, et qui touche de près aux personnes ; et je ne connais même pas l’expression coiffée comme un cul, qui paraît-il, d’après l’un des gendarmes embarrassé, peut apparaître en fin de banquet, « dans des milieux qui ne sont pas le vôtre ». Dont acte : l’ennui est que, for the life of me, malade, tendu, indigné, bourré d’antibiotiques et de morphine, je ne pus absolument pas, sur le moment, expliquer ce que j’avais bien pu vouloir dire, par coiffée comme un c. et par c.
Il fallut une assez agréable visite au musée, malgré la canne et la sciatique, pour que l’illumination tombe sur moi, dans l’escalier, face à un grand tableau de Mario Cavaglieri, Peyloubère plage, après le bain (1933). Bon sang, mais c’est bien sûr, comment ai-je pu ne pas y penser ? Comme un caniche, naturellement. Ça se dit, coiffé comme un caniche, non ? La peste soit de ma délicatesse : pour ne pas écrire caniche j’avais écrit c., où la magistrature et la maréchaussée unanimes, pour une fois, lisaient cul, dont je ne vois même pas le sens possible, en l’occurrence. Ah on m’y reprendra, à vouloir jouer les raffinés !
voir l’entrée du mercredi 3 juin 2020 dans Le Jour ni l’Heure
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