Le Choléra. Journal 2021

créée le mardi 21 septembre 2021, 13 h 03
modifiée le mardi 21 septembre 2021, 13 h 11
Plieux, mardi 21 septembre 2021, dix heures et demie du matin.
Les nouvelles de la Cour de Justice de la République, arrivées hier, sont incompréhensibles. Nous nous attendions seulement à une décision de cette instance judiciaire quant à sa propre compétence à propos de l’“affaire Schiappa”, en l’occurrence ma plainte en diffamation contre Mme Marlène Schiappa, qui a affirmé à la télévision, face à Éric Zemmour, que le tueur de Christchurch, responsable de la mort de cinquante et un musulmans dans une mosquée, s’inspirait de moi, et même qu’il avait sur lui mon livre, Le Grand Remplacement, au moment de son crime. La XVIIe Chambre, à laquelle nous nous étions d’abord adressés, avait déclaré qu’une telle affaire n’était pas de son ressort, Mme Schiappa étant ministre en exercice et ayant procédé à ces déclarations dans le cadre des ses fonctions. Nous nous sommes donc portés devant la Cour de Justice de la République, censée juger les ministres. Et nous attendions de savoir, pour commencer, si ce tribunal-là s’estimait, lui, compétent — si cela n’avait pas été le cas, aucun tribunal français ne l’aurait été, ce qui aurait constitué un manifeste déni de justice, et nous aurait incités à faire appel à la Cour de Justice européenne, tout en étant bien conscients, au moins pour ma part, de l’absurdité fondamentale de toutes ces démarches, toutes ces institutions ayant naturellement été instituées pour permettre, encourager et soutenir le changement de peuple et de civilisation, autant dire pour me condamner — cependant il y a peut-être encore, dans les textes, de quoi limiter un peu leur possibilité de le faire. Cour Européenne de Justice il va bien y avoir de toute façon, selon toute apparence, tant l’arrêt que vient de rendre la Cour de Justice de la République est peu satisfaisant, bien qu’il me donne à peu près raison sur le fond. 

C’est en effet sur le fond qu’il se prononce, à notre première surprise, puisque nous n’attendions à ce stade qu’une déclaration de compétence ou d’incompétence. Il pose par exemple : 

« Il ressort des pièces produites à l’appui de la plainte que les propos reprochés à Mme Schiappa ont été tenus ».

Ces propos et l’ensemble de l’échange diffusé à la télévision sont présentés de la sorte par la Cour : 

« Le 10 février 2020, lors d’un débat organisé par la chaîne de télévision CNews, qui l’opposait à M. Éric Zemmour, Mme Schiappa a notamment déclaré selon la transcription réalisée par un huissier de justice : “Je voudrais répondre sur la question du mot ‘victime’, qui est très fort. Pardon. Si on regarde : qui sont les victimes ? Moi je regarde, à l’heure actuelle, les gens qui sont les victimes de ces discriminations sont aussi les gens qui sont victimes des discours de haine et notamment celui venant de M. Camus — pas Albert, Renaud — sur le Grand Remplacement. Par exemple le tueur de Christchurch en Nouvelle-Zélande ; on a retrouvé sur lui le manuel appelé The Great Replacement — le Grand Remplacement —, et ce sont des gens qui profèrent des actes de haine jusqu’au crime et jusqu’au crime de masse, des actes racistes et antisémites concrets avec cette idéologie du Grand Remplacement en soufflant sur les peurs : la peur de l’autre, la peur du lendemain, la peur de l’invasion avec un champ lexical morbide sur le suicide, sur la dépression, sur la mort — où l’on crée la peur, où l’on attise la peur des gens les uns contre les autres. On est là dans une lecture ultra-identitariste des choses que vous venez de démontrer sur la question de l’assignation à résidence religieuse.”

« En réponse à M. Zemmour qui demandait “quand vous dites l’assassin de Christchurch, il avait lu Le Grand Remplacement…”, Mme Schiappa poursuivait “Il l’avait sur lui”, affirmation répétée deux secondes plus tard. »

Bien, premier point, tout cela est donc attesté et reconnu. Deuxième point, la Cour de Justice considère un peu plus bas : 

« Il ressort également de la décision de la Haute Cour de Nouvelle-Zélande susvisée, paragraphes 4, 5 et 24 à 26, que M. Tarrant a diffusé par voie électronique, immédiatement avant de commettre les assassinats, un document de 74 pages contenant les motivations de ses actes. Ce document intitulé “The Great Replacement” contient à la fois des affirmations à caractère raciste, xénophobe, des appels à la lutte armée et au meurtre rédigés de manière générale ou visant des personnes nommément désignées telle que la Chancelière fédérale d’Allemagne. Ce document contient aussi la mention des inspirateurs idéologiques de M. Tarrant notamment Sir Oswald Mosley. Si la France est citée à plusieurs reprises, ce document ne fait aucune allusion à M. Camus, à ses œuvres ou au fait que la paternité de l’expression “The Great Replacement” pourrait lui être attribuée. Ce document est resté facilement accessible sur l’internet depuis le 15 mars 2019.

« Il existe, en conséquence, un doute sérieux sur la possibilité de lier M. Camus ou ses écrits et l’auteur de l’attentat de Christchurch. 

« L’affirmation que le livre de M. Camus était en possession de M. Tarrant lors de son arrestation n’est donc pas étayée par les pièces en possession de la commission. »

C’est évidemment le moins que l’on puisse dire. Le “donc” d’enchaînement ci-dessus est assez surprenant sur le plan logique, et l’on pourrait légitimement s’étonner qu’une commission “d’enquête” (?) de la République n’ait pas les moyens d’être plus affirmative que cela. Dans le même esprit le jugement dit par exemple « Selon M. Camus, cet ouvrage n’aurait jamais été traduit en langue anglaise » : il semble qu’il n’aurait pas été trop difficile ni trop coûteux, pour un tribunal ou sa commission, de s’en assurer tout à fait, d’autant que c’est un point capital. Plus ennuyante pour moi, et tout aussi floue, est l’affirmation selon laquelle la paternité de l’expression “The Great Replacement” pourrait ne pas m’être attribuée. La paternité de cette expression peut bel et bien m’être attribuée (mais sans doute pas dans l’esprit de Tarrant, qui apparemment ne connaît même pas mon existence) puisqu’elle est la traduction littérale de Le Grand Remplacement, le titre de mon livre. Cependant cette expression, pour le meilleur et pour le pire, est aujourd’hui partout répandue dans le monde, et dans presque toutes les langues. Elle m’a totalement échappé. Rien qu’en France, elle appartient au langage quotidien d’Emmanuel Macron aussi bien que de Michel Onfray ou de Jean-Luc Mélenchon, même si celui-ci lui préfère récemment celle de “créolisation”, semble-t-il. Elle fait partie du langage ordinaire des sociologues comme des publicitaires qui la mettent à toutes les sauces, et elle n’implique évidemment en aucune façon, faut-il l’écrire, les massacres et les attentats — dans mon esprit c’est même tout le contraire, puisqu’elle est étroitement liée à mon concept central d’in-nocence, de non-nocence.

Toujours est-il que l’arrêt de la Cour de Justice, donc, constate très expressément la réalité des propos tenus par Mme Schiappa, estime non moins expressément qu’ils sont dépourvus de tout fondement démontré, puis, cela fait, en conclut extraordinairement qu’il n’y a pas lieu à poursuivre et à sanctionner car ils sont survenus au cours d’un débat extrêmement animé et tendu avec Éric Zemmour (et seraient donc excusables en de telles circonstances ?), et d’autre part qu’ils n’ont occupé dans le temps qu’une toute petite partie de ce débat (et que donc ils seraient sans importance ?) : 

« Toutefois, ces propos ont été tenus au cours d’un débat télévisé au ton particulièrement virulent de part et d’autre, au cours duquel une place essentielle a été accordée à d’autres sujets, les propos incriminés n’occupant que quelques secondes sur la demi-heure d’échanges. Dès lors ils doivent être entendus comme n’ayant pas excédé, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été tenus, les limites admissibles de la polémique politique acceptables dans une société démocratique (cf. notamment CEDH, 11 avr. 2006, Brasilier c/ France, n° 71343/01, § 41, CEDH, 6 oct. 2011, Vellutini et Michel c/ France, n° 32820/09, § 37 à 40, Crim., 28 juin 2017, n° 16-80.064, Bull. crim n°178). »

D’où il ressort clairement que l’on peut dire n’importe quoi si c’est dans la chaleur communicative des banquets et des débats télévisés ; et que diffamation il n’y a pas si elle n’a pris que quelques secondes. Si je dis à l’issue du grand déjeuner annuel bien arrosé des chasseurs que Machin-Truc a tiré volontairement sur Chose-Machin et l’a tué, et si cette petite déclaration ne m’a pris que le temps de lever mon verre, on ne pourra rien me reprocher. Je pourrais même la réitérer, puisque, selon la Cour, Mme Schiappa a bel et bien répété la sienne.

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