Lettre ouverte à monsieur l'écrivain
Par Jacques Algazi (Paris)
 
 

Monsieur l'écrivain,
 

Je viens de terminer la lecture de votre Répertoire des délicatesses du français contemporain et suis encore tout à ma satisfaction. Cependant, cependant... Je veux croire que le typo qui a procédé à la saisie ait cru bien faire, sans vous en parler, en redressant votre phrase, à la page 218: «Cependant, ce n'est pas eux, en général, qui ont pris les principales décisions.» «Ce ne sont pas eux» me semble plus habituel. Il me plaît d'imaginer qu'à la page 277, cet employé, (un remplaçant, sans doute) ait pris la liberté d'améliorer votre texte: «Ici comme là, la simple formulation d'un voeu, ou d'un ordre...». Mon papa, qui n'avait pas eu la chance de naître en Ile-de-France, ni même dans le XIXe arrondissement de sa capitale, m'avait très tôt repris, en me précisant que, s'il est convenable de former un voeu, on ne serait le formuler. Mais enfin bon, quelque part... Je veux me convaincre que vous avez voulu embrasser dans un même zeugma l'ordre qu'il est plus fréquent de donner, d'intimer, de hurler, et le voeu que l'on forme (que l'on prononce parfois au pluriel), au prix d'une périlleuse acrobatie rhétorique.

Revenons maintenant, je vous prie, à la page 271 où vous me parlez d'un «pouilly-montrachet» dont je suis invité (comme de nombreux autres, j'espère) à vous donner des nouvelles. Je vous en apporte donc. Ce fut d'abord la perplexité, puis le déni d'incrédule, puis l'épouvante, enfin l'indignation. Bien que n'étant pas originaire du Nivernais, je me suis plu à en savourer les breuvages. J'ai accompli le même effort pour ce qui concerne le côte de Beaune (que Jacquelin et Poulain écrivent la Côte de Beaune). J'ai réarpenté par la pensée, les lectures, le chemin des campagnes de France. Peine perdue: de pouilly-montrachet, point! Cette fois, il est inconcevable d'incriminer l'incurie du seul subalterne. Il nous faut choisir entre le pouilly-fumé (voire le pouilly-fuissé) qu'on fait avec du sauvignon, et le puligny-montrachet que l'on tire du pinot chardonnay.

Une telle méprise ne saurait que témoigner de l'incapacité fondamentale à discerner l'essentiel qui touche ceux qui n'appartiennent pas à notre beau terroir ; de l'étalage d'un vernis trompeur pour donner au lecteur l'illusion de la science et de la délicatesse des papilles. Ou alors, c'est qu'on a encore trop bu.

Vous me direz que je suis bien prétentieux de vouloir critiquer, moi, déclaré français par deux parents également et lamentabement étrangers. N'avaient-ils traîtreusement profité, pour se faire naturaliser en 1937, de ce que notre bon maître Charles Maurras regardait ailleurs? Et ne m'avaient-ils pas, après la bienfaisante bouffée d'air frais apportée par la collaboration, fait entrer insidieusement au lycée Henri-IV, et occuper ainsi la place d'un autochtone qui en aurait sûrement fait meilleur usage? Sale engeance, pensera-t-on. Pour qui se prend-il! Comment croit-il être capable d'intégrer les finesses que nous ont laissées François Rabelais (Alofribas Nasier ou Rav Belaïche? Les juifs sont partout, ma pauv'dame), Jean Racine, Henri Bergson ou Lautréamont.

Mais voici que la terreur et l'indignation que suscite la découverte de la barbarie font place à la compassion. Je me prends à rêver. Ne porteriez-vous pas un nom de théâtre, quelque pseudonyme devenu héréditaire, comme s'en étaient affublés les marranes espagnols, désireux de tromper leur monde et de judaïser en cachette? Rappelez-vous Nostradamus, Michel de Nostre-Dame. Mais nous savons bien que la tare est indélébile.

Alors, Monsieur l'écrivain, laissez votre masque. Rejoignez-nous! Allons boire le verre de la fraternité, un petit coup de «pouilly-montrachet» par exemple, au bistrot kascher du coin pour que vive la seule France.

Jacques Algazi