Cher Monsieur,
Je viens de suivre l'émission sur France Culture, au cours de laquelle Alain Finkielkraut a dû se "défendre" de vous avoir "défendu". L'agressivité et la bêtise dont les autres invités ont fait preuve me fontfroid dans le dos. Ils y tiennent à leur accusation d'antisémitisme ! Un peu énervés d'ailleurs de ne pouvoir l'employer à propos d' Alain Finkielkraut.
Je crains que malheureusement tout cela n'ait pas beaucoup servi, car ils n'ont pas plus écouté Alain Finkielkraut qu'ils ne vous ont lus.Je trouve tout cet acharnement contre vous, ce déchaînement de la bonne morale et de la mauvaise foi terriblement tristes, et la France me fait honte, qui choisit comme porte-paroles de sa culture et de sa langue des Virginie Despentes (qui trouve que "Racine c'était pas un mec sympa") et des Sylvain Bourmeau qui juge qu'une langue doit être comprise par les enfants pour leur expliquer notre monde (je n'ai pas retenu la formule exacte mais pour le sens, hélas, je ne me suis pas trompée).
On parle beaucoup de ces gens que vous avez blessés, mais de tous ceux qu'affectent les accusations vous concernant, on ne dit mot. Je me suis sentie insultée pendant cette émission de radio, où Sylvain Bourmeau disséquait vos journaux pour "trouver des preuves" et où moi j'entendais, dans cette bouche amère, résonner des phrases qui accompagnent ma vie, jour après jour, des phrases dans lesquelles j'ai laissé un peu de moi, et que lui s'appropriait pour les réduire à néant, les faire mentir, et me rendre autre que je ne suis.
De la violence qui est faite à l'intimité de vos lecteurs avec votre oeuvre, personne ne songe à s'inquiéter. Nous sommes dans le camp des mauvais, et dans le camp d'en face, ils sont tellement nombreux, et ils ont une telle envie justement, de partager le monde de cette manière, puis de guerroyer...
J'aime vos livres, j'aime votre morale, j'aime savoir que vous êtes quelque part à "vous vivre" (c'est inouï de se permettre de la sorte d'inventer la grammaire de sa pensée, quelle honte !). Votre solitude est grande sans doute, mais redoublée par chacune de celles de vos lecteurs, elle devient comme un immense cratère au milieu de leur champ de bataille, aussi gênante qu'une armée.
«Mais qu'est-ce qu'ils font là-dedans ?
- Ils essaient de vivre à hauteur d'homme, à la hauteur de siècles de culture et de pensée derrière soi, à la hauteur du langage et de l'écriture, à la hauteur des codes de civilisation les plus élémentaires.
- Et c'est long ?
- Toute une vie.»
Je vous adresse mes plus chaleureuses pensées,
Béatrice Jongy