Haïssez-vous les uns les autresPar Jean Daniel
(jdaniel@nouvelobs.com)
I. -Une allergie ancestrale
Je ne me serais jamais douté que je pourrais m'intéresser à un autre Camus que le mien, si j'ose dire. Ce Renaud Camus à qui le scandale a procuré un prénom n'est sans doute pas encore tombé au niveau du petit-fils de Charles de Gaulle. Je concéderai même qu'il n'est dépourvu ni de talent ni d'originalité. Mais on eut préféré qu'il changeât de nom pour nous expliquer que, contrairement à ce qu'avait dit Bernanos, Hitler n'a pas tout à fait déshonoré un certain antisémitisme. Humeur complaisante de diariste ? En tous cas explosion d'indélicatesse.
Je n'approuve pas la saisie de son livre alors qu'on peut lire Hitler et Céline et que les interdictions me font horreur. Tout judéo-centrisme, par ailleurs, m'exaspère et, pour ma part, j'accepte le fait qu'on ne puisse être aimé de tous lorsqu'on arrive pas soi-même à être séduit par chacun. Mais cette exaspération devant la « sur-représentation » des juifs dans l'équipe qui, à France-Culture et sous le label Panorama commente l'actualité littéraire révèle un état d'esprit trop précis. J'ai d'autant plus de plaisir à en démonter le mécanisme que cette émission de Panorama réserve depuis des années à mes livres un sort à la limite de l'injure. Mais que veut dire l'expression « sur représentation » ? Il y en avait donc des justes ? et des « sous représentations » ? De qui ?
Interprétation indulgente : nous serions une société déjà communautaire et il conviendrait - selon la pensée paritaire et politiquement correcte - que chacune des communautés fut également représentée. Selon les provinces au moins selon les religions ? On voit d'ailleurs, pourrait ajouter un M. Renaud de bonne foi, que déjà les musulmans et les noirs se sentent sous-représentés à la radio et à la télévision. Cette extension du principe de la parité hommes-femmes a toutes les catégories se ferait, bien sûr, au détriment du mérite, de la compétence et des traditions républicaines. Mais ce serait le (regrettable) air du temps.
Pourquoi M. Renaud (je préfère l'appeler ainsi) n'aurait il pas, dans ces conditions, le droit de souhaiter une représentation plus égalitaire ? Evidemment, cela voudrait dire que chaque membre de l'équipe de Panorama, prédéterminé par ses origines, ne saurait représenter que son milieu ethnique ou sa famille de pensée. Encore une fois, ce serait éminemment régressif. Mais M. Renaud ne serait coupable que de suivre le courant et les modes.
Et bien il n'en est rien. Pour qu'on ne s'y trompe pas, M. Renaud précise qu'il s'agit bien de juifs et d'eux seuls. Et qu'ils leur semblent - à part Bergson et Proust - étrangers au génie français, incapables d'assimiler et donc de refléter ou d'exprimer «ce que les architectes de la civilisation française ont construit pendant 15 siècles ». Enfin, M. Renaud n'a même pas l'habile perversité de noter que depuis que des juifs cessent de s'affirmer comme tels, ils s'interdisent à eux-mêmes l'exclusive possibilité de parler au nom de France.
La conclusion est tout simplement que M. Renaud est un antisémite radical, viscéral. A l'ancienne, en somme. Il se refuse, Grands Dieux, à toute action d'extermination. On peut même gager qu'il a d'excellents amis juifs et que personne ne leur est plus fidèle. Hélas s'il veut nous en croire, il est tout à fait antisémite. Dans son cas - si pacifique -, je crains qu'on n'en guérisse pas. On peut soigner l'allergie à la musique arabe, à la cuisine russe, aux chauffeurs de taxis asiatiques et aux fleuristes belges. Mais on n'a pas encore trouvé de remède au judéo-centrisme antisémite.
Jean Daniel