Humeurs noires et léger repentir
(sur Retour à Canossa)
Par Alain Rubens,
Lire, février 2003
 
 

Renaud Camus s'adore, lui et ses humeurs, au point de livrer à ses fidèles le quatorzième volume de son Journal, épais et torrentiel, comme à son habitude. Ce Retour à Canossa (expression qui signifie : faire amende honorable) annoncerait-il le léger repentir d'un écrivain sulfureux qui s'alarma, naguère, de la présence de journalistes juifs surnuméraires sur les ondes de France Culture ? En fait, l'écrivain s'inquiétait seulement d'une dérive communautaire dans les programmes.

On le sait, Renaud Camus, polygraphe prométhéen, s'est fait une accablante spécialité de l'exhaustivité, de l'authentique à tout crin, de la vie comme elle va. Aussi, cet anticonformiste cultivé ne cèle-t-il rien, dans cette pénible camelote égotiste, de ses errances amoureuses dans les territoires de la gayté virile et velue, de ses pannes d'ordinateur et de ses doléances financières, de son surf sur les hautes lames de Heidegger ou de Nietzsche.

Mais, le plus grave, c'est ce style insidieux, insistant et pervers qui empêtre son lecteur dans ses filets (Finkielkraut n'a-t-il pas succombé aux sirènes de Camus ?). Il y a peu, dans Du sens, Renaud Camus affirmait qu'il n'y a jamais eu, stricto sensu, de génocide arménien, mais seulement une tentative, au motif qu'il reste des survivants. Un rescapé ne s'exprime jamais de cette façon. Ailleurs, il entend réhabiliter l'ancien mot de Race, en jouant, non sans malignité, Montaigne l'inusité contre Vacher de Lapouge le xénophobe enragé.

Enfin, le diariste entend, un jour, l'humoriste Elie Semoun déclarer à Thierry Ardisson qu'il y a trop de juifs à la télévision. L'animateur lui répond que cette phrase, dans la bouche d'un non-juif, lui vaudrait une démission immédiate. L'acteur fait valoir que ce n'est que de l'humour à l'envers. Et l'on devine Renaud Camus irrité de ne pouvoir émettre pareil jugement sans être foudroyé par le politiquement correct. Renaud Camus, appliquez, de grâce, cette vieille règle de trois. Le sens d'un mot dépend de celui qui parle, du destinataire et du contexte.

Alain Rubens