Fragments du
«Journal de 1994»
Si elles ne constituent pas l'essentiel du Journal, qui s'inscrit dans le projet autobiographique de Renaud Camus (lire page 32 l'article d'Hugo Marsan), les réflexions racistes émaillent de nombreux passages de l'ouvrage La Campagne de France, Journal de 1994 publié par Fayard, dans une vingtaine de pages. Le plus souvent cité est : « Les collaborateurs juifs du "Panorama" de France-Culture exagèrent un peu tout de même : d'une part ils sont à peu près quatre sur cinq, à chaque émission, ou quatre sur six, ou cinq sur sept, ce qui sur un poste national et presque officiel constitue une nette surreprésentation d'un groupe ethnique ou religieux donné ; d'autre part ils font en sorte qu'une émission par semaine au moins soit consacrée à la culture juive, à des écrivains juifs, à l'Etat d'Israël et à sa politique, à la vie des juifs en France, et de par le monde, aujourd'hui ou à travers les siècles. C'est quelquefois très intéressant, quelquefois non ; mais c'est surtout un peu agaçant, à la longue, par défaut d'équilibre. »
«La pensée juive, ajoute Renaud Camus, est certes tout à fait passionnante, en général ; mais elle n'est pas au coeur de la culture française», avant de se demander aussitôt : « Ou bien si ? Un doute me prend. » Il explique ensuite l'importance de l'Ancien Testament, de Spinoza, Bergson ou Proust. Il regrette ensuite qu'il soit « à peu près impossible de le relever. Le relevant on s'exposerait en effet à une arme absolue de langage, dont nul ne peut réchapper - antisémitisme ». « L'idéologie antiraciste, c'est triste à dire, est responsable d'infiniment plus de censure que le racisme, qui lui n'a guère les moyens d'en imposer, de toute façon», remarque-t-il peu après.
Le livre comporte aussi de nombreux passages sur les musulmans : «J'ai le plus grand mal à imaginer que des musulmans de souche - j'exclus le cas d'un Français de souche qui se serait personnellement converti à l'islam : lui aurait tout de même le bénéfice de l'héritage - puissent être tout à fait français (en ce sens archaïque, mais peut-être pas tout à fait caduc) ; aussi français en tout cas qu'un paysan de Gascogne dont la famille vit dans le même village depuis sept ou huit siècles, qu'un notaire de Semur-en-Auxois, que le descendant des morts de l'Empire, de 70, de 14. Quelques dizaines de milliers de musulmans aussi ont donné leur sang pour la France. D'ailleurs, il me souvient que dans mon enfance, avant la fin de la guerre d'Algérie, j'étais enfantinement favorable au parti de l'intégration, tel qu'on entendait ce mot à l'époque ; et que je rêvais d'un grand Etat, qui se fût étendu "de Dunkerque à Tamanrasset", comme disait de Gaulle : Arabes, Berbères et Français de France, et Français d'Afrique du Nord, auraient peut-être pu appartenir alors à une même nation, dans ce cadre impossible. Mais sur le seul territoire de la France de toujours, les musulmans se sentiront toujours un peu étrangers, je le crains, et ils seront toujours perçus comme tels. Non, je ne le crains pas, je le souhaite. »
« QUI ÉTAIT L'HÔTE ». Vient ensuite le passage mentionné dans la pétition contre la reparution du livre et dont les partisans de Camus contestent "le montage". Le voici dans son intégralité : «Les lois que personnellement j'aurais voulu voir appliquer, aux groupes et surtout aux individus d'autres cultures et d'autres races qui se présentaient chez nous, ce sont les lois de l'hospitalité. Il est trop tard désormais. Elles impliquaient que l'on sût de part et d'autre qui était l'hôte, et qui l'hôte. A chacun ses devoirs, ses responsabilités, ses privilèges. Mais les hôtes furent trop nombreux dans la maison. Peut-être aussi restèrent-ils trop longtemps. Ils cessèrent de se considérer comme des hôtes, et, encouragés sans doute par la curieuse amphibologie qui affecte le mot dans notre langue, ils commencèrent à se considérer eux-mêmes comme des hôtes, c'est-à-dire comme étant chez eux. L'idéologie dominante antiraciste leur a donné raison. Il n'est plus temps de réagir, sauf à céder à des violences qui ne sont pas dans notre nature, et en tout cas pas dans la mienne. Je n'oublie pas notre ancien rôle d'amphitryons, toutefois, même si nous ne l'avons pas toujours très bien tenu ; et si nous ne sommes plus désormais que des commensaux ordinaires parmi nos anciens invités.»
«JE NE SUIS PAS ANTISÉMITE». Après une scène de drague en Tunisie, l'auteur constate : «Malheureusement c'est l'occasion de me souvenir que les Arabes et moi, décidément...» Plus loin il reconnaît que «quinze jours en Tunisie semblent avoir transformé la nature de mes rapports avec le monde musulman». Quelques centaines de pages plus loin : « En quoi je ne suis pas antisémite : 1/ en ceci que les persécutions nazies me semblent constituer le crime collectif le plus abominable de l'histoire de l'humanité ; 2/ en ceci que me répugne absolument tout ce qui pourrait ressembler à une humiliation - ne parlons même pas de mauvais traitements - infligée à quiconque du fait de caractères ou d'actions qui ne relèvent pas du libre arbitre ; 3/ en ceci que je n'ai aucune tendance à juger les êtres sur leur appartenance ethnique ou religieuse, et qu'un juif peut m'inspirer la plus grande sympathie ou la plus vive admiration ; 4/ en ceci que je tiens l'expérience spirituelle et métaphysique du peuple juif comme l'une des plus hautes et des plus enrichissantes de la conscience universelle.» En quoi il m'arrive d'être irrité par certains juifs : en ceci que j'éprouve, de toutes mes fibres, un amour passionné pour l'expérience française telle qu'elle fut vécue pendant une quinzaine de siècles par le peuple français sur le sol de France ; et pour la culture et la civilisation qui en sont résultées. Et que par voie de conséquence il m'agace et m'attriste de voir et d'entendre cette expérience, cette culture et cette civilisation avoir pour principaux porte-parole et organes d'expression, dans de très nombreux cas, une majorité de juifs, français de première ou seconde génération bien souvent, qui ne participent pas directement de cette expérience, qui plus d'une fois en maltraitent les noms propres, et qui expriment cette culture et cette civilisation - même si c'est très savamment - d'une façon qui lui est extérieure, semblable à ces commentaires musicaux traduits et retraduits qu'on lit dans les livrets d'accompagnement des disques. Je ne dis pas que ce point de vue n'est pas légitime, ni même qu'il n'est pas intéressant - bien loin de là : il arrive qu'il le soit extrêmement, et nouveau, très original, infiniment éclairant et enrichissant. Ce que je regrette, ce n'est pas qu'il existe, pas du tout ; c'est qu'il ait tendance, en de trop fréquentes occurrences, à se substituer à la voix ancienne de la culture française, et à la couvrir. »
De nouveau sur le «Panorama» : «Cinq participants, et quelle proportion de non-juifs, parmi eux ? Infime sinon inexistante. Or je trouve cela non pas tout à fait scandaleux, peut-être, mais exagéré, déplacé, incorrect. Et non je ne suis pas antisémite. Et oui je trouve que la race juive a apporté à l'humanité une des contributions spirituelles, intellectuelles et artistiques parmi les plus hautes qui soient. Et oui je trouve que les crimes antisémites nazis constituent probablement le point le plus extrême qu'ait atteint l'humanité dans l'abomination. Mais non, non et non, je ne trouve pas convenable qu'une discussion, préparée, annoncée,officielle en somme, à propos de l'intégration dans notre pays, sur une radio de service public, au cours d'une émission de caractère général, se déroule presque exclusivement entre journalistes et intellectuels juifs ou d'origine juive.»