Ce qui reste de sens
Par Jacques de Guillebon
Renaud Camus, le condamné irrémissible d'une époque sans merci, revient sur les dérives du discours français, à qui l'on a ôté sa téléologie et son mouvement, pour n'en garder que la logique inquisitoriale.
LE MOUVEMENT d'un temps mauvais semble avoir fondu sur la France, On y condamne même les trop grands amoureux.
Alors Renaud Camus a dû avoir très peur. Parce qu'il en faut du courage, et de la force, et de l'héroïsme pour reprendre les armes encore une fois, seul contre tous, et avancer sous le canon du sens. Mais, pas si bête - c'est d'ailleurs ce qu'on lui reproche, n'être pas la caricature du mal imbécile qu'on voudrait tant qu'il soit devenu, pour ainsi le culpabiliser, pour ainsi le brûler sans regret, et sans procès - Renaud Camus n'a pas chargé en une seule ligne droite, cible trop facile pour le feu ennemi, Renaud Camus a spiralé dans la complexion du sens et dans les volutes du sens du sens... On perçoit déjà qu'il n'en sortira plus, qu'il y est enfermé pour jamais. Chez lui est née une part de Merlin que la fée Viviane dérobe au monde par un cercle magique dont il lui a lui-même enseigné les sortilèges. Chez lui a grandement crû une part d'amour : de la vérité, de ce qui tue et de ce qui s'échappe.
Renaud Camus, mystique malgré soi, chartreux par la force qui se surprend à bénir sa réclusion, a résolu, puisque décidément autour de lui le silence s'était fait (sinon le lent murmure du plus précieux des lecteurs contemporains, cet Alain Finkielkraut dont le lent murmure, comme un torrent de montagne isolé traverse les vallées, nous a rejoints) Renaud Camus a résolu de parler seul. Il fallait s'y attendre : semblable à celle des très hautes âmes, sa parole réfute toute absence, sa parole conjure la possibilité du soliloque. Il s'agit de discuter avec chaque monde, de parler seul aux seuls. Et de les entendre, Et ça marche.
Du Sens, il a appelé ça ainsi, mais on peut, mais on doit, lire en dessous : de la France, du temps, et aussi du temps du sens, et du sens de la France et de tous les autres.
La question véritable qui est « peut-on poser la question du sens » laisse à sentir à qui veut bien s'y attarder, un moment au bord du chemin, que le sens, puisque autant il est mouvement et recherche de ce mouvement de concert, devient toujours déjà quête de l'origine et des fins, contemplation des tremblements du voile qui les recouvre et qu'on ne peut déchirer, le sens donc devient lien avec la vie d'ici et de maintenant mais projeté du même mouvement dans un plus loin, dans un jadis ou dans un à-venir, où l'homme demeure encore.
Renaud Camus a réclamé la pierre que les bâtisseurs de la loi moderne avaient rejetée, Renaud Camus a reçu aujourd'hui le nom de fils de l'homme que personne n'acceptait. On lui a fait mal, on l'a insulté, il n'a pas de haine. Mais il a compris, maintenant et pour toujours. Qu'il y en a qui sont là, qui règlent nos pensées et nos voix, qu'il est toujours là, derrière toi, l'Accusateur. Il attend son heure. Maintenant Renaud Camus a compris, et ça ne lui sera pas ôté. On ne le prendra pas. En continuant malgré tout, malgré les insinuations, de parler et de tout vouloir aimer, il nous rappelle ce qu'on avait oublié, ce dont toute sa vie pourtant témoigne, qu'être de France, c'est beaucoup plus qu'y habiter; qu'être français, c'est beaucoup plus qu'un nom dont s'habiller. Que c'est aussi autre chose que l'injure à quoi nous étions habitués de songer. Renaud Camus, le meilleur d'entre nous, résiste au barbare intérieur, Renaud Camus, le Français par excellence, qu'on a sali et traîné dans la boue, nous donne cette fois encore la mesure de la grandeur d'âme d'un fils de Montaigne.
Jacques de Guillebon
Renaud Camus,
Du sens
PO.L. 551 p., 25 eurosImmédiatement n°22, septembre 2002