Citations tronquées et éructations
Par Thierry Santurenne,
Qui ne voit que la polémique dont Renaud Camus fait actuellement l'objet, à propos de notations prétendument antisémites qui lui sont reprochées, est révélatrice de la tendance d'une certaine intelligentsia autoproclamée à substituer la vindicte hystérique à la pensée critique? Qui ne voit encore que la mise en circuit, d'une diatribe à l'autre, des mêmes citations tronquées d'un texte aussi mal lu que hâtivement diabolisé, n'aboutit qu'au travestissement grossier d'une pensée autrement subtile que ses détracteurs ne le laissent entendre?
Au-delà de la simple dénotation, le chapeau de la pétition lancée par les amis et admirateurs de Renaud Camus - «Un livre a disparu» - désigne bien le caractère tragique réservé au dernier ouvrage de l'écrivain. Disparition matérielle certes, puisque La Campagne de France a disparu des librairies (provisoirement, on l'espère), ne laissant d'autre choix au lecteur potentiel, curieux de voir de quoi il retourne, que d'être l'otage de la glose hasardeuse des sycophantes. Mais surtout, disparition à considérer en une plus funèbre (et fort laide) acception: un texte a disparu, lacéré par de sauvages agressions dont les auteurs ont mesuré la violence à l'aune de la haine antisémite qu'ils prétendaient débusquer dans les propos de Renaud Camus.
Lacération à peine métaphorique, car enfin, le corps du texte a péri, déchiré, on l'a dit, par la pratique rageuse de la citation erronée. Ainsi, on s'indigne que Renaud Camus ait pu écrire, à propos de l'expérience française, telle qu'elle s'exprime par la culture et la civilisation de ce pays: «(...) il m'agace et m'attriste de voir et d'entendre cette expérience, dans de très nombreux cas, une majorité de juifs (...)». Or, la phrase originale se poursuit ainsi: «... Français de première ou de seconde génération, bien souvent, qui ne participent pas directement de cette expérience, qui, plus d'une fois en maltraitent les noms propres, et qui expriment cette culture et cette civilisation - même si c'est très savamment - d'une façon qui lui est extérieure».
Il ne s'agit donc pas de tous les juifs, mais de juifs d'enracinement récent en France. Dans la même perspective, se garderait-on de reprendre un apprenti enthousiaste et doué sur d'éventuelles maladresses inhérentes au noviciat en sacrifiant la perfection du métier au respect de l'enthousiasme? Du reste, Renaud Camus reconnaît juste après le caractère «légitime» du point de vue des juifs en question et ne regrette pas qu'il existe. Et, in fine, ceux que vise implicitement Renaud Camus ne sont pas les juifs, mais les Français de souche ayant renoncé - par paresse, culte du modernisme, carence du système éducatif? - à l'entretien des mille nuances d'une culture qui n'est déjà plus la leur. Et dès lors des juifs de première ou seconde génération ont un mérite certain à faire vivre ce que leurs prédécesseurs sur le sol français ont laissé en déshérence par incurie ou ignorance...
Lorsque les Euménides en auront fini avec les éructations vertueuses, Renaud Camus pourra continuer sereinement son oeuvre. Pour le bénéfice de tous. Juifs et non-juifs.
Thierry Santurenne