Résumé écrit, envoyé à Alain Salles, des propos de Renaud Camus lors d'une conversation téléphonique avec ce journaliste du Monde, le mercredi 19 avril 2000.
 
 
 
 
 

J'assume ce que j'ai écrit, tout ce que j'ai écrit - à un mot près, peut-être - mais rien de plus que ce que j'ai écrit. Et je m'élève contre le procédé de soupçon, voire de condamnation préalable, qui consiste à dire : puisque vous pensez ceci c'est que vous pensez cela ; ou bien, si vous aimez votre chien et que Le Pen aussi aime son chien, vous avez les mêmes sentiments que Le Pen.

Les passages incriminés représentent quelques lignes parmi les cinq cents pages d'un volume, le neuvième, de mon journal. Elles reflètent mon humeur les deux ou trois jours où je les ai écrites. Je ne les renie en aucune façon, mais enfin elles ne peuvent pas être lues comme si elles faisaient partie d'un grand traité ou d'un pamphlet sur le journalisme en France. Elles portent sur un sujet très étroit, une émission de France-Culture que j'écoutais régulièrement à l'époque, avec un intérêt soutenu, donc, quoiqu'il me soit arrivé, à deux ou trois reprises, de manifester de l'agacement parce que les journalistes participants, juifs en très grande proportion - je ne fais pas de l'outing, c'est eux qui le disaient régulièrement - avaient tendance, selon moi, à aborder des thèmes juifs (souvent très intéressants par eux-mêmes, là n'est pas la question), avec une fréquence exagérée ; bref à traiter une émission officiellement généraliste dans un esprit en partie "communautaire". Je n'ai rien contre les émissions communautaires, au contraire, j'écoute régulièrement "Ecoute Israël", le dimanche matin, et l'émission musulmane, et l'émission orthodoxe. Mais certains jours il y avait menace de mélange des genres. J'en étais agacé, et je notais dans mon journal que ces journalistes «exagèrent un peu, tout de même», ce qui n'est pas bien méchant.

Ma réaction aurait été exactement la même s'agissant de n'importe quel autre groupe, et si une majorité de Basques, de Bretons, de protestants ou d'homosexuels avaient plus ou moins consciemment entraîné une surreprésentation, à la longue un peu fastidieuse, ou cocasse, de sujets basques, protestants ou homosexuels. D'ailleurs la période à forte tonalité juive du "Panorama" de France Culture a été suivie par une sorte de "réaction catholique", dont rend compte religieusement la suite de mon journal, et qui a coïncidé d'ailleurs avec une nette baisse de qualité de l'émission.

Je me rends parfaitement compte, cela dit, que le qualificatif juif est plus délicat à manier et demande plus de précautions que ceux de basque, protestant ou même homosexuel. C'est précisément pour cette raison que, n'ayant pas cru devoir m'interdire les remarques qui précèdent, qui me semblaient et qui me semblent encore fondées en vérité, je les ai fait suivre de commentaires qui ne sont jamais cités dans la polémique actuelle et qui soulignent l'absurdité qu'il y aurait à rapprocher ces remarques d'un quelconque antisémitisme que démentent de la façon la plus claire de très nombreuses pages que j'aie pu écrire d'autre part. On me reproche maintenant d'avoir parlé de la race juive, sans préciser que c'était dans la phrase suivante : «Je trouve que la race juive a apporté à l'humanité une des contributions spirituelles, intellectuelles et artistiques parmi les plus hautes qui soient.» J'emploie ici le mot race dans une de ces acceptions les plus traditionnelles en français, comme dans génie de la race ou fin de race. Il peut s'appliquer tout aussi bien aux Italiens, aux Gascons, aux Habsbourg ou aux Capétiens. On me dit qu'il n'a plus cours en ce sens, et qu'il n'a aucun fondement scientifique. Je n'imaginais pas qu'il en eût un. Mais si l'on y trouve à redire, celui-là, je le retirerais bien volontiers.