L'auteur de «la Campagne de France» a droit à un débat contradictoire.

Ecoutons d'abord
Renaud Camus

Par Dominique Fourcade
Dominique Fourcade est poète et critique d'art. Dernier ouvrage paru «Le Sujet monotype», P.O.L, 1997.

Le jeudi 25 mai 2000
 
 

On me soumet depuis plusieurs jours une pétition (Libération du 18 mai) destinée à «aider Renaud Camus» (accusé de propos antisémites dans son livre La Campagne de France, ndlr). Je ne puis la signer, pour plusieurs raisons, dont l'une est qu'elle ne parle que de «réserves» à faire sur les passages qui sont reprochés à Renaud Camus. Pour ma part, ce ne sont pas des réserves que je fais sur ces passages: je les désapprouve, quel que soit le contexte dans lequel on puisse (et dans lequel on devrait pouvoir) les restituer.

Cependant, il me semble que les conditions dans lesquelles se traite «l'affaire» sont chaque jour plus indignes. Nous assistons à un procès où les accusateurs sont multiples et disent parfois les choses les plus graves, tandis que l'accusé est réduit au silence. Je crois donc fondé de demander que l'on quitte le mode du procès pour aborder celui du débat contradictoire. Les conditions d'un tel débat sont, entre autres: 1) que les éditions Fayard remettent en circulation le livre de Renaud Camus La Campagne de France, puisqu'il est la pièce à conviction qui permet d'accuser son auteur (je m'étonne au passage que la pétition en faveur de Camus ne réclame pas plus la remise en librairie du livre) ; 2) que les journaux où Renaud Camus a été attaqué entendent et publient ses explications.

Il y a des chances que l'on s'aperçoive alors qu'il ne s'agit pas, dans le cas de Renaud Camus, d'antisémitisme, mais d'obsessions autres, difficiles à cerner, et dont la mise au jour serait fructueuse. Je le répète: il y a des chances. N'y en aurait-il qu'une qu'elle vaudrait la peine d'être courue.

Si, après examen, l'antisémitisme qu'on lui prête unanimement devait se confirmer, c'est moi qui me serais trompé et il sera toujours temps de le reconnaître.

Il y a, et on ne peut que s'en féliciter, parmi les intellectuels français un consensus quasi total pour penser que l'antisémitisme est une chose abominable et qu'une vigilance de tous les instants s'impose. Mais ce devoir de mémoire, cette juste conviction et cette vigilance imposent à tous ceux qui les éprouvent un devoir de discernement à la mesure même de l'accusation. Ne pas se tromper de cible et ne pas enfoncer de porte ouverte. Il me semble que retenue, discernement et équité manquent aux attaques portées contre Renaud Camus.

Pour traiter son cas, je pense qu'il faut relire la bouleversante lettre du 6 novembre 1908 de Marcel Proust (juif?) à Mme Straus (Geneviève Halévy - juive?): «Les seules personnes qui défendent la langue française (comme l'armée pendant l'affaire Dreyfus), ce sont celles qui l'attaquent. Cette idée qu'il y a une langue française, existant en dehors des écrivains, et qu'on protège, est inouïe. Chaque écrivain est obligé de faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de faire son son.» Voilà pour ma part où j'en suis, en tant qu'écrivain, en tant que citoyen, car cette lettre traite de rien moins que du cas français, il n'est pas l'un de ses points qui ne soient transposables à tous les plans possibles de la vie d'un pays. A l'aune de cette lettre on doit pouvoir débattre littérairement et citoyennement avec Renaud Camus, quitte à s'opposer radicalement à lui.
 

Dominique Fourcade