Une vieille logique pacifique
par Paul-Marie Coûteaux
 
 
 

Au printemps dernier, le Parlement européen adoptait un certain rapport Ludford, qui entendait fonder la citoyenneté européenne sur l'appartenance à des ethnies, rempart au vieux racismes supposément nourri pendant des siècles par les Etats-nations. Au même moment se développait à Paris une querelle qui montrait tout à l'inverse que la logique des ethnies et autres communautés représentait le masque bien plus que l'antidote du racisme contemporain.

L'histoire vaut d'être contée : en mars 2000, paraît la séquence 1994 du Journal de Renaud Camus, La Campagne de France, qui aborde en maintes occasions la question des communautés, si chère à l'auteur. Un jour, par exemple, écoutant une émission de France Culture sur l'immigration, il juge que la plupart des intervenants, qui ne font pas mystère de leur confession juive, «exagèrent un peu» en ramenant sans cesse la question de leur appartenance communautaire.

Ce passage, et quelques autres d'une eau aussi malheureuse, vaut à l'auteur une immédiate levée de boucliers : articles, pétitions, actions en justice se succèdent pour dénoncer son "antisémitisme". Le scandale est tel que l'éditeur, Fayard, retire le livre de la vente, puis, deux mois plus tard, relance une version dont les passages expurgés sont signalés par de grands espaces blancs - ce qui rend la lecture assez impressionnante. Aussitôt interdit chez les principaux éditeurs, le banni finit par trouver une petite maison, les Nouvelles Impressions, qui publie en novembre, sous le titre Corbeaux,  le journal qu'il a tenu au plus chaud du "débat" - publiant notamment les nombreux articles en défense que la presse unanime refusait.

L'intéressant de l'affaire n'est pas son thème, assez désolant, car il ne viendrait jamais à l'idée de ce que Camus nomme lui-même un «vieux Français» avec, du reste, des accents flatteurs, de chercher l'origine religieuse ou ethnique des personnes intervenant à la radio ou à la télévision, qu'il s'agisse ou non de service public - pas davantage un Français classique, donc laïc, n'aurait-il l'idée, si lesdits intervenants avaient la bêtise d'afficher leur appartenance particulière, de compter les groupes ainsi représentés selon leur religion, couleur de peau, inclination sexuelle, ou provenance provinciale : passons donc sur ces remugles. Passons aussi sur la violence de la mise à l'index, qui montre que ni le dogme ni la censure n'ont disparu, et sévissent à Paris aujourd'hui, comme depuis des milliers de lunes. L'intérêt majeur est que l'auteur, loin d'être un imprécateur à la Céline, se veut, s'affiche et se répète "de gauche", et même de la gauche la plus "moderne", qu'il a voté, lors des européennes de ladite année 1994, pour la liste Sarajevo menée par BHL en personne, et que, mieux encore, il se défende en assurant qu'il aurait écrit la même chose s'il avait compté une telle disproportion en faveur d'une des autres communautés auxquelles il annonce appartenir, l'homosexuelle et l'auvergnate.

La seule appartenance publique acceptable

Ici, "l'affaire" devient passionnante : car c'est une leçon limpide qu'administre Camus, sans le vouloir d'abord puis en le voulant à mesure que s'opère la pédagogie de l'aventure. Leçon simple : il n'est nulle concorde possible dans la logique des "communautés". Y pénétrer, comme le fait à qui mieux mieux une certaine gauche dans les incertains fourgons du "pluri-culturalisme", c'est mettre le doigt dans un engrenage où s'évanouit aussitôt toute chance de concorde civile.

Français : telle est la seule appartenance acceptable, publique, dans un ensemble national où les appartenances particulières doivent être reléguées dans la sphère privée, tout juste bonnes à qualifier, en donnant peut-être un caractère, une origine, une saveur, jamais une substance. Catholique ou juif, corse ou breton, homosexuel ou albinos ne sauraient être que des qualificatifs, abusivement substantivés. La république ne peut connaître que des Français : et que la logique ethniciste glisse ainsi dans la raciale est une magistrale réponse aux pourfendeurs européens de la vieille mais si pacifique logique nationale.

Paul-Marie Coûteaux