Article de Renaud Camus envoyé au journal Le Temps, de Genève, le 2 mai 2000.
Ce n'est pas sans une amère stupéfaction que je lis dans votre édition du 27 avril, en sous-titre, à propos de "l'Affaire Camus" : « Les Editions Fayard et l'écrivain lui-même se taisent. » Pour les Editions Fayard je ne saurais dire, mais je puis vous assurer que pour ma part je ne me tais pas du tout. Seulement c'est comme si je me taisais, car aucun des communiqués que je puis émettre, aucun des articles que j'envoie à la presse, nulle des explications ou commentaire que je puis fournir ne sont jamais publiés. Ou bien c'est sous une forme tellement tronquée, tellement biaisée, que ça ne fait qu'aggraver mon cas.
La structure est celle du cauchemar. On crie, mais aucun bruit ne sort. On court, mais on n'avance pas d'un pas. Alors s'il faut en plus lire dans Le Temps qu'on se tait !
Je me permets de vous faire tenir ci-joint, à titre d'exemple, un article envoyé au Monde, qui vient de refuser de le publier, sans donner de raison jusqu'à présent.
Je dois préciser que je suis aux Etats-Unis, non pas en fuite ou en exil, mais pour un colloque à Yale sur mes travaux, qui vient de s'achever ; et pour une tournée de conférences dans diverses universités. Mais cela n'est pas suffisante explication pour qu'on puisse croire que je me taise.
Autre exemple de la "structure de cauchemar" de ma situation. Vous écrivez qu'Alain Finkielkraut, intellectuel que je respecte et auquel j'ai souvent exprimé mon accord, déclare "son indignation devant une façon de penser qui réduit les êtres à leur origine ou à leur provenance." Où est la déformation, ici ? Avez-vous mal compris Finkielkraut ? Finkielkraut m'a-t-il mal entendu ? En tout cas, pour tâcher de rétablir la vérité sur un point parmi cent, je puis vous assurer solennellement - mais publierez-vous mes propos ? Vous seriez bien les seuls ! - que rien n'est plus éloigné de ma pensée que de vouloir " réduire les êtres à leur origine". Je crois que l'origine est un élément important d'une personnalité et de l'élaboration du sens ; et qu'il y a de l'obscurantisme à vouloir l'écarter, comme à éliminer quoi que ce soit qui puisse aider à la compréhension du monde, des groupes et des individus ; mais qu'elle n'est qu'un élément parmi de nombreux autres, bien entendu.
J'ajouterai que l'origine, pour moi, toute origine sans exception, est toujours une raison d'aimer. Si un monde désoriginé m'inspire peu d'envie, c'est parce que l'origine est à mes yeux l'une des plus précieuses saveurs des êtres, et des pensées, et des phrases, dont j'aime qu'elles charrient un peu de leur terre, et de leurs ciels, et de leur histoire. J'ai peu de goût pour la pensée abstraite. Je n'y crois pas. Que l'origine des êtres et des idées soit perceptible, c'est un motif pour les aimer davantage, jamais pour les aimer moins.
Renaud Camus