créée le mercredi 22 novembre 2023, 18 h 01
modifiée le mercredi 22 novembre 2023, 18 h 07Plieux, mercredi 22 novembre 2023, midi. Marc Weitzmann, qui se targue urbi et orbi, à juste titre, d’avoir lancé en l’an 2000 “l’affaire Camus”, l’une des plus vastes, longues et tumultueuses chasses à l’homme littéraires du dernier demi-siècle (au moins), essaie manifestement de renouveler l’exploit, toujours contre moi, mais cette fois (à l’occasion de la publication là-bas d’Enemy of the Disaster, anthologie de mes textes politiques) aux États-Unis, où il a grande influence — c’est lui qui pilotait à distance deux de mes pires détracteurs dans la presse américaine, Thomas Chatterton Williams, auteur immortel, dans le New York Times, de « la seule race qu’il hait est celle qui frappe à la porte [de l’Europe] » (pour « celle des claqueurs de porte »), et surtout James McAuley qui reprenait tels quels, pour le Washington Post, des éléments de langage directement inspirés de lui. Les trois sont d’accord pour estimer que je suis un écrivain médiocrissime, ce qui est parfaitement leur droit et ne me dérange en rien. Mais Weitzmann, le grand spécialiste de la question, celui que consulte l’Amérique pour savoir ce qu’il faut penser de moi (« I happen to be the writer who outed Camus’s antisemitism back in 2000 »), réitère ses accusations d’antisémitisme et les appuie uniquement sur ce point :
« French Jews will never fully be part of “the French experience” even though they’ve been in the country for more than 1000 years » (« Les juifs français [d’après moi d’après Weitzmann] ne feront jamais partie de “l’expérience française” quand bien même ils ont été dans le pays depuis plus de mille ans »).
Stupéfait par cette assertion, et par cette opinion qui m’est attribuée et dont je suis bien certain de ne l’avoir jamais entretenue ni exprimée, je suis allé voir dans La Campagne de France, pour essayer de trouver ce qui pouvait bien là pousser à me la prêter. Je n’ai trouvé que ceci, qui en est évidemment l’origine, mais qui, bien entendu, ne dit rien de pareil et ne fait qu’exposer le mensonge de Weitzmann, et sa curieuse haine, certainement inspirée par ma médiocrité littéraire (« Camus remains a racist, an antisemite, and something much worse: a terrible writer ridiculously full of himself and full ») (“Full ?”) :
« Deux heures [mercredi 14 septembre 1994]. En quoi je ne suis pas antisémite :
« 1/ en ceci que les persécutions nazies me semblent constituer le crime collectif le plus abominable de l’histoire de l’humanité ;
« 2/ en ceci que me répugne absolument tout ce qui pourrait ressembler à une humiliation — ne parlons même pas de mauvais traitements — infligée à quiconque du fait de caractères ou d’actions qui ne relèvent pas de son libre arbitre ;
« 3/ en ceci que je n’ai aucune tendance à juger les êtres sur leur appartenance ethnique ou religieuse, et qu’un juif peut m’inspirer la plus grande sympathie ou la plus vive admiration ;
« 4/ en ceci que je tiens l’expérience spirituelle et métaphysique du peuple juif comme l’une des plus hautes et des plus enrichissantes de la conscience universelle.
« En quoi il m’arrive d’être irrité par certains juifs :
« en ceci que j’éprouve, de toutes mes fibres, un amour passionné pour l’expérience française telle qu’elle fut vécue pendant une quinzaine de siècles par le peuple français sur le sol de France ; et pour la culture et la civilisation qui en sont résultées. Et que par voie de conséquence il m’agace et m’attriste de voir et d’entendre cette expérience, cette culture et cette civilisation avoir pour principaux porte-parole et organes d’expression, dans de très nombreux cas, une majorité de juifs, Français de première ou de seconde génération bien souvent, qui ne participent pas directement de cette expérience, qui plus d’une fois en maltraitent les noms propres, et qui expriment cette culture et cette civilisation — même si c’est très savamment — d’une façon qui lui est extérieure, semblable à ces commentaires musicaux traduits et retraduits qu’on lit dans les livrets d’accompagnement des disques. Je ne dis pas que ce point de vue n’est pas légitime, ni même qu’il n’est pas intéressant — bien loin de là : il arrive qu’il le soit extrêmement, et nouveau, et très original, infiniment éclairant et enrichissant. Ce que je regrette, ce n’est pas qu’il existe, pas du tout ; c’est qu’il ait tendance, en de trop fréquentes occurrences, à se substituer à la voix ancienne de la culture française, et à la couvrir.
« Je suis profondément conservateur (et c’est en ce sens que rien ne m’irait mieux que ce poste que l’on me dispute). Si dans une discussion publique sur Le Roman de la Rose, sur Bossuet ou sur Chateaubriand, cinq sur sept des voix qui s’expriment ne sont françaises que depuis trente ou quarante ans, ce n’est pas de les entendre que je déplore, pas du tout, et même au contraire ; c’est de n’entendre plus qu’à peine, derrière elles, la vieille voix qui m’est chère de la longue expérience française.
« Cela dit, ce qui estropie volontiers les noms propres, à la radio, et dit de Charlusss pour Charlus, ce n’est pas tant la judéité (Dieu sait qu’elle peut être très “grand genre”, au contraire, et certains “grands juifs” plus distingués que des Mortemart, et autrement plus cultivés) que l’artisanat, la boutique, les ateliers de confection, le prolétariat ou la petite-bourgeoisie industrieuse. Il va de soi que je parle ici de certains collaborateurs du “Panorama” en tant que juifs pour la seule raison qu’eux-mêmes font allusion presque quotidiennement à cette qualité, et à des enfances méritantes du côté de la Bastille, par exemple, au sein de familles ardemment staliniennes — ce qui ne prépare pas forcément à une intimité très marquée avec le faubourg Saint-Germain du petit Marcel. Le profond de la campagne française au demeurant n’y préparerait pas davantage. » (pp. 329-330 de la première édition, avant expurgation post-weitzmannienne)
Dans le même ouvrage on peut lire (id.), trois cents pages plus haut, en date du 10 février 1994 :
« La pensée juive est certes tout à fait passionnante, en général, mais elle n’est pas au cœur de la culture française… — Ou bien si ? Un doute me prend : l’Ancien Testament est certainement aussi “central” à la culture française, sinon plus, que L’Iliade et L’Odyssée. Spinoza est aussi essentiel à notre pensée politique, morale, métaphysique, que Hobbes ou que Leibniz, et certainement plus que Malebranche. Bergson est au cœur, oui, de la philosophie de son temps dans notre pays. Ne parlons pas de Proust, qui lui serait bien près de l’épicentre. Donc… (Reste à savoir si Proust relève de la “pensée juive”… Et même Bergson. Mais on doit pouvoir se poser la question.) » (pp. 48-49)
Tout cela, cet examen de conscience longuement balancé (je ne cite pas tout, mais n’écarte rien de plus compromettant), devient donc, chez le grand expert de ma petite personne me présentant du haut de sa science et de sa rigueur philologique au public américain :
« [Selon lui] Les juifs ne feront jamais partie de “l’expérience française” quand bien même ils ont été dans le pays depuis plus de mille ans ».
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