NOTE POUR UN TRIMESTRE
Par Dominique Noguez
(extraits)
Mercredi 19 avril 2000. Appel de Renaud Camus. «Vous qui êtes le chevalier blanc, etc.» Il m'annonce l'article des Inrocks, les communiqués de Laure Adler et de Cavada. Je lui dis que j'ai eu le plaisir de recevoir son journal, que j'ai trouvé à mon retour du Québec, mais que je n'ai pas encore commencé à le lire. Comme il semble attendre de moi une défense semblable à celle que j'avais faite pour Michel Houellebecq, je lui demande de m'indiquer les passages controversés. Il me donne le numéro des pages. On le menace d'un procès. Cela tombe mal car tout le monde est parti ou part : Mathieu Lindon, à qui il doit sans doute d'avoir eu un bel article dans Libération, en Amérique du Sud ; Me Rappaport, ancien président du MRAP, qu'il voudrait prendre comme avocat, au Japon. Et lui-même part aux Etats-Unis pour un colloque sur son oeuvre. Je lui demande comment son éditeur réagit. Il me répond que Claude Durand est "très décontracté". Je lui promets de le rappeler.
Jeudi 20 avril. Renaud Camus. Effaré par les passages controversés. Cette idée de chercher des noms juifs! C'est le contraire de ce qui a été très vite ma conviction, grâce à l'école laïque et à l'étude de la Révolution : il 'y a pas de "juifs", de "protestants", de "catholiques" ou d' "athées", pas de "nègres" ou de "blancs", il n'y a que des "citoyens" libres et égaux en droit. Pas d'ancêtres, pas de "noblesse" d'aucune sorte. Chacun n'est responsable que de soi.
Je pourrais me défiler, ne pas le rappeler, puisque aussi bien, à ce qu'il m'a dit, il part samedi pour les Etats-Unis. Mais ce ne serait pas loyal, pas digne de la grande estime que j'ai pour lui et pour son oeuvre. Je le rappelle à Plieux. Voici ma position, lui dis-je un peu solennellement. C'est ce que j'expliquerai mieux si je trouve le temps de faire un article. Elle est en trois points : 1) Je ne suis pas d'accord avec vous sur les passages litigieux; 2) mais j'estime qu'on (Marc, en l'occurrence) a tort de vous citer incomplètement ou en déplaçant des mots ; 3) si au contraire on vous lit bien, on ne peut pas parler d' "incitation à la haine raciale", comme l'a soutenu le communiqué de France-Culture. Il m'écoute sans rien dire.
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Mercredi 26 avril. 17h30. Marc Weitzmann me téléphone pour me demander ce que je pense de "cette affaire" Camus. Je lui dis que je préférerais en parler plus longuement et plus directement avec lui qu'au téléphone, je lui explique néanmoins ma position. Qui revient, en ce qu'il le concerne, à penser qu'il a eu raison de faire son article dans les Inrocks et de relever les passages qu'il a relevés ; tort cependant d'importer dans la citation la plus contestable l'expression "race juive" qui ne s'y trouvait pas (elle se trouvait ailleurs, dans un passage où l'expression était prise en bonne part - «je trouve, répond Marc aussitôt, que c'est encore pire de l'employer en bonne part») ; enfin qu'on a tort de vouloir en plus lui faire un procès, surtout quand on l'assortit, comme le MRAP, de prétextes fallacieux (Camus n'a jamais soutenu "la thèse, sans cesse reprise par l'extrême-droite, du complot mondialiste et de l'internationale juive"). Marc en convient tout à fait. Nous convenons de nous revoir bientôt mais il me dit qu'il repart à New-York la semaine prochaine.
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Jeudi 4 mai. Camus et Weitzmann. Ils m'ont appelé tous les deux. Tous les deux victimes étonnées de ce qu'ils ont provoqué. Camus accusé d'être antisémite, Weitzmann d'être un délateur. Ont, de plus ou moins bonne foi, sous-estimé les effets d'Auschwitz. Ces effets ne sont pas comme les ondes d'une chute dans l'eau, qui, peu à peu, se distendent et s'abolissent. Ils opèrent en deux temps, comme les tremblements de terre : et le deuxième plus fort que le premier.
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Mardi 9 mai. Passé une partie e la nuit à relire des pages du journal de Renaud Camus en 1990. A peu de choses près très cohérent, c'est un de nos meilleurs moralistes. C'est comme Michel (Houellebecq) en 1998 : tout ce qu'on lui reproche aujourd'hui était présent, clairement justifié, noir sur blanc, dans les oeuvres antérieures. L'effet de scandale vient de l'isolation arbitraire d'une partie d'un tout (mais pas seulement : il a touché à un tabou, le seul qui soit presque légitime (1), et il le sait).
Jeudi 11 mai. Dans l'abstrait, on devrait pouvoir écrire librement sur tout. Mais nous ne sommes pas dans le monde des Idées platonicien, nous sommes dans l'histoire. Et nous ne pouvons pas faire comme si l'histoire du XXe siècle n'avait pas été trouée en son milieu par une abomination épouvantable.
Dimanche 14 mai. Quand je vois la manière dont la plupart de ses confrères, même ceux qui "le comprennent" ou lui "gardent leur estime", se défilent glorieusement, préférant rentrer dans l'obscur et compact troupeau de la bien-pensance lyncheuse ou de la résignation muette à la censure plutôt que de signer un communiqué qui se contente de rappeler que tout homme a le droit de se défendre, quand je vois, d'un autre côté, cet homme seul dont l'honneur est bafoué et la carrière brisée pour longtemps, je me demande - s'il y a persécution et "incitation à la haine" - de quel côté est le persécuté et qui subit la haine, et je me demande surtout ce qu'ils auraient fait, ceux qui hurlent avec les loups ou qui laissent les loups hurler en se bouchant les oreilles, oui, ce qu'ils auraient fait ou pas fait en 1940, le jour où il aurait fallu, même seul ou très minoritaire, même en risquant gros, prendre le parti du plus faible et résister.
Je ne suis pas d'accord avec Camus mais, j'ai beau lire et relire et écarquiller les yeux, je ne vois pas dans ce qu'il a écrit ce qu'ils prétendent y voir et qu'ils ont trop souvent et systématiquement vu chez d'autres qui ne l'avaient pas plus écrit que lui. Ils ont trop souvent crié au loup pour que je me contente de fuir en levant les bras au ciel. Je reste, je regarde, et je vois qu'il n'y a pas de loup - tout au plus un pauvre baudet sur lequel une bande sûre de son nombre et de son pouvoir s'acharne sans mesure.
Dans cette affaire, mes modèles sont Jean Paulhan à la Libération, Pasolini l'hérétique et Noam Chomsky défendant la liberté d'expression même pour les pires ennemis de cette liberté (Faurisson en l'occurrence). (Comparaison qui ne vaut évidemment pas raison : Renaud Camus n'a rien à voir avec le Jouhandeau de 1945, encore moins avec le Faurisson de 1978.)
Mardi 16 mai. Peu avant 13 heures, Alain Salles, du Monde, m'appelle et me pose d'innombrables questions sur la pétition Renaud Camus. J'opte pour la plus grande transparence. J'insiste sur le fait que les gens que j'ai vus autour de Jean-Paul Marcheschi et qui ont été à l'origine du mouvement, même s'ils n'ont pas tous signé au bout du compte, sont à l'évidence plutôt de gauche et ne m'ont à aucun moment paru suspects d'antisémitisme. Je lui dis aussi à deux reprises qu'à côté de ce geste minimal, je prépare un long article où je tente personnellement et précisément d'analyser l'affaire.
Ensuite, je parle longuement avec Arnaud Viviant. Il ne dit pas définitivement non, mais reste peu enclin à signer : selon lui, ce n'est pas "dans les médias" que cette affaire peut se régler. J'en conviens. Cependant, dans les médias, elle y est déjà !
Mercredi 17 mai. 15 heures. Je viens d'aller acheter Le Monde. Certes, le titre et le sous-titre de l'article d'Alain Salles (en page 34, troisième des quatre pages consacrées à la culture) sont tendancieux («UNE PÉTITION EN FAVEUR DE L'ÉCRIVAIN RENAUD CAMUS - Plusieurs personnalités défendent l'auteur de La Campagne de France, accusé d'antisémitisme, estimant que "le retrait de son livre prive les lecteurs de la liberté de juger par eux-mêmes"» : or, nous ne défendons pas Renaud Camus, encore moins en tant qu' "accusé d'antisémitisme", cette question n'est pas abordée, mais demandons qu'il puisse s'expliquer et déplorons que le retrait de son livre empêche chacun de juger par soi-même). Certes aussi l'article commence par une citation insoutenable, qui ne lui donne aucune chance (celle de la page 329, qui m'a effectivement le plus choqué), surtout pour ceux qui ne connaissent pas le contexte ni le long développement de Camus sur le sujet dans ce livre ou dans d'autres. Et, pour faire bon poids, il se livre aussi à un rapprochement nauséabond («On se souvient que Jean-Marie Le Pen, etc. etc.»). Mais, dans le corps de l'article, le journaliste rend compte assez honnêtement des nuances, des contradictions, des palinodies des uns et des autres. Il a bien repris la distinction que je lui ai faite entre les signataires qui ne voulaient pas entrer dans le débat et se contenter de déplorer le "lynchage médiatique", et ceux qui voulaient prendre nettement leur distance avec les textes incriminés. Pour ce qui est de moi, il écrit : «L'écrivain Dominique Noguez "déplore que le livre ait été retiré de la vente" mais estime qu'" il faut marquer sa réprobation des propos de Renaud Camus"», ce qui n'est pas élégamment dit, mais est conforme à la vérité.
Jeudi 18 mai. Un propos doit toujours être remis dans son contexte. Dire "J'aime le feu" n'a pas le même sens selon qu'on est Jeanne d'Arc ou Landru.
13 heures. Renaud Camus. Il a contribué à créer - pas tout seul, malheureusement - un climat détestable dans la vie culturelle française qui n'avait pas besoin de cela.
(...)
Mercredi 24 mai. Marc (Weitzmann) m'appelle pour me signaler qu'une deuxième pétition sur Renaud Camus vient de paraître, violemment contre, celle-là. Je lui résume mon texte pour La Quinzaine littéraire : «Camus n'est pas vraiment antisémite, en ce sens qu'il s'en prend tout autant aux musulmans, aux Noirs, etc. - Et alors ? Il est raciste ! - Non, ou alors dans un sens positif, car il dit à maintes reprise aimer toutes sortes de races.» Alors Marc : «Mais tout le monde est raciste ! Moi aussi je suis raciste !» Il veut dire sans doute que l'antiracisme n'est pas spontané, que c'est une victoire en nous de la raison. Je lui dis qu'en tout cas, moi, je ne le suis pas, et crois bien ne l'avoir jamais été.
Alain Vircondelet m'appelle pour me proposer de faire partie du jury du futur prix Marguerite Duras, très bien doté (100 000 F) et remis au printemps à un écrivain, un auteur de théâtre ou de film. J'accepte. Arrive dans la conversation, à propos de l'affaire Camus, la question : «Peut-on tout dire dans un journal intime ?» Il me raconte qu'il a reçu le journal de Nabe et que celui-ci parle d'une femme que lui, Vircondelet, connaît et qui a été la maîtresse de X. X a fait des confidences à Nabe, que celui-ci s'est empressé de rapporter par le menu. Si la dame l'apprenait, ajoute-t-il, cela pourrait provoquer un drame. Il me raconta aussi qu'ayant eu accès, pour son livre sur Saint-Exupéry, à une malle de documents inédits, il a découvert des choses incroyables qu'il s'est bien gardé de publier car cela blesserait profondément des gens encore vivant. Je lui dis que la bonne conduite serait de ne pas détruire ces documents, de les remettre à la postérité qui, un temps suffisant s'étant écoulé, pourra y trouver grand intérêt. Enfin, il m'apprend qu'une récente biographie de Lamartine a été interdite (ou expurgée, je ne sais plus) à la suite de l'intervention des héritiers («ah ! les héritiers !» ne puis-je m'empêcher de gémir), car elle révélait que l'auteur du Lac avait eu dans sa jeunesse une aventure homosexuelle.
Les coups de téléphone n'ont pas cessé. J'arrive enfin à trouver les trois secondes nécessaires pour aller chercher Le Monde sur mon paillasson et lire enfin la pétition Lanzmann. Renaud Camus est accusé d'avoir des opinions "criminelles" (le mot figure quatre fois), qui "ne relèvent pas de la liberté d'expression". «Défendre, publier, republier son livre au nom de la liberté d'expression ou pour toute autre raison, c'est, qu'on le veuille ou non, défendre et publier des opinions criminelles et condamnables.» Au moins c'est clair. Vive donc la censure et les autodafés ! Après cela comment pourront-il accepter que Gobineau ou Céline soit encore en vente libre ? Au nom de quoi pourront-ils protester contre la fatwa anti-Versets sataniques? Ont signé en tout vingt-six personnes : la plupart sont des amis ou des gens que j'estime.
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Vendredi 26 mai. HYPOTHÈSES SUR RENAUD CAMUS :
1) Dandysme : Camus n'est peut-être antisémite que parce que personne ne l'est plus (ou ne peut plus l'être aujourd'hui).
2) Logique de l'égotisme : comme capables de manifester authentiquement notre culture, Camus ne récuse pas seulement les juifs de moins de trois générations, mais les musulmans, les Noirs, le prolétariat, la "campagne", la "boutique", les petits-bourgeois (dont l'esprit peut contaminer aussi le Jockey Club, donc bon nombre d'aristocrates), bref tout le monde sauf lui. Sorte de cogito aristocratique où, hyperboliquement, follement, le "je" du journal, par une espèce de pente ou d'inflation solipsiste, congédie l'un après l'autre tous les autres égos pour se retrouver seul face, non pas au malin génie, mais au génie culturel de son pays.
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Samedi 27 mai. Je ne cessais dans la rue de penser très sérieusement à écrire une lettre ouverte à Claude Lanzmann ou à tous les signataires de la pétition anti-Camus, ou j'en appellerais à la raison et à leur bonne foi. Cela venait comme une puissante pulsion, freinée régulièrement par l'idée de ne plus perdre de temps à cette affaire et de la laisser s'éteindre d'elle-même.
Grâce à la première pétition, si coupable qu'il fût, Renaud Camus n'a plus été seul. On est passé d'un lynchage à une chasse aux sorcières : c'est un progrès.
Samedi 3 juin. Colette me dit que les livres de Renaud Camus se vendent de mieux en mieux. J'ai contribué hier soir moi-même à cette bonne fortune en achetant à la FNAC deux tomes antérieurs de son journal. J'ouvre au hasard celui de 1992, Le Château de Seix, et pan ! je tombe sur un passage presque exactement semblable à celui qui a fait le plus hurler ses censeurs dans le dernier. Sauf qu'il ne 'agit pas de Juif ni, comme dans celui de 1991, de Noire : d'un «adolescent très sombre de peau, dont la famille est originaire de Bombay», qui est «écolier dans le Maine-et-Loire, ou la Mayenne» et qui va représenter officiellement la France à un Congrès mondial des enfants à Rio de Janeiro. Mais c'est, aussitôt, la même valse («On dira que c'est une suprême élégance, de la part de la France (...) Mais c'est absolument faux. (...) Sa francité n'est qu'une affaire de papier. (...) Je n'ai rien bien sûr contre cet adolescent, et je ne lui veux que du bien.»). Puis la même argumentation : «Ce qui est en question ici, c'est le sens du mot représenter. (...) Ce qui est en question ici, c'est le sens du mot sens, et la place que tient le sens dans les mots...» Et en avant le cratylisme ! Ce qui confirme deux choses, l'une que je suggérais dans mon texte de La Quinzaine, l'autre que je pensais sans en avoir la preuve incontestable : il n'est pas antisémite - du moins il n'est pas plus antisémite qu'anti-arabe, anti-noir ou anti-tout-ce-qu'on-voudra (mais "anti" ne va pas : manifestement, il n'en a pas tant aux individus eux-mêmes qu'à leur attitude à "représenter" le pays où ils vivent) -, et il s'agit bien, de sa part, de toute une théorie très cohérente de "l'autre", de "l'étranger" qui-doit-le-rester, et de l'hostilité au melting-pot, au brassage qui risque de faire de toutes les différences du monde une bouillie unique et informe. Présentée ainsi, et sans ces fixations effarantes sur des cas particuliers, c'est une théorie qui pourrait se tenir, une opinion qui fait du moins partie des opinions qu'on peut discuter dans une démocratie. (Par où pèche-t-elle cependant gravement ? En quoi, pour un but parfaitement louable - préserver la diversité du monde -, s'y prend-elle de façon vicieuse ?)
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Dimanche 4 juin. Tous ces admirables censeurs et accusateurs et inquisiteurs, qui ne lisent pas, qui ne savent pas lire, qui ont horreur des gens qui lisent et, par conséquent des gens qui écrivent pour des gens qui lisent.
12 heures. L'erreur de Camus : confondre la diversité culturelle et la diversité des corps. Une même culture peut être habitée par des corps de toute sorte et de tout mélange, tandis que les mêmes corps - même peau, même texture, même grand-mère, même tout - peuvent entrer dans des cultures contradictoires, à des années-lumière les unes des autres. Il faut maintenir la diversité des cultures (en s'arrangeant tout de même pour que l'emportent les plus douces et les plus civilisées) sans se préoccuper de l'origine, mélangées ou non, des corps qui les incarnent ou les assument (et qui ne sont justiciables, eux, que de la violente liberté du désir).
Lundi 5 juin. Que se passe-t-il ? L'article ce matin de Pierre Marcelle dans Libé (que me signale Jean-Luc Hennig), très équilibré, le premier qui ne procède pas par anathèmes mais rende raison aux uns et aux autres ("ceux qui défendent la littérature " et "ceux qui défendent la mémoire"), et, ce soir, dans Le Monde, deux articles favorables à Renaud Camus, l'un d'Alain Finkielkraut qui s'en prend avec véhémence aux bien-pensants, l'autre d'un professeur de littérature française aux Etats-Unis qui semble vraiment connaître l'oeuvre de Camus et qui tient La Campagne de France pour un de ses plus beaux livres : l'opinion serait-elle en train de se retourner ? Ou, pour ce qui est des deux premiers textes, n'est-ce qu'une concession du Monde avant un de ces chiens-de-ma-chienne dont il a le secret (comme lorsque au moment de la guerre du Kosovo il donnait la première page à Régis Debray tout en suscitant en sous-main contre lui une violente réplique de BHL) ?
Écrit aussitôt à Marcelle : «Puissiez-vous avoir le dernier mot en cette pénible affaire ! (...) Vous mettez un peu de raison dans ce débat. Rien à redire, sinon qu'on peut être pour la littérature et aussi pour la mémoire (c'est mon cas) et qu'il y a des amis (à moi et, sans doute aussi, à vous) qui ont signé la deuxième pétition et qui sont aussi, je le sais, du côté de la littérature...»
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Dimanche 11 juin. Renaud Camus m'a laissé un message hier de Plieux. Je le rappelle. Il n'y avait rien d'urgent : il voulait simplement me dire qu'il n'a jamais mis en doute la "qualité" de l'émission "Panorama" (qui, me dit-il, a beaucoup baissé ensuite, précisément quand elle a changé d'orientation avec le catholique Montrémy... -, ce dont témoigneront les tomes suivants de son journal, «s'ils paraissent» - hypothèse qu'il accompagne d'un rire dubitatif).
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Samedi 24 juin 2000. Comme c'est le jour de la Gay Pride (je ne me ferai jamais à ce titre anglo-saxon !), une télé, M6, fait une histoire à bride abattue de l'homosexualité depuis trente ans, dans le style énervé et haché, galopant et vociférant, qui est celui de cette chaîne. Et soudain, dans les documents retrouvés, on voit Renaud Camus plus jeune (dans les années soixante-dix) répondant au cours d'un débat, à un invisible contradicteur situé sur sa droite : «Je ne peux pas accepter cette expression de "problème homosexuel" que vous venez d'employer. Il n'y a pas de "problème homosexuel", pas plus qu'il n'y a de "problème juif"...»
Dimanche 2 juillet. Je me suis remis (ou mis vraiment, dans la lenteur et la continuité, dans ce qui fait le charme d'une vrai lecture littéraire) à La Campagne de France de Renaud Camus et, sauf, notamment, la page 61, véritable Verdun idéologique (et qui reste dure à avaler), c'est, il faut le dire, un enchantement.
Vendredi 7 juillet. Grande période, décidément, pour le politiquement correct. Le matin, on apprend dans Libération que Canal + vient d'être traîné en justice par l'APPT (Association des personnes de petites tailles) parce qu'un de ses humoristes patentés avait évoqué le 3 octobre 1998 «une grande tradition du XVIIème siècle», le «pâté de tête de nain», avant d'ajouter : «C'est très goûteux, c'est très raffiné le nain.» Des époux se sont portés partie civile et réclament 30 000 F «pour la mémoire de leur fille Armelle», décédée pourtant 7 mois avant l'émission.
Et le soir, on apprend, avec le même effarement, dans Le Monde, qui n'y consacre pas moins de trois tribunes libres, que voici maintenant Berlioz soupçonné d'avoir véhiculé dans Les Troyens (par le seul fait qu'il a puisé dans L'Enéïde de Virgile !) une "idéologie fascisante". Le lièvre a été levé le 21 juin, toujours dans Le Monde, par une admonestation véhémente contre le festival de Salzbourg 2000. On n'y parlait pas aussi abruptement de fascisme, mais du risque que la retransmission télévisée de cet opéra cet été «inflig(e) à un nombreux public international l'idéologie pour le moins ambiguë d'une épopée douteuse». En fait d'épopée douteuse, l'un des signataires doit savoir, par tradition familiale, de quoi il retourne, puisqu'il s'agit de Gottfried Wagner, arrière-petit-fils du grand Richard (les autres signataires sont Jean Kahn, président du Consistoire central des communautés juives de France, et Philippe Olivier, "écrivain et musicologue"). Ah ! les braves gens, qui veillent sur nous et sur les mauvaise pensées que Virgile et Berlioz risqueraient de nous inspirer ! Dignes héritiers des censeurs, des "directeurs de conscience" d'antan ! Que serions-nous sans eux ? de pauvres esprits livrés à eux-mêmes et obligés de juger par eux-mêmes, de pauvres esprits libres !
(...)
Dominique Noguez