Le retour de l'affaire Camus
Deux ans après le scandale provoqué par les passages racistes de son Journal, Renaud Camus persiste et signe.
Par Alain Salles
Renaud Camus avait songé intituler un de ses livres, 1,32 Kilo. C'était son poids. Il revient aujourd'hui avec quatre gros pavés (2 000 pages, 2,860 kilos). Deux de ces livres éclairent ce qui est devenu l'affaire Camus. L'un, Derniers jours, Journal 1997 (Fayard, 430 p., 23 €), permet d'en comprendre les prémices. L'autre, Du sens (POL, 558 p., 25 €), est une longue explication pour démonter les accusations dont il a été l'objet (1).
Rappelons les faits. En avril 2000, Fayard publie La Campagne de France, le journal de l'année 1994 de l'auteur. Il s'étonne de la forte proportion de juifs dans une émission de France-Culture. «Il m'agace et il m'attriste de voir et d'entendre, écrit-il, cette expérience, cette culture et cette civilisation - françaises - avoir pour principaux porte-parole et organes d'expression, dans de très nombreux cas, une majorité de juifs, français de première ou seconde génération bien souvent, qui ne participent pas directement de cette expérience, qui plus d'une fois en maltraitent les noms propres et qui expriment cette culture et cette civilisation - même si c'est très savamment - d'une façon qui lui est extérieure.» Les indignations se multiplient. Fayard décide de retirer le livre de la vente.
Tribunes, invectives, pétitions et contre-pétitions se succèdent pendant plusieurs semaines. Le livre reparaît en juillet sans les passages incriminés et avec une préface-règlement de comptes de l'éditeur, Claude Durand. Le débat est déplacé : ce qui est en cause, ce ne sont pas les propos de l'écrivain, mais l'utilisation qui en a été faite et l'emballement médiatique qui a abouti au "lynchage" de l'écrivain. «La plupart des commentateurs étaient trop bien occupés, écrit Renaud Camus dans Du sens, à faire de moi, en mettant bout à bout quelques phrases isolées, et en ignorant résolument toutes celles qui auraient compliqué ou contredit le tableau, un personnage simplet de réactionnaire type, pétainiste, franchouillard, antisémite et xénophobe.» Les attaques contre Renaud Camus ont été parfois excessives. Il a clairement dénoncé la Shoah. Mais ses propos racistes, dans son Journal et dans sa surabondante production, ont profondément choqué, même s'ils ne représentent que quelques pages.
Car l'auteur tient à ces passages. Leur apparition avait déjà abouti à un conflit avec son éditeur de toujours, Paul Otchakovsky-Laurens, qui a refusé de les publier dans PA et qui a renoncé à La Campagne de France. Renaud Camus relate ce divorce dans le Journal 1997. Paul Otchakovsky-Laurens lui écrivait alors : «Qu'est-ce qui peut bien t'amener à ces incroyables précautions, clauses de style et pétitions de principe si peu dans ta manière, si peu bathmologiques, tellement embarrassées, qui font illusion un moment ? Sans doute est-ce l'impossibilité qui t'est faite, pour cause d'hétérodoxie, de dire que tu es antisémite.» Il indiquait son refus de publier ce livre «tel qu'il m'offense, tel qu'il en offensera beaucoup lorsqu'il paraîtra, malheureusement». Le directeur commercial de POL, Jean-Paul Hirsch, reprend : «"Suis-je fou ?", vous demandez-vous. Je vous rassure. Pas fou, Renaud Camus. Antisémite. C'est une vieille tradition française très répandue, et souvent un trait brillant de la littérature française. Et juifs et antisémites forment un vieux couple.»
AUTODÉFENSE
Cinq ans après ces lettres, deux ans après l'affaire, Paul Otchakovsky-Laurens a changé d'avis. Il est toujours resté fidèle à son auteur et a publié sans hésiter Du sens : «J'ai été convaincu par ses explications dans Du sens. Il donne des réponses, démonte les fausses citations qu'on a faites de lui. Les développements dont il entoure les passages que j'avais refusés précédemment m'ont convaincu. Je ne suis pas forcément d'accord avec ses idées, mais je suis d'accord avec sa défense contre les accusations qu'il a subies. Cela confirme mon expérience d'ami et d'éditeur, depuis trente ans. Ma conviction est ferme et établie : Renaud Camus n'a jamais été ni raciste ni antisémite. J'ai eu des moments de doute, certains écrits m'ont gêné, je les trouvais ambigus. Dans Du sens, il interroge ce qu'il croit être cette part antisémite de lui, mais il l'analyse, la scrute, la combat.»
Du sens a été conçu avant l'affaire, après les conflits avec les éditions POL. «Certains mots (ex. : "race") ne peuvent pas être séparés de leur histoire, surtout de leur histoire récente ; et dont les connotations, tonitruantes, écrasent presque entièrement la modeste dénotation.» Il reprend les citations incriminées, les développe, les démonte. Il concède parfois avoir utilisé un mot de trop. Mais il persiste et signe, et peaufine son autodéfense. Toute l'affaire vient de ce qu'il a été mal lu par des gens mal intentionnés, et notamment par le journal "petit-bourgeois" qu'est devenu pour lui Le Monde.
Dernier axe de son autodéfense : ce n'est qu'une partie de lui qui s'exprime. «Oui, il y a en moi un personnage qui souhaite que les musulmans originaires des pays islamiques se sentent toujours, en France, un peu étrangers. Ce personnage n'est pas le tout de moi, bien loin de là. Je le raisonne. J'argumente avec lui, je parviens assez facilement à le faire rentrer en lui-même et regagner son coin. On préférerait qu'il n'en fût jamais sorti, soit. Mais je serais malhonnête avec moi-même si je prétendais ne pas le voir, ne pas le connaître, n'avoir jamais rien eu à faire avec lui.»
Il multiplie les parenthèses, les retours en arrière, de sorte que celui qui ne cite pas tout est taxé de malhonnêteté. Citons quand même, dans Du sens : «Or français en ce sens périmé, irrecevable mais pourtant intelligible encore à titre rétrospectif, il est évident que l'immense majorité des musulmans de France ne le seront jamais, ne peuvent pas l'être et d'ailleurs ne désirent pas l'être. Nombre d'entre eux pourtant sont bel et bien français.» Il prend de l'assurance et joue de la provocation : «Si, Français de France, vous vous établissez en Syrie, à moins de prétendre, pour vous faire bien voir, qu'il n'y a jamais eu de chambres à gaz et que c'est une invention sioniste, vous aurez le plus grand mal à devenir syrien.» Il ajoute de nouveaux thèmes peu exploités dans La Campagne de France : «Si par quelque miracle l'Ouganda, le Mali ou la République d'Haïti se trouvaient avoir pour population, du jour au lendemain, celle de la Suisse, des Pays-Bas ou d'Israël, il est probable qu'en quelques mois ou quelques années le Mali, l'Ouganda ou Haïti deviendraient tout à fait prospères.»
Une Société des lecteurs de Renaud Camus a été créée en février pour "l'étude, la diffusion et la défense de l'oeuvre de Renaud Camus". «Au nom des principes que Renaud Camus a toujours défendus», ils ont même appelé à manifester contre l'extrême droite le 1er mai...
Alain Salles
(1) Fayard publie aussi Hommage au carré, Journal 1998 (596 p., 25 €) et POL Est-ce que tu me souviens ?,«ouvrage de pure compilation» (462 p., 23 €).