Entretien avec Têtu,
finalement non retenu,
suivi d'un échange de lettres avec M. Thomas Doustaly,
directeur de la publication du magazine.
 
 

Monsieur,
Voici quelques questions pour le magazine Têtu et pour le Journal du Centre.

En ce qui concerne l'entretien pour Têtu, je vous laisse choisir les questions auxquelles vous désirez réellement répondre. La rédaction a prévu entre 4500 et 5000 signes pour cet entretien (hors introduction).

Je transmettrai le texte à Thomas Doustaly et je vous le ferai parvenir en retour, avant votre autorisation.

L'article pour le Journal du Centre (le quotidien nivernais, appartenant au groupe La Montagne - je suis un collègue de Daniel Martin) devra être formaté à trois feuillets. Là encore, je vous laisse le choix parmi toutes les questions.
 

Veuillez agréer, monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

BL

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Cher Baptiste Liger,

veuillez trouver en "fichier-joint" quelques premières "réponses", celle qui me venaient le plus "naturellement" (ou le plus facilement). Je m'arrête là pour le moment parce que je m'aperçois que j'ai déjà dépassé (et peut-être amplement) les quantités de signes autorisées. Dites-moi si vous pouvez tirer quelque chose de cela, et puis on avisera...

Bien à vous,

Renaud Camus.
 
 

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QUESTIONS A RENAUD CAMUS
 
 

Pourquoi, après Corbeaux, revenir sur l'"affaire Camus" avec Du sens?

- Oh, mais ça n'a rien à voir... Corbeaux est un extrait du "journal" de l'année 2000, qui expose au jour le jour les événements de "l'affaire Camus", de mon point de vue évidemment, telle que je l'ai vécue. Du Sens est un essai sur le fond (ou l'absence de fond) des questions débattues. Imaginez une guerre idéologique ou religieuse, la guerre des Albigeois, par exemple. Il y a peu de rapport (mais un certain rapport tout de même, soit) entre un récit du siège de Montségur ou de la bataille de Muret et un exposé des doctrines en présence...

Dans le livre, vous utilisez, définissez et agencez de nombreux concepts. Pourquoi ne pas avoir choisi la forme de l'abécédaire ou du bréviaire? Et à quel genre ou registre littéraire rattacheriez-vous Du sens ?

- ...

Vous évoquez à de nombreuses reprises le terme "étranger". S'agit-il d'une provocation à la "Camus" ?

- D'abord j'ai toujours récusé ce terme de "provocation", qui me semble une arme de langage classique et abusive de toute société en place, laquelle parle de "provocation" dès qu'on lui expose des choses qui ne lui plaisent pas, comme si le système implicite qui la sous-tend était la seule aune de jugement. On peut avoir à exprimer des opinions qui choquent sans que ce soit le moins du monde pour choquer qu'on les exprime. On peut souhaiter s'exprimer dans sa propre langue sans que ce soit le moins monde par "provocation" à l'égard de la langue en place, qui parle de "provocation" parce qu'elle ne se conçoit pas d'extérieur, pas d'étranger.

Le terme d'"étranger" m'est très cher en effet, et j'y reviens souvent car plus que de l'"étrange" et de l'"étrangeté", aimés du romantisme noir, du symbolisme et du surréalisme, mais toujours menacés d'une certaine kitscherie para-rosicrucienne, j'ai le goût de ce que j'appelle, pour bien marquer la distinction, "l'étrangèreté", le caractère "étranger" des êtres, des choses, des pensées et des lieux, leur "aliénité", ce qui fait qu'ils ne sont pas nous. L'homo-sexualité suffit amplement à mon amour du même, et encore est-elle l'occasion, Dieu merci, de beaucoup d'étrangèreté et d'ouverture au monde. Je suis ardemment xénophile. Le cauchemar serait un monde où il n'y aurait plus d'"étranger", ni d'étrangers ; où nulle part nous ne serions plus "à l'étranger",  mais partout "chez nous", comme nous en menacent les publicités d'agences de voyage ; toujours dans cet "at home obèse" qui déjà dégoûtait Verlaine ; jamais hors de nous-mêmes, mais coïncidant à tout moment avec ce que nous sommes déjà, sans plus d'extérieur.
 

Le chercheur Patrick Weil vient de faire paraître un essai intitulé Qu'est-ce qu'un Français ?, une histoire de la nationalité française. L'avez-vous lu ? Si oui, qu'en pensez-vous ?

- Que c'est un ouvrage utile de chercheur et de journaliste pour faire le point sur ce qu'a été la loi française depuis deux siècles sur la question des "naturalisations" ; qu'à cet égard il ménage d'ailleurs quelques surprises, par exemple sur l'opposition entre "droit du sol" et "droit du sang", où la bonne pensée progressiste n'a pas toujours été du côté qu'on croit ; mais qu'un ouvrage de cette sorte, bien documenté et précis, ne saurait épuiser, heureusement, un concept aussi riche et feuilleté que celui de "Français", ou de "français". Pourquoi reconnaît-on dans un musée un tableau "français", ou dans un concert une pièce de musique "française" ? Quel sens cela a-t-il ? Le livre de Patrick Weil ne prétend pas aborder ces questions-là.
 

En quoi le régime du sens dans un essai diffère-t-il de celui d'un journal?

Pratiquement en tout. Il y la même différence qu'entre un costume d'après-midi pour un conseil d'administration, mettons, et une robe de chambre du matin. Dans un "journal" l'auteur est en déshabillé, le sens aussi. Ils font leur toilette, et ils nettoient la salle de bain, en raclant bien dans tous les coins. Le sens y a un caractère "tentative", comme on dit en anglais, à la fois de "tentative", au sens français, et de "tentation", qu'on examine avant de la rejeter éventuellement. Cela dit, un essai, comme son nom l'indique, c'est encore, mais dans une mesure bien moindre, une "tentative", qui examine le pour et le contre. Un degré plus péremptoire du sens et du discours serait le "traité", qui pour poursuivre dans la même métaphore archéo-vestimentaire correspondrait à l'habit de soirée : le sens y est sur son trente-et-un...
 

Votre vision du monde est obsédée par l'idée de dégénérescence. Vous considérez-vous comme un "fils spirituel" (veuillez me pardonner l'expression) de Gobineau ?

- Dégénérescence ? Non, ce n'est guère un mot à moi. Et si je devais me choisir des pères spirituels, avec tout ce qu'ils ont d'écrasant, je choisirais plus volontiers Montaigne ou Proust, que Gobineau, auquel vraiment je ne pense pas tous les jours...
 

Vous écrivez : «Personnellement, je trouve l'homosexualité proustienne je veux dire, l'homosexualité chez Proust, l'homosexualité dans l'oeuvre de Proust - aussi peu engageante que possible». En quoi est-elle si peu engageante ?

- Elle est sinistre, elle est fatale, elle est tragique, elle ne ménage presque jamais un moment de bonheur ; d'autre part elle est étroitement liée à la transgression, et je sais peu de choses plus rasoir que la transgression, cet hommage rituel et volontiers liturgique à l'Interdit : crachats sur la photo du père avant l'amour entre lesbiennes, meubles de la mère ou de la grand-mère offerts pour les chambres d'un bordel de garçons, etc. Quant à la métaphore entomologique et florale de la rencontre entre Charlus et Jupien, je trouve ces développements assez déplaisants, à vrai dire. Moi qui dois la plupart des bonheurs de ma vie à l'homosexualité, comment pourrais-je souscrire à vision si noire, et si empreinte de haine de soi ?
 

Vit-on réellement dans une époque de la perte du sens et de la signification ?

Je dirais plutôt qu'on vit dans une époque de resserrement du sens sur la seule signification, et même sur l'opinion, sur le reportage, l'information, avec le triomphe de la conception journalistique du monde et l'effondrement du sentiment littéraire, c'est-à-dire de la claire conscience du caractère feuilleté, contradictoire, "bathmologique" et mouvant du sens, sa non-coïncidence avec lui-même.
 

Quelle est la différence fondamentale entre la culture et la civilisation ?

- ...
 

Faire paraître quatre (gros) volumes au même moment, n'est-ce pas une attitude un rien suicidaire (commercialement, j'entends)?

-...
 

Peut-on rapprocher La Vie sexuelle de Catherine Millet et Tricks?

C'est vous qui en prendriez la responsabilité... Je pense que Tricks n'existe pas puisque la presse a beaucoup répété qu'avec La Vie sexuelle de Catherine Millet c'était la première fois qu'une "personnalité" parlait de sa vie sexuelle ouvertement et sous son vrai nom...
 

Dans Du sens, vous niez à de nombreuses reprises des prétendus idéologies antisémites ou pédophiles. Ce besoin d'auto-justitification ne risque-t-il pas de se retourner contre vous, et de faire présumer exactement l'inverse?

- ...
 

Vous sentez-vous proche d'auteurs tels qu'Hervé Guibert Guillaume Dustan, ou Christophe Donner ? Pour vous, l'expression "écrivain homosexuel" a-t-elle un sens ? Une portée?

- ...
 

Comment résumeriez-vous l"idéologie du sympa" et la "culture petite-bourgeoise"?

- ...
 

D'où vient votre dégoût, votre haine du corps enseignant ou, plus exactement, des "profs"?

- ...
 

Vous ironisiez au sujet de Nanni Moretti, dans l'"Eloge du paraître". Pourtant, ne partageait-il pas certaines de vos idées lorsque, dans "Palombella rossa", il giflait une journaliste qui avait osé prononcer les mots "kitsch" et "cheap"?

- ...
 
 

"Est-ce que tu me souviens" est un livre tout à fait étonnant. D'où vient cette idée du collage ?

- ...
 
 

On a (trop) peu lu d'articles sur vos ouvrages depuis l'affaire Camus. Croyez-vous être victime d'un boycott dans les rédactions parisiennes?

- Oh non, je suis paranoïaque, mais tout de même pas à ce point-là  ! Il s'agit certainement d'une coïncidence... Il est vrai que je parle très librement des journaux comme de tout, vrai aussi que les médias sont parmi nous le principal pouvoir, et  concentré comme jamais, mais je ne peux pas croire qu'ils profitent de leur pouvoir pour se venger sur moi, et vous ?
 
 

Après "Le département de la Lozère" et "Le département du Gers", Accepteriez vous de rédiger "Le département de la Nièvre" ?

- Pourquoi pas... D'autant que j'ai beaucoup de souvenirs d'enfance, entre Decize et Avril-sur-Loire.
 

Avez-vous voté Le Pen aux dernières élections présidentielles ?

- Absolument pas. Je n'approuve pas du tout ses pochettes de veston. Vous me direz que c'est un détail, mais tout de même...
 

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Lettre de M. Thomas Doustaly à Renaud Camus

Cher Renaud Camus,

Je lis aujourd'hui l'interview que vous avez donnée par mail à Baptiste Liger pour Têtu.

La fin de cet entretien ne peut pas être publiée dans Têtu. Je cite : «Avez-vous voté Le Pen aux dernières élections présidentielles ? - Absolument pas. Je n'approuve pas du tout ses pochettes de veston. Vous me direz que c'est un détail, mais tout de même...»

C'est moi qui souligne "c'est un détail", car dans votre bouche et en réponse à une question sur Jean-Marie Le Pen, ce "détail" produit un effet de sens totalement obscène, puisqu'on pense immédiatement à Le Pen lui-même, qui juge que l'existence des chambres à gaz est un détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale (ce qu'elle n'est pas, contrairement à ses pochettes, qui sont infiniment moins importantes que ses idées, dont vous ne dites rien).

Si cet effet est volontaire, je ne veux publier ni votre dernière réponse, ni l'interview elle-même. Si le sens de ce détail vous a échappé (ce qui est difficile à croire), comment pouvons-nous faire ?

Cordialement,

Thomas Doustaly,
Directeur de la publication

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Lettre de Renaud Camus à M. Thomas Doustaly
 

Monsieur le Directeur de la publication,

comme il était à prévoir, nous divergeons totalement d'interprétation sur le sens de ma réponse, qui vous chagrine. La mention du "détail" était évidemment tout à fait consciente et volontaire de ma part, et me semblait désigner bien clairement, dans un magazine pour adultes, l'une des principales raisons (mais pas la seule) pour lesquelles il était absolument hors de question pour moi de voter pour Jean-Marie Le Pen : à savoir son intolérable référence au "détail" qui m'inspire, vous serez semble-t-il étonné de l'apprendre (votre «dans votre bouche» est significatif), les mêmes sentiments qu'à vous. Parler de "détail" me paraissait corriger suffisamment mon absurde réponse à une absurde question.

Mais puisque vous voulez bien me demander ce que nous pouvons faire, les réponses me semblent abonder, toutes parfaitement satisfaisantes pour moi :

1/ Des trois phrases de ma réponse on peut couper la dernière, puisque nous ne l'interprétons pas de la même façon. La réponse est alors : «Absolument pas. Je n'approuve pas du tout ses pochettes de veston.»

2/ Couper les deux dernières. La réponse est alors : «Absolument pas». (Un peu platement bien pensant, mais bon...)

3/ Couper les trois, et donc la question.

4/ Publier le présent échange d'e-mails.

5/ Ne rien publier du tout.

Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur en chef, mes salutations distinguées,

Renaud Camus

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Réponse finale de M.Thomas Doustaly :

Nous allons nous en tenir à votre cinquième proposition.