Les obsessions raciales de Renaud Camus
Par Guy Birenbaum et Yvan Gattegno
 
 
 
 
 

Notre pays est bizarre. Une intense polémique démarre à la découverte des passages antisémites d'un livre, La Campagne de France, de Renaud Camus (Fayard, 2000). Les journalistes qui l'avaient encensé sans le lire - une fâcheuse habitude - font le gros dos face aux attaques de leurs confrères qui, eux, l'ont lu. Les intellectuels s'affolent et pétitionnent. Les arguments mais surtout les egos s'entrechoquent de "Débats" en "Rebonds", et finalement, sous l'assaut, le livre disparaît des librairies. Puis il y revient. Les phrases litigieuses sont remplacées par des blancs tandis qu'en préface Claude Durand, l'éditeur incriminé pour sa légèreté, s'insurge. Fin du Guignol.

Pas tout à fait. Car dans cet ébranlement national il semble que personne ne se soit tout simplement demandé si Camus en était à son coup d'essai ou si ses textes précédents contenaient, eux aussi, des propos scandaleux, passés à la trappe à défaut de lecteurs vigilants. La lecture systématique de la prose de Camus permet de régler la question d'une manière limpide. Oui, Renaud Camus est raciste et ce de manière obsessionnelle. Oui, certains de ses textes antérieurs le prouvent. Il suffisait juste de les lire.

Prenons Le Château de Seix, Journal 1992 (POL, 1997): «Autre chose (mais justement tout est emmêlé): M. Nicolas Sarkozy (je ne sais même pas comment s'écrit son nom) est-il juif? M. Nicolas Sarkozy, "personnalité qui monte", comme on dit du parti gaulliste, comme on dit de moins en moins, m'inspire à première vue, et seulement à vue, une assez vive hostilité. M. Bruno Mégret, qui était hier à côté de lui, et qui, lui, n'est certainement pas juif, M. Bruno Mégret non moins, Dieu merci. Dans ma petite liste de juifs que vraiment je n'aimais pas, j'ai oublié le psychanalyste Gérard Miller, qu'on voit beaucoup sur le petit écran, et qui lui aussi a le don de m'exaspérer» (p. 90).

Du coup Camus s'interroge: «Suis-je raciste ?» (p. 90). Avant d'expliquer: «Je m'intéresse très fort aux origines, les miennes et celles des êtres que je rencontre: origines sociales, raciales, religieuses, géographiques surtout. Mais l'on est gêné dans ces curiosités-là par la question des races, objet d'un tabou très net. Ce tabou a-t-il lieu d'être ? Dans la société peut-être par prudence, mais ni dans mon esprit, me semble-t-il, ni dans ce Journal, qui sont à peu près la même chose, et d'autant plus étroitement la même chose, ces jours-ci faute de temps  ce que je note ici, relève, ou peu s'en faut, de l'écriture automatique.» (p. 91).

Tout à sa propre schizophrénie, quelques lignes plus loin, Camus dissertant sur le racisme, lâche: «Et je suis prêt à aimer ou à admirer d'autant plus tel ou tel qu'il présenterait des qualités qui me paraîtraient plus rares parmi les siens, et que donc il aurait eu plus de mérite à acquérir (la tendresse, l'humour et la subtilité dans le domaine sexuel chez un Marocain par exemple)» (p. 91), et d'enchaîner, comme si de rien n'était: «Je crois au respect de la personne. Les pratiques racistes me font horreur» (p. 91).

Autre exemple un an plus tôt, dans La Guerre de Transylvanie, Journal 1991 (POL, 1996): «Je ne vois pas d'inconvénients à ce que la France, vieille grande nation de longue date installée sur tous les continents et dans les îles de tous les océans, soit représentée dans les concours internationaux des "Miss" par une belle jeune femme de couleur. Mais qu'elle ait d'abord été "Miss Pays de Loire", voilà ce que je trouve ennuyant. L'expression "Pays de Loire" n'a plus aucun sens, dans ce cas. Ce n'est plus une couleur, ce n'est plus un ciel, ce n'est plus une terre, ce n'est plus un type physique, éventuellement, ou culturel, intellectuel, moral. N'importe qui, dans quelque domaine que ce soit, peut représenter n'importe quoi, dans ces conditions» (p. 467).

Et de jouer avec les mots un peu plus loin, de manière toujours aussi obsessionnelle et perverse: «Moi, je suis pour les races - et "raciste" en ce sens, ce qui est remonter vers l'origine, pour le coup: le "raciste" devrait être, en bonne étymologie, celui qui est favorable aux races, à leur existence à toutes et à leur diversité ; de même que le "pédophile" est celui qui aime les enfants ; pas celui qui les viole ou les coupe en morceaux (et qu'on n'aille pas dire que c'est le même). A bas le "genre humain"! La négation des races, leur abolition, la fusion de toutes en une seule, ce serait le "village universel", ma hantise (...)» (p. 467).

Une «hantise» qui va se nicher jusque dans le sport. Il anticipe ainsi sur les propos qu'a tenus - sept ans plus tard ! - Jean-Marie le Pen sur l'équipe de France de football: «Quel rapport de l'équipe de France de football avec la France, si la moitié des joueurs ne sont pas français, sinon par naturalisation précipitée (...)» (p. 467). Même le tennis ne trouve plus grâce à ses yeux, et Camus, véritable Monsieur Jourdain, fait du le Pen sans le savoir (???) en attaquant Laurent Joffrin dans Le Château de Seix, Journal 1992 (POL, 1997).

«17 h 46. A propos de la petite équipe française, formée de Guy Forget, d'Henri Leconte et de leur capitaine Yannick Noah, qui vient de remporter la Coupe Davis, un éditorial du Nouvel Observateur, signé L.J., arrive aux conclusions suivantes: «C'est le genre de mélange qui fait la France d'aujourd'hui, en tennis comme ailleurs. Ce sport était par excellence celui de l'élite blanche et anglo-saxonne. Il est devenu à son tour celui de l'intégration. Il a troqué le droit du sang, sinon pour le droit du sol, du moins pour celui de la terre battue. La leçon, elle aussi, vaut bien une coupe». Ce rappel historique est bien imprudent, et fait un argument qui se renverse de lui-même. Le tennis d'aujourd'hui est peut-être celui de l'intégration comme le veut "L.J.", mais il est aussi d'une incroyable médiocrité esthétique et morale par rapport au vieux tennis de "l'élite blanche anglo-saxonne". L'attitude hystérique de la plupart des joueurs, pour ne rien dire de leur accoutrement, est d'une vulgarité insondable» (p. 426).

Voilà, c'est clair, Camus est raciste, et ni les dénégations abusives ou les silences gênés de ses éditeurs successifs n'ont la moindre valeur face à la pourriture de ses textes. Mais il est loin d'être le seul à avoir eu longtemps le triste privilège de n'être ni lu ni attaqué pour ses écrits. Ainsi, après avoir été démoli en 1985 pour des propos tendancieux et des provocations minables, Marc-Edouard Nabe a réussi le tour de force de redevenir un auteur accepté par le "Tout-Paris-littéraire". En témoigne la parution d'un de ses articles dans la dernière livraison de la revue de Philippe Sollers, L'Infini. Il n'empêche que dans son journal, Kamikaze (Le Rocher, 2000), Nabe démontre que l'on peut tout écrire en France sans risques.

Dans un style que Présent ne renierait pas, il traite ainsi le cardinal Lustiger de «Carmel d'Auschwitz ambulant» (p. 3405). Plus odieux, évoquant un «Sept sur sept» où l'invité est «Frydman, l'homme qui va accoucher ma femme de mon enfant» (sic) (p. 3653), Nabe ne manque pas de se déchaîner sur l'une des cibles favorites de la presse d'extrême droite, notamment de National Hebdo: «J'espère qu'il ne va pas foncer tête baissée sur les panneaux que va lui tendre cette salope de Sinclair. La semaine est chargée en plus: Arafat est à Paris (et les propalestiniens sont tabassés par les Jeunesses juives) et cet horrible maffieux de Jacques Médecin essaie maladroitement de ravaler un rot antisémite. Nous sommes en plein retour de l'anti-antisémitisme. La Sinclair se lèche déjà ses épaisses babines...» (p. 3653).

Ailleurs dans le texte, les époux Aubrac sont vilipendés pour «leurs sales gueules» (p.3309); de toute façon, selon Nabe, «ils ont l'air surtout torturés par cinquante ans de vie commune ! Un couple, c'est pire que toutes les prisons de Montluc» (p. 3309). Et de regretter le «commando meurtrier» qu'elle a mené pour faire libérer «son homme»: «J'espère qu'Aubrac valait à lui seul la demi-douzaine de superbes pioupious berlinois qui espéraient seulement que la guerre se termine vite afin qu'ils puissent retrouver leurs splendides Gretchens...» (p. 3309).

Une petite devinette pour terminer. Qui revendique dans La Guerre de Transylvanie, Journal 1991 (POL, 1996) sa «Sympathie pour Nabe» ? Renaud Camus. Pourquoi ? «C'est qu'apparemment nous pratiquons le même sport aristocratique (...) : survivre» (p. 296). CQFD.

Guy Birenbaum et Yvan Gattegno